Faute d’approvisionnement, l’usine du groupe, premier acheteur du pays, est arrêtée. Pourtant, les autorités affirment que la hausse de la production met l’autosuffisance à portée de main.
Fin janvier, les semis de la campagne rizicole de la saison chaude sèche vont bientôt débuter dans la vallée du fleuve Sénégal. En attendant, des dizaines de troupeaux paissent tranquillement dans les parcelles en jachère. Tout juste certains groupements paysans commencent-ils à préparer leurs champs en brûlant les pailles de riz. Pour la plupart des agriculteurs, ce sera la seule récolte de l’année.
La saison d’hiver n’est plus assez rentable
Dans la région, environ 44 000 ha sont exploités pendant la campagne de la saison sèche (de février à juin), mais seulement 25 000 ha lors de l’hivernage (de juillet à novembre), selon Samba Kanté, directeur général de la Société nationale d’aménagement et d’exploitation des terres du delta du fleuve Sénégal et des vallées du fleuve Sénégal et de la Falémé (SAED). C’est pourtant sur cette zone que le pays mise pour devenir autosuffisant dès 2017. Le solde de la production provient des périmètres irrigués du bassin de l’Anambé et des cultures pluviales de la Casamance et du centre du pays.
« Même dans la vallée du fleuve Sénégal, la plus propice à la culture du riz, les rendements ne sont pas suffisants pour inciter les paysans à exploiter leurs champs durant l’hivernage. Ils atteignent 3 ou 4 tonnes par hectare, la moitié de ce que l’on peut récolter lors de la saison sèche », explique Oumar Gueye, propriétaire du groupe Vital, premier acheteur du pays, qui possède une rizerie capable de traiter 120 000 t de riz paddy.
Les agriculteurs expliquent aussi qu’ils n’emblavent pas en raison des dégâts causés par les inondations, le froid et les ravageurs – comme les pucerons et les rats – à cette période de l’année. « Cela vient surtout du peu de temps dont disposent les cultivateurs entre les deux campagnes. Les semis de l’hivernage doivent être réalisés à un moment où ils n’ont plus d’argent et doivent d’abord vendre la récolte qu’ils viennent d’effectuer », insiste Samba Kanté.
Les transformateurs en attente
Bâtie à 17 km de Richard-Toll, à proximité du lac de Guiers, l’usine d’Oumar Gueye tournait sept jours sur sept jusqu’au 23 février. Mais depuis, faute d’approvisionnement, ses deux lignes de production sont arrêtées. Et le resteront jusqu’à la mi-juin. « J’achète 25 000 t de riz aux groupements de la vallée, mais c’est insuffisant. Mes machines ne fonctionnent qu’à 20 % de leur capacité. J’ai investi au total 2,5 milliards de F CFA (3,8 millions d’euros) pour bâtir mes silos, acheter du matériel et j’accumule les pertes : 400 millions à 600 millions de F CFA par an », constate-t-il, amer.
L’État doit arrêter d’investir dans la transformation. Il n’y a pas une rizerie dans le pays qui tourne douze mois sur douze.
L’entrepreneur est d’autant plus inquiet qu’à mi-chemin entre Saint-Louis et Richard-Toll, le groupe français Compagnie agricole de Saint-Louis du Sénégal s’est lancé il y a un an dans la construction d’une rizerie d’une capacité presque équivalente à la sienne. Elle viendra s’ajouter aux 36 usines déjà opérationnelles dans le pays, capables au total de traiter 290 000 t.
« Si rien ne change, nous approvisionner va devenir un vrai casse-tête. Aujourd’hui, il n’y a pas une rizerie dans le pays qui tourne douze mois sur douze. L’État doit arrêter d’investir dans la transformation », alerte l’industriel, dont les finances sont renflouées par les bénéfices qu’il réalise en distribuant des produits pétroliers via sa société Star Energy.
Consommation maison
Pourtant, sur le papier, il n’y a rien de plus rentable que la culture du riz. Quand les importations sont vendues plus de 300 000 F CFA la tonne de riz blanc entier, le groupe Vital le commercialise à 280 000 F CFA la tonne après l’avoir acheté au prix fixé par l’État, 125 000 F CFA cette année. « En théorie, c’est l’affaire du siècle. Mais dans les faits, impossible d’acheter plus de riz », maintient Oumar Gueye.
Si l’État déclare que la production de paddy devrait atteindre en 2017 près de 1 million de tonnes, l’entrepreneur assure qu’on en est loin. « Dans la vallée, lors des deux campagnes, les industriels agréés ont acheté 84 000 t et les petits décortiqueurs en auraient acquis 376 000 t », poursuit-il, incrédule.
Les importations ont dépassé 890 000 tonnes l’an dernier pour des besoins à estimés à 1,1 million de tonnes
Pour Samba Kanté, les statistiques de l’État ne souffrent pourtant d’aucune contestation. Si les industriels souffrent d’un manque de disponibilité, c’est avant tout parce que ce sont les 458 unités artisanales opérationnelles du pays qui transforment 70 % de la production nationale. Celui-ci s’expliquerait aussi par les habitudes d’autoconsommation de certaines communautés et par les exportations clandestines vers la Mauritanie et le Mali. « Oumar Gueye ne connaîtrait-il pas des problèmes de liquidités pour payer son riz ? » glisse-t-il par ailleurs. « Faux », rétorque l’intéressé, qui assure disposer de lignes de crédit de plusieurs milliards inutilisées.
Coûts des infrastructures
Le directeur général de la SAED avance par ailleurs une série d’arguments pour illustrer les progrès de la filière, réalisés grâce aux programmes d’aide mis en place par l’État ces trois dernières années. Des achats de tracteurs et de moissonneuses ainsi que l’installation de stations de pompage ont permis d’améliorer les rendements. « Le problème est que les meilleures terres sont déjà aménagées et qu’aplanir les superficies encore disponibles et creuser des canaux d’irrigation nécessite d’importants investissements.
Sans compter qu’une terre plus légère réclame beaucoup plus d’eau si on utilise la technique classique de la submersion, explique Oumar Gueye. Initialement, nous devions produire le riz avant de le transformer. La communauté de Mbane nous a concédé 6 000 ha. Mais en raison du coût des infrastructures nécessaires, seuls 500 ha ont été aménagés. Finalement, nous avons revu notre modèle économique de fond en comble pour devenir le plus important acheteur de la vallée. Nous nous fournissons en paddy auprès de plus de 320 producteurs et groupements paysans. »
Culture sous pivot ?
Pour contourner les difficultés, le patron de Vital a bien tenté de pratiquer des cultures sous pivots, qu’il a observées aux États-Unis. Trois immenses portiques sur roues équipés de moteurs, pouvant chacun arroser un cercle de 20 ha sont installés à proximité de son usine sur des terres aujourd’hui en friche. « Cette technique limite l’utilisation d’eau et donc le coût de production. Mais pour le moment, on ne la maîtrise pas.
Vital plaide pour la généralisation des contrats permettant de préacheter la récolte aux producteurs
Notamment parce qu’elle nécessite plus de produits phytosanitaires que la méthode classique qui, en inondant les parcelles, empêche le développement de mauvaises herbes dans les rizières. Mais le projet n’est pas abandonné », précise Oumar Gueye, qui cherche également de nouvelles parcelles plus propices à la riziculture vers Podor ou Matam.
Augmenter les crédits aux agriculteurs
À court terme, l’entrepreneur souhaite également que l’on porte une plus grande attention à la valorisation des meilleures parcelles, souvent exploitées pendant une seule campagne. Tout part selon lui d’un manque d’accès aux financements.
« Les paysans n’obtiennent pas les crédits indispensables pour financer les fonds de roulement et l’achat des intrants », confirme Saliou Sarr, président d’honneur du Comité interprofessionnel de la filière riz. « Les banques commencent à peine à s’intéresser au sujet », regrette Oumar Gueye, jugeant l’obligation faite aux producteurs de livrer leur riz pour obtenir un crédit trop complexe.
Qui de l’État ou des entreprises doit agir ?
L’industriel plaide pour la généralisation des contrats permettant de préacheter la récolte aux producteurs, avant même les semis. Les avantages sont a priori nombreux. Les industriels peuvent notamment s’entendre à l’avance sur la variété souhaitée et collecter le riz avant qu’il ne s’abîme faute d’être correctement stocké.
« C’est aux industriels de trouver leurs propres solutions. Si les cultivateurs vendent d’abord aux décortiqueurs, c’est parce que ces derniers les aident souvent à acheter leurs intrants », réagit Samba Kanté, pour qui la priorité de l’État doit rester la hausse de production. Malgré tout, Oumar Gueye reste positif. En 2017, il espère pouvoir acheter suffisamment de riz pour réaliser ses premiers bénéfices.
L’ÉTAT VEUT DONNER LA PRIORITÉ AU RIZ BRISÉ
Selon l’État, la demande de riz entier – entre 30 000 et 50 000 tonnes – serait déjà couverte par la production locale. Pour booster la demande de riz sénégalais, il suggère aux usines de produire plus de brisure. En d’autres termes, de dégrader la qualité de leurs produits pour répondre aux habitudes des consommateurs.
AUTOSUFFISANCE ET IMPORTATIONS GRANDE ÉCHELLE, LE PARADOXE
Le ministre du Commerce a confirmé l’information : le Sénégal a frôlé la rupture d’approvisionnement début 2017. L’Inde, qui fournit 80 % de ses importations, est en pleine récolte et le riz du Brésil et de Thaïlande est plus cher. Mais le gouvernement nie tout effet sur les prix.
Une situation qui met à mal sa communication, puisqu’il a assuré que le pays pourrait atteindre l’autosuffisance cette année. Pourtant, selon les chiffres officiels, les importations ont encore dépassé 890 000 tonnes l’an dernier pour des besoins en riz blanc estimés à 1,1 million de tonnes.