Afin de promouvoir une croissance rapide et durable reposant sur les petits exploitants, la Banque centrale du Nigeria a mis en place un système incitatif d’aide aux prêts agricoles.
Malgré son potentiel pour devenir un acteur majeur du marché alimentaire mondial, le Nigeria affiche des résultats agricoles décevants. Faute, entre autres, d’accès au financement. Pour inverser la tendance, une approche innovante a été mise en place via un programme d’assistance technique et de partage des risques pour les prêts agricoles, baptisé Nirsal (Nigerian Incentive-based Risk Sharing System for Agricultural Lending), doté de 500 millions de dollars (près de 380 millions d’euros) et dont le coup d’envoi a été donné en novembre dernier. Sanusi Lamido Sanusi, gouverneur de la Banque centrale – et élu personnalité africaine de 2011 par le magazine Forbes pour son travail d’assainissement de la finance nigériane -, en détaille les rouages.
Jeune Afrique : Pourquoi le soutien financier à l’agriculture est-il l’une des priorités de la Banque centrale du Nigeria ?
Sanusi Lamido Sanusi : Alors que l’agriculture représente 42 % du PIB nigérian, seul 1,4 % des crédits bancaires est attribué à ce secteur. Notre PIB croît d’environ 7 % chaque année depuis dix ans. Dans le domaine agricole, cette progression n’est due qu’à l’extension des surfaces cultivées et du nombre d’agriculteurs. La productivité, elle, n’a pas augmenté. Nous pourrions atteindre une croissance à deux chiffres en améliorant nos techniques agricoles, en mettant à disposition des semences et des engrais performants, en rendant les marchés plus accessibles… Et, surtout, en permettant aux cultivateurs d’accéder à des prêts. Il y a là un levier de croissance exceptionnel pour le pays.
À quels obstacles se heurtent les entreprises agricoles ?
Les banques ne veulent pas prêter aux agriculteurs par peur du risque et par méconnaissance du secteur. C’est pourquoi nous avons mis en place un système incitatif d’aide aux prêts agricoles, baptisé Nirsal ; les prêts sont garantis par des subventions de la Banque centrale et appuyés par des experts. Si on regarde le travail des gouvernements qui ont un bon bilan en Afrique, comme au Ghana ou en Tanzanie, l’agriculture a toujours été au centre de leurs préoccupations. Il était logique que le Nigeria fasse de même. Il est essentiel pour le développement et pour la stabilité du système financier de prêter à l’économie réelle.
Cette réforme comprend-elle une assistance technique ?
Sans assistance technique, prêter de l’argent pour la culture des tomates ne sera jamais viable sur le plan commercial. Si l’on prête de l’argent à un cultivateur de tomates à Kano, il est fort probable que près de la moitié de sa récolte sera perdue faute de chaudron, de local de stockage, de transport réfrigéré et d’usine de traitement à proximité. L’assistance technique peut porter sur l’engrais, mais aussi sur le rendement élevé des semences, les pratiques agricoles ou le type d’irrigation, par exemple.
Sur quelles chaînes de valeur agricoles vous êtes-vous focalisés ?
Nous nous sommes concentrés sur la culture des tomates, du coton, du maïs, des germes de soja, du riz et du manioc. Prenons l’exemple de la culture des tomates. À Kaduna, la production a chuté en deux ans de 600 000 à 300 000 tonnes. Cette zone peut facilement produire de 3 millions à 4 millions de tonnes par an, mais il faut pour cela disposer des bonnes semences et des bons engrais, réparer le barrage, s’assurer que la production s’étale sur toute l’année. Nous avons adressé au gouvernement des propositions indiquant que nous pouvions transformer cette zone en grenier à tomates, mais que cela impliquait diverses réformes réglementaires ainsi que des ajustements techniques.
Comment avez-vous procédé pour convaincre les autorités concernées ?
Nous avons demandé au ministre de l’Agriculture et à celui des Finances de réfléchir à la façon dont cela pouvait être obtenu. Nous avons proposé aux banques un système de partage des risques pour les encourager à prêter aux cultivateurs des chaînes de valeur concernées. Il a été décidé que, si les banques prêtent à un petit cultivateur, la Banque centrale partagera le risque à hauteur de 80 % des premières pertes, jusqu’à 12,5 % de leur portefeuille. Les banques savent donc que, pour tous les prêts accordés aux petits cultivateurs de tomates dans le cadre du programme Nirsal, elles n’auront à assumer que 20 % des pertes. Cela revient pour elles à un taux de créances douteuses de 3 %, ce qui est nettement plus intéressant que leur portefeuille actuel de prêts à risque.
Et pour les autres types d’exploitations ?
Si elles prêtent aux moyennes et grandes exploitations, nous partageons le risque. Si elles prêtent aux transformateurs et aux négociants, elles prennent 70 % du risque.
Qu’en est-il de l’assurance ?
Il faudra aussi que le ministre des Finances modifie la loi pour permettre aux compagnies d’assurances de couvrir le secteur de l’agriculture. Au final, Nirsal repose sur plusieurs piliers que sont l’assistance technique – avec des conseillers sur le terrain -, la formation des banquiers aux prêts agricoles, l’assurance, un mécanisme d’incitation et de récompense des banques et un classement des établissements reposant sur divers paramètres permettant de déterminer lesquels ont le plus soutenu l’agriculture. Une fois le système de classement en place, nous pourrons instaurer un mécanisme d’incitation permettant aux banques qui se sont engagées dans le prêt agricole d’en retirer un bénéfice financier.
Où en sont les négociations ?
Le président Goodluck Jonathan a accepté la création d’une commission agricole qui regroupe le ministre de l’Agriculture, le ministre des Finances ainsi que le gouverneur de la Banque centrale. Tout ce qui concerne le financement des entrepôts, l’assurance agricole, le contrôle, les agréments, la réglementation en matière de semences à haut rendement et les investissements dans la recherche est du ressort du gouvernement. En tant que régulateur, je suis convaincu que le gouvernement a fait ce qu’il fallait pour ouvrir le secteur et pour le rendre viable sur le plan commercial.
avec JeuneAfrique