La justice sud-africaine se penche jeudi sur une affaire de corruption suspendue depuis une dizaine d’années comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête du président Jacob Zuma, mis en cause dans une litanie de scandales qui polluent la fin de son règne. Pleine de rebondissements, cette saga politico-judiciaire tient en haleine l’Afrique du Sud depuis… 1999.
À partir de ce jeudi 14 septembre et pendant deux jours, la Cour suprême d’appel de Bloemfontein (centre) se penche sur l’opportunité de rétablir des poursuites engagées contre Jacob Zuma, suspecté à l’époque d’avoir touché des pots-de-vin en marge d’un important contrat d’armement. Aux yeux des commentateurs, elle constitue la plus grave des menaces qui pèsent sur l’actuel président sud-africain, dont l’opposition essaie en vain depuis des mois d’obtenir la destitution avant le terme de son second mandat en 2019.
Il y a dix-huit ans, Pretoria signe avec plusieurs entreprises, dont le français Thomson-CSF (devenu Thales), son plus gros contrat d’armement depuis la chute de l’apartheid en 1994. Le montant, énorme, frise les 4,2 milliards d’euros. Les premiers soupçons de corruption ne tardent pas à apparaître.
Dans la ligne de mire des juges, Schabir Shaik, le conseiller financier de Jacob Zuma à l’époque vice-président de l’époque. Il est accusé d’avoir négocié, pour le compte de son patron, des commissions de la part de deux filiales sud-africaines de Thales. En 2005, M. Shaik est condamné à quinze ans de prison. Le dossier tourne alors à la foire d’empoigne politique.
Longue bataille politico-judiciaire
Le président Thabo Mbeki s’en saisit pour limoger son rival Zuma, à son tour inculpé de 783 chefs de corruption, fraude fiscale et extorsion de fonds. Ces poursuites sont annulées une première fois par la justice, au motif de l’insuffisance de preuves. Zuma, qui a toujours nié toute implication dans ce dossier, prend sa revanche politique fin 2007 en raflant la présidence du Congrès national africain (ANC, au pouvoir).
Mais il est à nouveau inculpé dix jours plus tard. Beaucoup enterrent alors ses ambitions présidentielles. Jusqu’à ce que, nouveau coup de théâtre, un juge décide en 2009 d’invalider la procédure, pour vice de forme cette fois. Quelques semaines plus tard, Zuma est élu chef de l’État. L’affaire semble alors définitivement enterrée…
DA, le parti de l’opposition persévère
C’était sans compter sur la hargne du principal parti d’opposition, l’Alliance démocratique (DA), qui réussit, avec des enregistrements téléphoniques, à prouver la réalité de pressions politiques sur les magistrats en charge de l’affaire.
Et, en avril 2016, un tribunal de Pretoria ordonne finalement le rétablissement des charges retenues contre M. Zuma. C’est cette décision que va examiner jeudi et vendredi la Cour suprême d’appel, saisie sur appel du parquet et du chef de l’État. Elle devrait, espèrent les adversaires du président, la confirmer.
Nous avons un dossier solide en faveur du rétablissement des charges
« Cela fait huit ans et demi que nous avons lancé cette procédure. Nous avons un dossier solide en faveur du rétablissement des charges », a déclaré James Selfe, un député de la DA. « Je ne vois pas de raison pour qu’il en soit autrement ». Jusque-là, Jacob Zuma a toujours réussi à passer au travers des mailles des multiples filets judiciaires que ses adversaires ont tendus sur son chemin. À une exception près.
L’an dernier, il a été contraint de rembourser une partie des travaux de « sécurité » financés par l’argent du contribuable dans sa résidence privée de Nkandla (est). Environ 500 000 euros sur les 20 millions engagés au total. Sinon, le président Zuma est sorti indemne de toutes les motions de défiance et plaintes déposées par l’opposition contre lui.
La succession de Zuma mise à mal
La décision de la Cour suprême d’appel sera lourde de conséquences politiques. Si elle confirmait l’inculpation de Jacob Zuma, elle ouvrirait la porte à un procès contre le président. Et pèserait aussi sur la course à sa succession à la tête de l’ANC, qui élit en décembre son prochain chef.
Le président y soutient son ex-épouse Nkosazana Dlamini-Zuma avec l’objectif, disent ses détracteurs, qu’elle assure sa protection judiciaire. « Les répercussions seraient plus graves pour la campagne de son ex-femme, ça lui ferait beaucoup de tort », pronostique Mari Harris, de l’institut Ipsos Mori.
Avec jeuneafrique