Cet agroéconomiste pragmatique a été élu, le 28 mai, nouveau président de la Banque africaine de développement. Voici son portrait que nous avions publié en avril 2015, après l’avoir rencontré.
{Article mis à jour et republié le 29 mai 2015 : Akinwumi Adesina a été élu président de la BAD par les 80 gouverneurs de l’institution, au terme de six tours de scrutin}
Akinwumi Ayodeji Adesina croit en son destin. Il ne faut guère de temps à son interlocuteur pour percevoir la confiance sans bornes qui anime le ministre nigérian de l’Agriculture, en campagne depuis plusieurs mois pour prendre, le 28 mai, la succession du Rwandais Donald Kaberuka à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD). Sa poignée de main est aussi ferme et assurée que le timbre de sa voix, et c’est d’un pas décidé qu’il traverse les couloirs du 57 bis, rue d’Auteuil lors de sa visite chez Jeune Afrique, le 25 mars.
Avec son large sourire, ses noeuds papillon multicolores et son débit mitraillette, Akinwumi Adesina, 55 ans, aurait pu prétendre aux premiers rôles dans les studios hollywoodiens. Dans une autre vie. Car s’il occupe la scène aujourd’hui, c’est en tant qu’agroéconomiste, une discipline pour laquelle il ne manque pas de talent, comme l’illustre un parcours professionnel qui l’a mené aux quatre coins du monde.
Bilingue
Son bachelor en agroéconomie de l’université d’Ife en poche, il quitte le Nigeria au début des années 1980 pour poursuivre ses études à l’université Purdue (Indiana). Il reste aux États-Unis jusqu’en 1990, le temps de glaner son doctorat en politique de développement agricole et de débuter sa carrière en tant qu’économiste au sein de la Fondation Rockefeller. Il retournera chez son employeur près de dix ans plus tard, mais pour y occuper cette fois les plus hautes fonctions dans son domaine de prédilection.
C’est qu’entre-temps le Nigérian a roulé sa bosse sur le continent, occupant plusieurs postes à responsabilité dans différents pays d’Afrique de l’Ouest. Au point de pouvoir se présenter aujourd’hui comme “un maillon essentiel entre les zones anglophone et francophone, ainsi qu’entre l’Afrique et le reste du monde”. Le tout dans un français parfait, qui, face à certains de ses concurrents, pourrait bien faire la différence fin mai.
Energie
Mais Akinwumi Adesina ne compte pas que sur une langue – qu’il a bien pendue – pour faire la différence. Nommé ministre fédéral de l’Agriculture et du Développement rural en 2011, il a lancé avec pragmatisme, et surtout beaucoup de volontarisme, une révolution verte qui a replacé le secteur agricole au coeur du développement économique du Nigeria. Les chiffres plaident pour lui.
En quatre ans, ses réformes ont permis d’augmenter la production agricole nigériane de 21 millions de tonnes, tout en réduisant d’un tiers les importations de denrées alimentaires et en créant 3 millions d’emplois dans la filière. “Si le Nigeria a pu résister hier à la chute du naira et aujourd’hui à celle des cours des hydrocarbures, c’est en grande partie grâce à l’agriculture”, estime sans fausse modestie M. le ministre, dont l’ambition est d’appliquer à la BAD cette formule gagnante. “Énergie, emploi des jeunes et promotion du secteur privé”, résume le candidat lorsqu’on lui demande de présenter en quelques mots le programme qu’il compte mettre en oeuvre s’il est élu. Après l’hommage de rigueur rendu à Donald Kaberuka, aux manettes depuis 2005, il embraye rapidement sur ses propres objectifs.
“Sans énergie disponible, même un taux de croissance de 5 % par an ne suffira pas à assurer le développement du continent”, assure l’économiste, pour qui “la BAD a un rôle essentiel à tenir sur ce dossier, aussi bien dans la promotion du barrage du Grand Inga [RD Congo] que pour soutenir les projets de taille plus modeste dans les énergies renouvelables”. Les grandes lignes de son programme : réorienter les priorités de la Banque en direction du secteur privé, “qui tire ces dernières années la croissance du continent”, et poursuivre sur la voie tracée par l’actuel président de la BAD, qui a octroyé en 2013 2,1 milliards de dollars de prêts aux entreprises, contre moins de 250 millions huit ans plus tôt.
Tournée
Homme aux multiples réseaux, Akinwumi Adesina compte bien s’appuyer sur le volumineux carnet d’adresses patiemment constitué depuis plus de trente ans pour consolider les liens avec les différents organismes, privés comme publics, impliqués ces dernières années dans le développement du continent. Cet “Africain de coeur”, comme il se définit lui-même, le promet : il ne roulera pas pour son pays, mais bien pour l’Afrique dans son ensemble. Une manière de rassurer ceux – nombreux – qui craignent l’arrivée d’un ressortissant de la première puissance économique du continent à la tête de la BAD.
En veillant à ne laisser personne de côté, à commencer par les petits pays, “qui doivent pouvoir bénéficier de la même prospérité que les autres”. Pour bien montrer qu’il ne les oublie pas, le ministre en fin d’exercice (après la défaite, le 28 mars, du chef de l’État Goodluck Jonathan) va prendre le temps de multiplier les étapes sur le continent, afin de mieux se faire connaître, mais aussi de “cerner davantage les attentes autour de la BAD”.
De longues heures d’avion en perspective pour Akinwumi Ayodeji Adesina, qui, à l’heure du sprint final, apparaît comme l’un des grands favoris dans la course à la présidence. Avec, malgré tout, un véritable défaut : il n’est ni un ancien cadre de la BAD, ni un ex-ministre des Finances. Son programme Dans sa profession de foi, définie avec l’aide du cabinet américain Mercury, qui gère sa communication, Akinwumi Adesina détaille sa vision pour la BAD en dix points. Il veut d’abord travailler en étroite collaboration avec le Conseil des gouverneurs pour améliorer à moyen terme l’efficacité organisationnelle et opérationnelle de la banque.
Il souhaite ensuite promouvoir une croissance inclusive pour assurer un développement social en Afrique, tout en relançant les économies rurales. Il compte pour cela renforcer l’expertise et développer l’innovation au sein de l’institution, en s’appuyant sur la croissance du secteur privé. Il compte également multiplier les projets d’infrastructures, dans une optique d’intégration régionale. Il lui faudra pour cela trouver des financements innovants, qui lui permettront aussi de s’attaquer à la rénovation urbaine. L’objectif global étant de construire un avenir pour l’Afrique, basé sur l’emploi des jeunes et sur un développement durable