Volonté de certains actionnaires de quitter le navire, stratégie indécise, tentatives poussives de diversification… L’avenir de Sifca, géant ivoirien de l’huile de palme et de l’hévéa est incertain.
Olam voudrait quitter au plus vite le navire Sifca. Comme nous le révélions en juin, le géant singapourien cherche depuis de longs mois à céder sa participation de 13,5 % dans le groupe ivoirien, premier employeur privé du pays, avec 28 000 collaborateurs, et leader dans trois secteurs agricoles majeurs : l’huile de palme (Palmci et Sania), le caoutchouc (SIPH et SAPH) et le sucre (Sucrivoire). Il semble loin le temps où, fin 2007, Olam et son compatriote Wilmar, autre géant de la Bourse de Singapour et numéro un mondial de l’huile de palme, annonçaient leur arrivée retentissante dans Sifca, à travers la coentreprise Nauvu.
Selon nos informations, Olam – qui ne confirme ni n’infirme la recherche d’un repreneur de ses parts – entretiendrait des relations délicates avec son partenaire. Le groupe n’aurait, malgré le mandat donné à une banque d’affaires, pas trouvé de candidat pour racheter (pour un montant estimé à 200 millions d’euros) sa participation, bouclée juste avant que Sifca ne rencontre d’importantes difficultés. Car ces dernières années furent pour le moins délicates pour le groupe ivoirien. La dégringolade concomitante des cours de l’huile de palme et du caoutchouc va peser lourdement sur les résultats – le sucre bénéficiant quant à lui d’un tarif fixe en Côte d’Ivoire.
En 2015, l’entreprise enregistre une chute de 64 % de son résultat net, à 3,13 milliards de F CFA (4,8 millions d’euros), contre 8,65 milliards l’année précédente. À cette rude conjoncture s’ajoute le décès brutal du dirigeant historique et actionnaire de référence (avec la famille Billon), Yves Lambelin, enlevé au Novotel d’Abidjan en avril 2011. Avec sa disparition, Sifca perd son principal stratège, un visionnaire qui avait pensé l’ambitieuse réorientation du cacao vers le palmier à huile et l’hévéa, ainsi que le rapprochement avec les Asiatiques.
« Sauver le soldat Sifca »
« Depuis, il y a un grave problème de leadership, ils ne savent pas où ils vont », s’agace un avocat actif dans la région, qui raconte avoir entendu plusieurs fois des banquiers d’affaires s’inquiéter de trouver une solution pour « sauver le soldat Sifca », majoritairement détenu par les frères Billon (44 %, répartis à parts égales au sein du holding Parme Investissement entre les trois frères et la veuve du quatrième, Hervé, décédé en 2012) et par le fils d’Yves Lambelin Alassane Doumbia (21 %, à travers Immoriv).
Sifca n’a plus de stratégie
En 2012, Jean-Louis Billon, l’aîné, se lance dans la politique : il quitte alors son poste de président pour devenir ministre du Commerce, entraînant avec lui Nazaire Gounongbe, alors directeur général adjoint et cheville ouvrière de l’opération RedBack (rachat des activités huile de palme d’Unilever). Aucun des actionnaires ne parviendra ensuite à s’imposer pour reprendre le gouvernail. « Par conséquent, Sifca n’a plus de stratégie, et les familles n’en ont pas encore vraiment pris conscience, se désole un connaisseur de l’entreprise. C’est un paquebot dans lequel on ne met plus de carburant. Pour l’instant, il continue d’avancer, mais un jour cela va s’arrêter. »
Le groupe reste un poids lourd régional, mais, s’il a beaucoup investi durant la décennie de crise ivoirienne, plusieurs grands projets patinent aujourd’hui. En dehors de l’acquisition, au côté de Wilmar, de 49,5 % de Benso Oil Plantations au Ghana (Bopp) en 2013 et du développement de ses activités huile au Liberia (via sa filiale Maryland Oil Palm) – des opérations pensées à l’époque d’Yves Lambelin –, Sifca s’est peu développé dans la région.
On le disait sur le point de s’implanter au Cameroun et au Nigeria, ou encore au Sénégal avec le rachat de Suneor, mais ces projets sont restés sans suite. Mêmes atermoiements autour de la diversification dans la biomasse. Le projet Biokala, qui vise à utiliser les déchets du palmier pour produire de l’électricité, a été reporté et serait, toujours selon nos informations, désormais directement piloté par le partenaire (et coactionnaire) EDF.
Concurrence accrue
Face aux critiques, la direction défend le travail réalisé en interne. « Nous avons profité de la baisse des cours pour nous réorganiser et renforcer notre compétitivité. C’est un chantier très lourd », affirme Alassane Doumbia, qui préside le conseil d’administration. De plus, Sifca a dû faire face à un contexte de concurrence accrue, notamment dans l’huile de palme, à la suite de l’arrivée de nouveaux acteurs en amont – celle de petits huiliers comme Dekel Oil – et en aval – avec le lancement de l’huile Aya, du groupe Sarci, face à Dinor.
Comme le souligne le cabinet d’analyse financière Hudson, l’entreprise a pourtant su « renforcer sa performance opérationnelle » dans ses plantations et ses usines, grâce à l’aide d’Olam et de Wilmar mais aussi à l’installation dans toutes ses filiales d’un programme de gestion informatisé, SAP. « Ils ont mis à profit ces temps de vaches maigres pour faire des investissements et faire baisser les coûts de production », note Seydina Tandian, PDG de l’agence de notation Wara, qui vient de modifier la perspective de Sifca de négative à stable.
De fait, les résultats se sont améliorés ces derniers mois : SAPH (production de caoutchouc naturel) et Palmci (plantations et production d’huile de palme brute), toutes deux en perte nette en 2015, sont redevenues bénéficiaires en 2016, respectivement à 1,17 et 4,13 milliards de F CFA. Une embellie qui, outre les efforts du groupe, résulte aussi d’une reprise des cours depuis la fin de 2016.
Alassane Doumbia assure qu’après avoir consolidé ses bases Sifca renouera bientôt avec une stratégie offensive, en remontant notamment la chaîne de valeur dans ses secteurs. « Notre idée, c’est de ne plus faire que des produits de base mais de proposer tout un panel de produits », dit-il, évoquant la valorisation des sous-produits de la canne à sucre ou encore le savon et les détergents, un marché en forte croissance que Sifca ne pouvait investir en raison d’un accord de non-concurrence avec Unilever, valable jusqu’en 2018. À l’international aussi, Sifca avance, assure-t‑il.
Projets en cours
« Il y a des projets en cours que je ne peux pas dévoiler, nous regardons beaucoup le Sénégal et le Liberia, où nous voulons nous développer avec un nouveau partenaire, et nous n’avons pas abandonné le Nigeria », confie le président du groupe, insistant sur le fait que la deuxième génération est désormais totalement aux commandes, avec une répartition claire des tâches. Un nouvel organigramme, publié fin 2016, l’a désigné président du conseil d’administration – ainsi que directeur du comité exécutif et responsable du développement –, tandis que Pierre Billon, cadet de la fratrie, était nommé directeur général, remplaçant à ce poste Bertrand Vignes.
Le top management semble aujourd’hui stabilisé
Après un long intérim consécutif au décès d’Yves Lambelin, cet ancien cadre de Michelin est revenu à sa spécialité en prenant la tête de la branche caoutchouc. Enfin, deux directeurs généraux adjoints ont été désignés : Nazaire Gounongbe et Nicolas Chabot. Cette redistribution des cartes est saluée par Seydina Tandian, pour qui « le top management, qui constituait jusqu’alors un problème inquiétant, semble aujourd’hui stabilisé ».
Est-ce réellement le cas ? Selon nos informations, l’Indien Kodey Rao, un cadre de Wilmar nommé directeur du pôle oléagineux lors de cette réorganisation, est sur le départ, sans qu’un successeur ait été désigné. De son côté, Pierre Billon, nommé peu avant le débarquement de son aîné du gouvernement, reste très discret. Il se murmure en outre sur la lagune que, dans le sillage d’Olam, les frères Billon songeraient à se retirer de Sifca, qui ne verse presque plus de dividendes, pour se consacrer à leurs autres activités (distribution et télécoms), réunies au sein du holding Sifcom.
Tenté, un temps, de suivre son compatriote, Wilmar aurait décidé de conserver sa position, envisageant même le rachat de celle d’Olam si ce dernier consentait à baisser ses prétentions. Autant de mouvements qui pourraient replonger Sifca dans une période tourmentée ou dessiner, au contraire, un nouveau cap pour un groupe qui n’en est pas à sa première crise : à la fin des années 1990, la libéralisation du secteur du cacao ivoirien avait bien failli tuer Sifca… Avant que le groupe ne renaisse dans d’autres secteurs.
Avec Jeuneafrique