Alors que les résultats provisoires des élections générales du 23 août, contestées par l’opposition, donnent vainqueur le MPLA et son nouveau leader João Lourenço, la chercheuse à l’Institut sud-africain des relations internationales Paula Cristina Roque annonce une nouvelle ère pour le pays même si, dit-elle, les proches de l’ancien président devraient continuer de tirer les ficelles en coulisses. Interview.
Jeune Afrique : Les résultats sont toujours provisoires, cinq jours après le vote. Mais ils donnent largement gagnant le MPLA, au pouvoir depuis 42 ans…
Paula Cristina Roque : Les partis d’opposition Unita, Casa-Ce, FNLA et PRS, ont jugé les résultats annoncés comme ne représentant pas la vérité et étant fabriqués par le MPLA. Cela a divisé la commission nationale électorale (CNE) entre les représentants désignés du MPLA et ceux de l’opposition. L’Unita et la Casa-Ce ont réalisé un comptage en parallèle qui contrecarrent les résultats officiels : avec près de 1,5 million de votes, les résultats obtenus par l’Unita montrent que le MPLA aurait en réalité 47% (contre plus de 60% officiellement), l’Unita, 40%, la Casa-Ce environ 9%, et le PRS 1,5%. Cela signifie que le MPLA peut être battu si les deux plus grands partis s’unissent dans une gouvernement de coalition.
Le scrutin n’a donc pas été totalement transparent ?
Plusieurs irrégularités indiquent une mauvaise gestion de ces élections et les résultats contestés ne constituent qu’une des questions. Même si la vérité de ces résultats est probablement quelque part au milieu entre ceux annoncés par l’Unita et les résultats officiels, ils montrent trois choses : que le MPLA perd du terrain, que l’opposition gagne en force et que les électeurs veulent un changement.
Est-ce un avertissement pour le MPLA ?
Le MPLA conserve un pouvoir sans équivoque : il possède l’appareil de sécurité, les recettes pétrolières de l’État, le réseau appuyé à l’appareil d’État couvre tous les secteurs de la société. Ce qu’ils ont perdu en revanche, c’est le soutien de segments clés de la population, comme le vote populaire à Luanda, où les urbains défavorisés veulent des services et des emplois, et où les ruraux pauvres venus des provinces réclament aussi leur dividende pour la paix, y compris l’inclusion politique, le développement et la lutte contre la corruption.
Lourenço devra réformer les institutions de l’État car les réseaux de l’ombre utilisés par son prédécesseur José Eduardo Dos Santos pour gouverner dysfonctionnent
Quels sont les principaux défis pour João Lourenço?
Il doit réformer l’économie alors que le pays accumule une énorme dette extérieure dans un contexte de baisse des recettes pétrolières. Il a besoin de diversifier l’économie, ce qui implique une décentralisation politique qui aura un impact sur des intérêts puissants. Lourenço devra réformer les institutions de l’État car les réseaux de l’ombre utilisés par son prédécesseur José Eduardo Dos Santos pour gouverner dysfonctionnent. Enfin, il devra réformer l’appareil de sécurité alors que le pays est confronté à des menaces régionales croissantes.
Dos Santos continuera-t-il de gouverner en sous-main ?
Lourenço devra négocier avec les enfants de Dos Santos qui ont la mainmise sur les finances angolaises [Isabel dirige la société pétrolière nationale, la Sonangol, José Filomeno le fonds souverain, NDLR]. Dos Santos peut, en tant que président du parti, nommer le cabinet du président, approuver les législations proposées ou leur opposer un veto, il dirigera la politique étrangère et s’est assuré le gel des nominations des chefs de sécurité.
Néanmoins, avec le départ de dos Santos de la présidence du pays et probablement celui d’Isaìas Samakuva de la tête de l’Unita, tous deux fortement marqués par les années de guerre civile, pouvons-nous dire qu’une nouvelle page va s’écrire en Angola?
Une nouvelle génération de leaders est en train d’émerger. Mais cette nouvelle période fera apparaître de nombreuses contradictions dans le pays : la richesse des élites et la pauvreté profonde dans le reste de la population, des élites politique et militaire incontrôlables, un pays fragmenté et non intégré, et une ambition régionale démesurée. Ce sera une renaissance difficile car de nombreux intérêts seront menacés et d’anciennes blessures vont resurgir. Cependant, du côté du MPLA comme du côté de l’Unita, il y a des cadres politiques et militaires qui veulent sauvegarder la stabilité et entamer des réformes.
Avec jeuneafrique