Ils sont de plus en plus nombreux, plus d’une centaine, à avoir quitté le pouvoir pour prendre leur retraite – souvent active – à travers l’Afrique. Les alternances démocratiques se font dans des cadres très variés à travers le continent. Les uns finissent en prison ou aux prises avec la justice, les autres reçoivent les honneurs et remplissent des rôles éducatifs ou diplomatiques. Quoi qu’il en soit, le statut donné aux chefs d’Etat ou les portes de sortie honorables qui leur sont offertes ne garantissent pas la stabilité.
On l’a vu au Burkina Faso avec Blaise Compaoré. Alors qu’il était au pouvoir depuis 1987 et voulait modifier la Constitution pour briguer un énième mandat, il s’était vu proposer des postes dans des institutions internationales. Aurait-il pu succéder en toute sérénité à l’ancien président du Sénégal Abdou Diouf au secrétariat général de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) ? Cette perspective n’a pas convaincu Blaise Compaoré. C’est finalement dans une course précipitée, et avec l’aide de la France, qu’il a dû prendre fin octobre 2014 la route de l’exil vers la Côte d’Ivoire.
Il en va de même au Burundi. La Constitution de ce petit pays des Grands lacs confère aux anciens chefs d’Etat le statut de sénateur à vie – avec rente et honneurs à la clé. Malgré tout, Pierre Nkurunziza – , le président en poste depuis la fin de la guerre civile en 2005, a brigué un troisième mandat non constitutionnel en 2015 et ne montre aucune intention de partir. Quitte à balayer dix ans de paix et faire replonger le Burundi dans la crise.
Il n’a donc pas rejoint les trois anciens chefs d’Etat qui bénéficient de ce statut au Burundi : Pierre Buyoya (au pouvoir de 1987 à 1993 puis de 1996 à 2003), actuel haut représentant de l’Union africaine au Sahel, Sylvestre Ntibantuganya (1994-1996), entré en opposition et installé à Bruxelles, ainsi que Domitien Ndayizeye (2003-2005). Cet ex-président de transition et entrepreneur, propriétaire du centre d’affaires White Stone à Bujumbura, ne se rend plus au Sénat en signe de protestation contre la répression menée par Pierre Nkurunziza.
Retraites actives
Ils sont de plus en plus nombreux, pourtant, à montrer qu’il y a une vie après le pouvoir. De façon exemplaire, l’ancien président du Bénin Nicéphore Soglo a résolu d’être maire de Cotonou, la capitale économique de son pays, de 2002 à 2015. Après deux mandats (1992-2002), Alpha Oumar Konaré, le premier président élu du Mali, a quant à lui présidé de 2003 à 2008 la commission de l’Union africaine (UA), puis le groupe de haut niveau de l’UA pour l’Egypte en 2013 et 2014, avant d’être nommé haut représentant pour le Soudan du Sud en 2015. Membre du haut conseil de la francophonie, il coule des jours paisibles, à 71 ans, en famille à Bamako.
Joaquim Chissano, successeur en 1986 du père de l’indépendance du Mozambique Samora Machel, a été élu en 1994, à la faveur du premier scrutin démocratique. Il s’est retiré en 2004 sans briguer le troisième mandat qui lui était pourtant permis. Il s’est distingué comme premier récipiendaire du prix Mo Ibrahim pour la gouvernance. A 77 ans, il dispose d’une belle villa que lui loue l’Etat à vie à Maputo, mais continue de voyager par monts et par vaux : en tant qu’envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU en Ouganda et au Soudan (2006), médiateur de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) dans la crise malgache de 2009, et désormais en tant qu’envoyé spécial de l’UA sur le Sahara occidental – une cause perdue, puisque son autorité n’est pas reconnue par le Maroc.
Pedro Pires, lui aussi, donne l’exemple. Lauréat 2011 du prix Mo Ibrahim, l’ancien Premier ministre (1975-1991) et président (1991-2011) du Cap-Vert partage son expérience en tant que « speaker » à des conférences à travers le monde. Par le biais de sa fondation, l’institut Pedro Pires pour le leadership, il envoie tous les ans depuis 2014 une dizaine de jeunes cap-verdiens se former pour deux semaines aux Etats-Unis. Le Sud-Africain Thabo Mbeki mène aussi une existence paisible depuis 2008 à la tête de sa fondation.
L’exil ou la prison
Tout n’est cependant pas rose pour les anciens chefs d’Etat, avec parfois l’exil ou la prison. Les cas les plus médiatisés restent ceux de Hissène Habré, ancien président du Tchad exilé au Sénégal et condamné à perpétuité en avril dernier, et de Laurent Gbagbo. Ce dernier a été transféré fin 2011 à La Haye dans le cadre d’un procès par la Cour pénale internationale (CPI), à la suite de la crise post-électorale de 2010-11 qui a fait plus de 3000 morts en Côte d’Ivoire selon les Nations unies.
D’autres anciens présidents ont connu ou connaissent des sorts semblables. Moussa Traoré, au pouvoir de 1968 à 1991 au Mali, a été condamné à mort en 1993 pour sa répression sanglante des émeutes étudiantes de 1991. Sa peine a été commuée en perpétuité en 1997, et il a bénéficié d’une grâce présidentielle en 2002. Il réside aujourd’hui à Bamako dans une villa offerte par l’Etat. De son côté, Amadou Toumani Touré (ATT), au pouvoir au Mali de 2002 à 2012, vit en exil à Dakar, où il est hébergé par le Sénégal dans une résidence d’Etat. Un procès pour haute trahison est envisagé contre lui au Mali, où on lui reproche d’avoir laissé sombrer le nord du pays dans le chaos en 2012, sans moyens suffisants pour l’armée. Ces poursuites, qui pourraient donner lieu à un grand déballage sur la corruption liée au trafic de drogue international qui passe par le Mali, n’ont pas encore été soumises au vote des députés. En revanche, le tombeur d’ATT, Amadou Haya Sanogo, est en procès depuis novembre 2016, et doit répondre devant la justice malienne de l’exécution sommaire d’au moins 26 bérets rouges en mai 2012.
Au Rwanda, Pasteur Bizimungu, président de 1994 à 2000, a incarné la réconciliation nationale après le génocide en tant que Hutu membre du Front patriotique rwandais (FPR, au pouvoir). Il a lancé en 2001 son parti d’opposition – aussitôt interdit par son successeur, Paul Kagamé. Condamné à 15 ans de prison ferme en 2004 pour atteinte à la sécurité de l’Etat, libéré en 2007 sur grâce présidentielle, il est resté au Rwanda où il a renoncé à la politique.
Des situations d’impunité
D’autres sont poursuivis par la justice de leur pays, mais n’en coulent pas moins des jours paisibles en exil, protégés par leur pays d’accueil. Parmi eux, Zine el-Abidine Ben Ali échappe, en Arabie saoudite, aux nombreuses peines de prison ferme rendues contre lui en Tunisie pour détournement de fonds publics, vol et fraude.
François Bozizé, au pouvoir de 2003 à 2011, n’est pas non plus extradé par l’Ouganda, où il résidait jusqu’à ce qu’il en disparaisse début octobre pour se rendre, semble-t-il, au Soudan, malgré le mandat d’arrêt lancé en 2013 contre lui par la justice de Centrafrique. Blaise Compaoré, de son côté, est jugé par contumace au Burkina Faso depuis avril dernier, pour la répression du soulèvement populaire contre lui fin octobre 2014. Sans être inquiété dans son pays d’accueil, la Côte d’Ivoire, dont il a pris la nationalité.
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