Censure, austérité, machisme. Depuis le mois de septembre, les polémiques autour de la 22e édition du Salon du livre d’Alger se suivent et ne se ressemblent pas.
de notre correspondante à Alger,
L’objectif est annoncé : dépasser le million de visiteurs. Et pour l’inauguration, mercredi 25 octobre, six ministres ont fait le déplacement. Pour sa 22e édition, le Salon du livre d’Alger (Sila), l’un des plus grands événements culturels en Algérie, a mis la barre haut, malgré la réduction de son budget de 30%, crise économique oblige. Pourtant, alors que le salon n’a pas encore ouvert ses portes, il est déjà marqué par de multiples polémiques.
Le 20 septembre, le commissaire du Sila, Hamidou Messaoud provoque la colère d’un certain nombre d’internautes, après une déclaration à la télévision. Evoquant un livre présenté lors de la précédente édition et intitulé Comment frapper sa femme, il plaisante puis déclare : « parce que parfois, le mec frappe sa femme, et quand tu la vois après, on dirait qu’un camion lui est rentré dedans. Au moins quand il frappe, qu’il frappe avec un peu de gentillesse ».
Une insulte au combat féministe
En quelques jours, des intellectuels lancent un appel à boycotter le Sila, car les déclarations de Hamidou Messaoud sont pour eux « une atteinte aux principes fondamentaux du respect de la personne humaine, une insulte à des années de combat féministe et un crachat sur les tombes de toutes celles qui ont été égorgées, battues, violées, kidnappées, maltraitées ou détruites psychologiquement, parce que femmes ».
Quelques jours plus tard, le commissaire publie une lettre d’excuse, évoquant « l’humour populaire qui fait partie de la culture » du pays : «Si j’ai pu, bien involontairement, choquer quelques téléspectateurs et téléspectatrices, je m’en excuse sincèrement auprès d’eux. J’ajoute que le public du SILA est majoritairement composé de femmes et en tant que lectrices, mais aussi écrivaines et intellectuelles, leur contribution à la promotion du livre et de la culture en Algérie est fondamentale ».
Deux universitaires censurés
Seulement, la polémique ne s’arrête pas là. Le 10 octobre, le journal El Watan annonce que le sociologue et directeur de la prestigieuse revue Naqd, Daho Djerbal et le sociologue Aïssa Kadri ont été retirés de la liste des participants à une conférence sur l’histoire de l’indépendance. Ils avaient au début de l’année signé un appel appelant à des élections anticipées. En conséquence, l’historien français, Olivier Le Cour Grand Maison, invité lui aussi à cette table ronde, a annoncé qu’il ne participerait pas, dénonçant une « censure ».
L’annonce provoque la stupeur dans les milieux de la recherche : Olivier Le Cour Grand Maison est particulièrement respecté en Algérie pour son travail historique mais aussi pour son engagement pour que la France reconnaisse ses crimes coloniaux. Interrogé par la presse, Hamidou Messaoud assume l’exclusion des deux chercheurs algériens : « jusqu’à preuve du contraire, le Salon international du livre d’Alger est mis sous le haut patronage du président de la République Abdelaziz Bouteflika. Le président a été démocratiquement élu pour un mandat de cinq ans. À mon avis, quand on n’aime pas une personne, on ne répond pas à son invitation ! ».
Pendant ce temps, l’appel au boycott fait lui aussi polémique. « Si on boycotte, on laisse la place à la culture telle que la conçoit l’Etat », estime un écrivain. Jeudi 26 octobre, des militants associatifs organise donc un « alter-SILA ». L’objectif est de dénoncer les propos du commissaire, la censure des auteurs, mais aussi de « débattre de la liberté d’expression et de création dans un contexte politique marqué par une ingérence massive dans le fait culturel ».
Altercations entre auteurs
L’affluence devrait, malgré toutes ces polémiques, être importante. Les faiblesses du réseau de distribution des livres poussent des familles algériennes à faire des centaines de kilomètres pour venir trouver des ouvrages lors du salon. Les principales maisons d’édition publient à cette occasion des dizaines de nouveautés. Ainsi, les éditions Barzakh proposeront entre autres le nouveau roman policier 1994 de Adlène Meddi, celui de Nourredine Saadi Boulevard de l’abîme ainsi que la réédition du premier roman de Assia Djebar La soif, initialement publié en 1957.
Pourtant, le climat n’est pas serein. Ces dernières semaines, des auteurs de renom se sont violemment attaqués les uns les autres par voie de presse. Dans un nouvel ouvrage, le renommé Rachid Boudjedra s’en prend à Yasmina Khadra et à Kamel Daoud, accusant ce dernier d’avoir été membre du GIA, un groupe terroriste algérien des années 1990. L’auteur de Meursault contre-enquête a porté plainte pour diffamation. Enfin, par voie de presse et via les réseaux sociaux, une violente campagne a été menée contre des auteurs algériens qui ont du succès en France. Parmi eux, Kamel Daoud, vainqueur du Goncourt du premier roman en 2015 et Kaouther Adimi, en lice pour les prix Goncourt, Renaudot et Médicis pour son nouveau roman Nos richesses.
Avec RFI