L’entrepreneur sénégalais vient de redémarrer les ex-Moulins Sentenac, rachetés en 2015. Une usine ultramoderne avec laquelle il se projette en Angola et au-delà, tandis que la concurrence s’intensifie à domicile.
Sans tambour ni trompette, Ameth Amar poursuit son aventure industrielle au Sénégal. En dépit de sa grande discrétion, il n’en est pas moins, aujourd’hui, l’un des hommes d’affaires les plus fortunés du Sénégal. Au cours de l’entretien accordé à Jeune Afrique, l’intéressé s’exclame dans un éclat de rire qu’il « aimerai[t] bien en faire partie », avant de préciser : « Honnêtement, je n’en sais rien, car je ne dispose pas de données objectives pour en juger. »
La Nouvelle minoterie africaine-Potou (NMA), ex-Moulins Sentenac (MS), le deuxième pôle industriel de son groupe, implanté à Bel-Air, près du port de Dakar, vient d’entamer sa production de farine panifiable, de pâtes alimentaires et de provende (nourriture animale). Le redémarrage n’a toutefois pas été une mince affaire. Après la prise de contrôle en 2015 des historiques Moulins Sentenac, fondés par la famille française éponyme, l’industriel a dû quasi tout reprendre de zéro.
Le site est maintenant devenu une usine moderne répondant aux normes internationales. Je ne regrette pas cette opération, à laquelle personne ne croyait !
« Nous avons trouvé une usine incompatible avec une exploitation industrielle, les machines étaient vieilles. Nous avons, par exemple, jeté à la ferraille l’usine d’aliments pour bétail et en avons construit une toute neuve », explique-t-il. L’ensemble des travaux, investissement et prix d’acquisition de l’usine compris, avoisine les 12 milliards de F CFA (18,3 millions d’euros). Même si Amar s’était à l’époque gardé de divulguer le montant de la transaction, il confirme à demi-mot, aujourd’hui, l’information de Jeune Afrique selon laquelle l’acquisition des MS n’était pas une si bonne affaire sur un plan strictement financier.
Symboliquement, en revanche, le patron n’est pas peu fier d’être l’un des rares entrepreneurs locaux à avoir pris le contrôle d’une compagnie d’origine étrangère. « Le site est maintenant devenu une usine moderne répondant aux normes internationales. Je ne regrette pas cette opération, à laquelle personne ne croyait ! Nous avons démontré que nous étions capables de réaliser de grandes choses », se félicite-t-il. NMA-Potou a aujourd’hui fait totalement peau neuve. « L’usine d’aliments pour bétail est entièrement pilotée par ordinateur. Le moulin automatisé a également été refait à 90 % avec du matériel ultramoderne acquis chez Bühler. Nos installations font partie des plus sophistiquées du continent », s’enorgueillit-il.
NMA, ingrédients d’une success-story
C’est dans des circonstances presque similaires qu’à la fin des années 1990 il avait racheté (à la Senchim, filiale des Industries chimiques du Sénégal), pour 13 millions de F CFA, une PME moribonde de fabrication de nourriture animale. Il en a fait, en l’espace de deux décennies, NMA, l’une des toutes premières entreprises agroalimentaires du pays.
Avec cette opération, son groupe a accru sa production et amélioré ses parts de marché, devenant ainsi le troisième producteur de farine de blé avec 450 tonnes par jour, le deuxième de pâtes alimentaires et d’aliments pour bétail (800 t par jour), et le leader des aliments pour volaille. Ce qui le hisse dans le peloton de tête des leaders de la filière, avec un chiffre d’affaires annuel d’environ 60 milliards de F CFA et près de 500 collaborateurs.
Quels sont les ingrédients de cette success-story ? La réponse pourrait tenir en quelques mots : sens aigu des affaires, pragmatisme à toute épreuve et obsession pour la réduction des coûts. En effet, cet enfant d’une grande famille de négociants de produits alimentaires du Cayor, dans le nord-ouest du Sénégal, a bâti sa stratégie autour des économies d’échelle. Par exemple, le nouveau pôle de NMA-Potou permettra à l’ancien chef comptable de la défunte société de pêche Procos d’affréter des navires de 12 000 t pour faire venir le blé, contre 6 000 t à 7 000 t auparavant.
Investissement dans le secteur portuaire
Et dans le projet agricole Biosoy, où il s’est allié avec le Fonds souverain d’investissements stratégiques (Fonsis), le marocain Zalar et le français Avril, il produira localement du maïs, intrant de base de la nourriture animale. L’objectif est d’acheter une partie de la production et de stopper les importations coûteuses.
Toujours en quête d’investissements rentables, l’actionnaire de la Banque nationale de développement économique du Sénégal (BNDE) avoue être en prospection dans le secteur portuaire, où il n’exclut pas de s’associer un jour avec, par exemple, des opérateurs comme le français Bolloré ou l’émirati DP World. Ce ne serait là qu’un retour à ses premières amours. De fait, Ameth Amar, après avoir démissionné de ses fonctions de comptable, s’était lancé dans la manutention portuaire à Dakar. C’était à l’orée des années 1980.
Aujourd’hui, cet aficionado qui n’hésite pas à prendre l’avion pour aller assister aux grandes rencontres du FC Barcelone, son équipe favorite, doit relever de nouveaux défis. En effet, le marché sénégalais, saturé, voit son groupe affronter quatre principaux producteurs (GMD racheté par Seaboard, le turc FKS, le sénégalais Sedima et le singapourien Olam). Ameth Amar, qui commercialise déjà ses pâtes Pastami au Mali et dans le reste de la sous-région, muscle son offre de pâtes alimentaires en relançant la célèbre marque Rolli grâce à son usine NMA-Potou.
La menace des importations massives
Son objectif ? Aller au-delà du seul marché ouest-africain – l’Angola est dans son viseur – et conquérir le Vieux Continent. « Nous avons les mêmes machines que celles utilisées en Europe par des fabricants comme les italiens Barilla ou De Cecco, le métier, ainsi qu’une bonne semoule », assure-t-il.
Mais, en attendant, il lui faudra résoudre l’équation des importations massives de pâtes subventionnées, surtout en provenance de Turquie. Conséquence, 25 000 t de ces produits entrent annuellement sur le marché sénégalais quand l’offre locale atteint à peine 20 000 t par an. « Ces importations équivalent à trois ou quatre usines, et représentent entre 200 et 400 emplois », analyse Amar, par ailleurs président du Club d’investissement sénégalo-turc.
Une menace suffisamment forte pour qu’il sonne l’alerte au cours d’une séance du Conseil présidentiel sur l’investissement, en novembre 2017 à Dakar.
Concurrence déloyale
Ce n’est pas de la compétition qu’Amar a peur, mais plutôt de la concurrence déloyale. Ce qu’il demande, c’est l’arrêt de l’importation de ces produits subventionnés, avant de proposer comme solution la création de joint-ventures sur le continent entre entrepreneurs locaux et investisseurs étrangers.
« L’industrie, martèle-t-il, c’est la création de valeur ajoutée, d’emplois ! ». Que pense-t-il de l’arrivée du géant de l’agroalimentaire américain Seaboard, qui a récemment pris le contrôle des Grands Moulins de Dakar et d’Abidjan, du groupe Mimran ? « Aucune inquiétude, assure-t-il. Nous avons bien travaillé avec Mimran, et attendons donc de voir la stratégie de Seaboard pour pénétrer le marché ouest-africain. »
L’état-major du groupe
Claude Demba Diop, directeur général adjoint. Il est l’ancien directeur d’Assurances générales du Sénégal (AGS), devenues AMSA Assurances.
Moussa Doumbouya, directeur général adjoint de NMA-Potou. Débauché des ex-Moulins Sentenac, il est un proche du chef du gouvernement, Mahammed Dionne.
Déthié Ndao, secrétaire général du groupe. Il est l’ancien directeur général de la Sonacos.
Déthié Fall, directeur industriel. Il est le numéro deux du parti d’opposition Rewmi, dirigé par l’ancien Premier ministre Idrissa Seck.
J.A.