Cette étude concerne deux grandes régions, l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient (ANMO) dont les caractéristiques géographiques, humaines, historiques et économiques sont très différentes.
On ne se concentrera, dans cet article, qu’à la situation du Maghreb et particulièrement l’Algérie. Parce que même pour le Maghreb, les situations des trois pays (Maroc, Algérie et Tunisie) sont très contrastées quant à la dépendance alimentaire.
Le rapport de l’INRA souligne en effet cette dépendance liée à la fois aux contraintes en ressources en terre et en eau, mais aussi aux importations massives de produits alimentaires de l’étranger.
En janvier dernier, le ministre de l’agriculture annonçait en grandes pompes à Berlin que l’Algérie avait “atteint” sa “suffisance alimentaire” et que “la disponibilité alimentaire est aujourd’hui de 3500 kg/calories en Algérie, ce qui la situe largement au-dessus du niveau préconisé par les Institutions internationales spécialisées.”
En faisant cette déclaration, le ministre semble ignorer que l’objectif de tout pays soucieux de sa dignité, c’est d’assurer non pas la “suffisance alimentaire”, mais sa “sécurité alimentaire”. Parce que si la “suffisance alimentaire” consiste à avoir accès à une alimentation saine, variée et salubre à un coût raisonnable, il en est autrement du concept de la “sécurité alimentaire” défini internationalement, en 1996 à Rome, au Sommet Mondial de l’Alimentation. Le Comité de la Sécurité Alimentaire mondiale a repris la définition dans une publication datée d’octobre 2012 : “La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, la possibilité physique, sociale et économique de se procurer une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active”.
Cela suppose donc une capacité de produire ou d’importer cette alimentation, sa disponibilité à des prix raisonnables, et bien évidemment une qualité des produits satisfaisante.
Or, si l’Algérie arrive, grâce à la rente énergétique, à satisfaire tant bien que mal les besoins alimentaires du citoyen, elle reste néanmoins suffisamment dépendante de ses importations pour créer une incertitude quant à cette sécurité alimentaire.
En effet, si on se fie aux chiffres de l’Agence Nationale de Promotion du Commerce Extérieur (ALGEX) rapportés par l’Agence Nationale de Développement de l’Investissement (ANDI), l’Algérie a importé en 2014:
– 1,79 milliards de $ de lait en poudre
– 2,37 milliards de $ de blé et dérivés
– 0,84 milliards de $ de sucre
– 0,30 milliards de $ de café
Au total, et selon le Centre national de l’informatique et des statistiques des Douanes (Cnis), sur les 58,33 milliards de dollars d’importations algériennes en 2014, la facture relative aux produits alimentaires s’est élevée à 11 milliards de dollars subissant une hausse de 14,9 % comparativement à 2013.
Ces chiffres sont énormes ! Au-delà des contraintes climatiques et celles liées à la terre, on est en droit de s’interroger sur la politique adoptée par le gouvernement quant à notre “sécurité alimentaire”.
La presse algérienne rapporte régulièrement les difficultés des citoyens à se procurer leur alimentation compte tenu des prix affichés, en constante hausse, mais aussi de la qualité des produits alimentaires proposés à la vente aux consommateurs. Qui aurait cru que le kilogramme de lentilles ou de haricots secs atteindrai les 200 DA en 2015 subissant, dans une quasi indifférence, une hausse de près de 50 % en début d’année ? Sans parler des autres “produits de base” comme l’huile, le café, le sucre, la semoule, la viande et les produits laitiers.
L’article du Huffington Post Algérie a rappelé quelques chiffres relatifs aux importations de denrées alimentaires par l’Algérie qui laissent perplexes. Le gouvernement actuel a su tirer les leçons des émeutes du pain chez nous comme au Maroc et en Tunisie. Pour la paix sociale, on n’hésite pas de répondre aux “besoins du peuple” en important massivement une grande partie de nos besoins alors qu’on est en mesure d’assurer notre autonomie alimentaire, mais pas celle annoncée par le ministre.
Bien que l’article de l’INRA souligne les efforts entrepris par les pays du Maghreb pour leur croissance agricole, il indique toutefois les difficultés de ces pays à suivre l’évolution de la demande interne en produits alimentaires.
Pour ne prendre que l’exemple des céréales, dans son dernier rapport d’octobre 2015, la FAO souligne que “même les années où la récolte est bonne, les pays de l’Afrique du Nord dépendent étroitement des importations céréalières pour couvrir leurs besoins de consommation”. Selon ce même rapport, au cours des cinq dernières années, 45 % des besoins céréaliers intérieurs du Maroc, contre 65 % pour la Tunisie et 68 % pour l’Algérie ont été couverts grâce aux importations.
Dans le même temps, un récent rapport de l’ONUDI (programme des Nations unies pour le développement industriel) place l’Algérie bien devant le Maroc et la Tunisie dans le domaine de la mécanisation de l’agriculture. Ce rapport souligne, qu'”en matière de disponibilité de matériels de traction, l’Algérie enregistre une moyenne d’un tracteur pour 75 hectares de surfaces arables en 2014, alors qu’en Tunisie il n’a été relevé qu’un tracteur pour 145 ha et au Maroc un tracteur pour 2020 ha. L’Algérie compte une moissonneuse-batteuse pour 494 ha et le Maroc une moissonneuse-batteuse pour 1185 ha”.
Ces contradictions mettent en évidence les limites d’une politique incohérence en matière de production agricole à même de mettre notre pays à l’abri d’une crise dont les conséquences sociales seraient catastrophiques et qui réduiraient à néant tous les programmes étatiques visant la paix sociale.
Si le programme de relance du secteur agricole 2000, initié par le ministère de l’agriculture, a permis une augmentation des surfaces cultivées, une dynamisation de certaines filières (pomme de terre, tomate..) et des aides aux agriculteurs les plus démunis, il n’en demeure pas moins qu’il reste complexe quant à son exécution compte tenu des multiples acteurs qui interviennent (banques, assurances, organismes de vulgarisation…). La gestion de l’eau (irrigation) et la vétusté des installations, dans un pays en déficit hydrique, et son gaspillage restent aussi un élément déterminant dans la productivité de notre agriculture. De même qu’on est en droit de s’interroger sur les importations de races de reproducteurs bovins français au détriment d’un vrai programme d’amélioration génétique des races locales.
Ainsi notre “sécurité alimentaire” passe nécessairement par l’augmentation de la production agricole et une gestion optimale de nos ressources hydriques, par un accès aux produits alimentaires aux plus démunis mais aussi par une plus grande coopération particulièrement avec nos deux voisins le Maroc et la Tunisie. Les trois pays se complètent parfaitement dans le domaine de l’agriculture que ce soit au niveau de la production, la vulgarisation ou la formation agricole. La baisse durable des prix du pétrole devrait inciter nos dirigeants à œuvrer dans ce sens. “Un pays qui ne peut pas se nourrir n’est pas un grand pays”, disait De Gaulle. Sur ce point, on ne peut que lui donner raison. Sans “sécurité alimentaire”, aucun pays ne peut se construire durablement !
avec huffpostmaghreb