Depuis plusieurs années, Boeing et Airbus voient les commandes des compagnies aériennes progressivement diminuer. Simple trou d’air ou nouvelle donne pour les deux géants mondiaux de l’aéronautique?
Le chiffre a de quoi surprendre. Au premier trimestre de 2017, Airbus n’a enregistré en tout et pour tout que six commandes nettes, contre un peu de moins de 200 pour Boeing. Le groupe européen a certes l’habitude de commencer timidement l’année. Mais plus que ce différentiel, c’est le faible niveau de la demande qui pose question. Pour Airbus comme pour Boeing, le ciel n’est plus tout à fait bleu.
Après avoir affiché, en 2013 et 2014, des commandes nettes de près de 2.900 avions à eux deux, les deux avionneurs sont retombés à un peu plus de 1.800 en 2015, et à 1.400 en 2016. Et l”an passé, Airbus et Boeing ont, ensemble, vendu moins d’avions qu’ils n’en ont livrés. Du jamais vu depuis 14 ans, note le cabinet Liberum.
À tel point qu’Adam Pilarski, analyste chez Avitas cité par le Handelsblatt, ose affirmer que les années fastes reposaient sur une bulle qui est en train d’éclater.
“Clients de lancements”
Le point de vue de cet analyste américain est néanmoins jugé extrême par ses collègues qui invoquent des raisons plus terre à terre pour expliquer le trou d’air. “Il n’y a pas de nouveaux programmes, or l’aéronautique est une industrie spéciale où quand vous lancez un appareil vous avez des ‘clients de lancements’ qui partagent les risques avec les constructeurs et s’engagent dès le départ en ayant une visibilité réduite sur les avantages réels”, explique Yan Derocles, analyste chez Oddo Securities.
Autre raison avancée: le prix du pétrole. Les achats de kérosène représentent “entre 25 et 30% du coût total des compagnies, et changer de génération d’avions permet de réduire de généralement de 15 à 25% la consommation”, rappelle Bertrand Mouly-Aigrot, associé chez Archery Consulting. Or “avec des prix du pétrole bas et les taux d’intérêt qui commencent à remonter, l’achat d’avions neufs perd de son attractivité et les compagnies peuvent avoir intérêt à continuer d’exploiter des avions plus vieux”, ajoute-t-il.
La montée en puissance des loueurs
Betrand Lemoigne, associé chez SIA Partners explique, lui, que de nombreux contrats de locations entre compagnies low cost et sociétés de leasing arrivent à terme. “Le marché de l’occasion devient ainsi plus attractif et entre en concurrence frontale avec les modèles neufs des grands avionneurs. C’est un phénomène limité mais qui peut expliquer un trou d’air”, avance-t-il.
“La montée en puissance des Lessors (loueurs, ndlr) a un effet de réduction des commandes faites aux avionneurs car les opérateurs peuvent se tourner vers les entreprises de location, naturellement plus flexibles que les constructeurs aéronautiques”, complète Jérôme Bouchard, Partner dans le cabinet Oliver Wyman. Boeing s’est d’ailleurs lui-même lancé dans l’activité de leasing en proposant aux compagnies de fret de louer les 747 en cours de production sans client pour les acheter. L’objectif de l’avionneur américain est d’éviter d’avoir à faire le deuil définitif de son jumbo jet, seul rival de l’A380 d’Airbus, lui-même en difficulté.
De plus, “après plusieurs années de commandes record, il n’est pas surprenant qu’il y ait un ralentissement cyclique”, rappelle Bertrand Mouly-Aigrot. De fait, à l’heure actuelle, les carnet de commandes d’Airbus et de Boeing s’élèvent respectivement à 6.744 et 5.700 avions (passagers et fret). “Airbus et Boeing ont un carnet de commandes qui correspond à plus de sept années de livraisons”, souligne Jérôme Bouchard.
Commandes “spéculatives”
Pour certains analystes, ces niveaux impressionnants doivent être relativisées. “Nous pensons qu’environ un tiers de ces commandes sont des commandes ‘spéculatives’ c’est-à-dire des commandes qui ne seront jamais livrées”, avance Yan Derocles. L’analyste fait notamment valoir que les trois grandes low-cost asiatiques (Lion Air, Indian Air, IndiGo) ont commandé à elles seules pour plus de 1.000 avions à Boeing et Airbus. Pour Yan Derocles, il est peu vraisemblable que ce chiffre sera atteint.
Dans la même veine, “les compagnies du Golfe persique (Emirates, Etihad, Qatar Airways), grandes pourvoyeuses de commandes, se posent désormais des questions sur leur stratégie et commencent à avoir des difficultés en terme de rentabilité”, ajoute Bertrand Mouly-Aigrot.
Voilà donc pourquoi le marché connait actuellement un ralentissement. Faut-il y voir pour autant une amorce de déclin? “Il peut y avoir une sorte de ventre mou pendant plusieurs années. Mais à long terme il n’y a pas vraiment de doute: le trafic aérien affiche une croissance de 5% par an et la flotte d’avions va doubler d’ici les vingt prochaines années. Il faudra bien construire de nouveaux avions et remplacer les anciens”, développe Bertrand Lemoigne.
Un constat que partage Bertrand Mouly-Aigrot: “Il peut y avoir un ralentissement de la demande mais probablement pas un vrai retournement de cycle car le trafic aérien croît, bon an mal an, de 5% par an”.
Avec bfmbusiness