Les deux groupes doivent acter ce mardi un mariage qui doit leur permettre de peser face à CRRC. Leader du secteur, le géant chinois cherche à conquérir les marchés occidentaux pour assurer sa croissance. En restant seuls, les acteurs occidentaux sont certains de finir laminés.
Ce mardi, un véritable “Airbus du transport ferroviaire” devrait voir le jour. Alstom et Siemens devraient en effet officialiser leurs noces à l’occasion d’une réunion du conseil d’administration de l’entreprise française. Le groupe allemand va en effet obtenir 50% du capital de son futur ex-rival tricolore, en échange de quoi il apportera son activité ferroviaire à Alstom. Ce mariage va donner naissance au numéro deux mondial du matériel ferroviaire roulant, et au numéro un de la signalisation, d’après Bercy.
Les deux mariés se disent donc “oui” sans une passion débordante. “Il s’agit plus d’une union de raison que d’amour alors qu’on a deux entreprises qui se regardaient jusqu’à présent en chiens de faïence”, observe Arnaud Aymé, consultant transports chez Sia conseil.
“Lutter contre le mastodonte chinois”
Mais ce rapprochement s’imposait alors que le numéro un mondial CRRC (China Railway Rolling Stock Corporation, né en 2015 de la fusion entre CSR et CNR) affiche désormais clairement des ambitions internationales dévorantes. Comme l’a rappelé la ministre des Transports Elisabeth Borne, “on a besoin d’une consolidation dans le secteur ferroviaire” face à la montée en puissance de la Chine. Constat déjà formulé par Joe Kaeser, le directeur général de Siemens. “Il faut construire un solide numéro deux mondial”, avait-il déclaré en août.
Même la CFE-CGC d’Alstom le reconnaît volontiers. Dans un communiqué publié ce mardi, les représentants syndicaux des cadres de l’entreprise française saluent ce mariage qu’ils présentent comme une “nécessité pour lutter contre le mastodonte chinois, qui est deux à trois fois plus gros que nous”.
Un euphémisme tant CRRC semble boxer aujourd’hui dans une autre catégorie que Siemens et Alstom. Les experts situent le chiffre d’affaires de l’ogre chinois entre 18 et 30 milliards d’euros, contre 7,8 milliards pour Siemens et 7,3 milliards pour la branche transports de Siemens.
Transferts de technologie
“La menace pour Alstom et Siemens est réelle: jusqu’à présent le chinois CRRC a augmenté ses capacités pour fournir le marché chinois mais celui-ci va bientôt commencer à ralentir puis saturer. Or l’avenir se prépare dès aujourd’hui. CRRC va donc aller chercher des commandes à l’international en se montrant agressif”, explique Arnaud Aymé.
Selon la consultante de Wavestone Laure Baudry, CRRC compterait ainsi réaliser pas moins de 15 milliards de dollars d’exportations d’ici à 2020, contre un chiffre estimé à 6 milliards pour 2015.
CRRC a par exemple déjà remporté un appel d’offres au Brésil pour fournir les trains de la ligne 4 du métro de Rio de Janeiro à l’occasion des Jeux Olympiques. Fin 2016, il a effectué une première percée au sein de l’Union européenne, en vendant des trains à grande vitesse à la République tchèque. Il fait également partir d’un consortium qui doit construire une LGV reliant Los Angeles à Las Vegas.
Indirectement, l’émergence de ce géant chinois a été favorisée par le manque d’entente entre les différents rivaux que sont Alstom, Bombardier et Siemens. “Entre 2005 et 2010, les différents industriels occidentaux se sont battus pour avoir accès au marché chinois et ont ainsi concédé d’importants transferts de technologies. Pour la grande vitesse en particulier, cela a été le cas de Bombardier et de Siemens, Alstom s’y refusant. Cette absence de position commune à l’international a ainsi pénalisé l’ensemble des acteurs européens”, souligne Arnaud Aymé.
Financer la R&D
Et désormais, CRRC a de nombreuses cartes en main pour faire souffrir les “vieux acteurs”. Ce géant a fondé son développement sur les lignes de chemin de fer chinoises. Il a déjà à son actif le plus grand réseau à grande vitesse du monde: 22.000 kilomètres. Un réseau bâti en seulement dix ans. “Ce groupe bénéficie d’un marché domestique hyper-dynamique: la Chine a le plus grand programme de ligne à grande vitesse jusqu’en 2020.”, relève Arnaud Aymé.
“CRRC a ainsi un marché domestique qui lui permet d’amortir facilement le coût de sa R&D et de proposer des produits compétitifs à ses clients. À un moment ils construisaient plusieurs dizaines de kilomètres de lignes à grande vitesse par jour! Cet appui, un groupe comme Alstom ne l’a pas. Si le marché domestique est encore dynamique sur les TER et Intercités, les commandes sont beaucoup plus faibles sur le TGV”, poursuit le consultant.
Autre avantage: “En étant soutenu par le gouvernement chinois, CRRC peut aussi proposer des plans de financement pour ses clients, ce qui, dans certains pays comme le Brésil peut-être intéressant. C’est beaucoup plus compliqué pour les constructeurs européens”, indique Arnaud Aymé.
Autant d’atouts qui ne laissaient pas énormément d’options à Siemens et Alstom. En s’alliant, les désormais ex-rivaux vont pouvoir mutualiser le coût de leur R&D et diminuer ainsi ce coût fixe pour être plus compétitifs à l’international. Ils pourront également élargir leur catalogue d’offres à destination des clients, même s’il y aura inévitablement des doublons. “Cela va dans le bon sens et évitera à l’avenir de partir en ordre dispersé à l’international”, fait également valoir Arnaud Aymé.
Avec bfmbusiness