Pour affiner leur modèle et faire bon usage de leurs informations stockées, les entreprises font appel à de nouveaux experts. Les besoins sont importants, mais les profils encore rares.
Les masters spécialisés et les options en data science et en big data sont de plus en plus proposés dans l’enseignement supérieur : à l’Institut national polytechnique Félix-Houphouët-Boigny (INP-HB), à Yamoussoukro, depuis la rentrée 2017, ou dans deux établissements de Tunis : l’Université centrale (privée) et l’École supérieure privée d’ingénierie et de technologies (Esprit). « L’enjeu de la formation est d’aligner l’innovation en big data, en intelligence artificielle et en machine learning avec les besoins actuels des entreprises », explique Heny Selmi, responsable de l’option data science à Esprit.
Les étudiants y apprennent à « faire parler » les données, abstraites et hétérogènes, dans le but d’automatiser la prise de décision, et doivent donc maîtriser le langage du statisticien comme celui du commercial. Leur mission comprend la récupération, le nettoyage et l’analyse des données ainsi que la fabrication d’algorithmes capables d’apprendre à résoudre des tâches par eux-mêmes, à partir des données collectées (machine learning). Une révolution technologique qui touche tous les secteurs, mais dont les besoins n’ont pas encore été quantifiés.
Nouvelles qualifications recherchées sur le continent
« Les entreprises comprennent que leur modèle d’innovation est sclérosé. La plupart d’entre elles stockent des données, mais ne les utilisent pas pour innover », souligne Babiga Birregah, responsable du master spécialisé expert big analytics et métriques de l’université de technologie de Troyes (UTT), en France. Alors qu’en 2015 seuls 5 % des recruteurs envisageaient d’embaucher des data scientists, ce chiffre est passé à 13 % en 2016, selon l’étude Digital Trends Morocco. Selon la même source, en 2017, les data scientists dépassaient les développeurs web dans les intentions d’embauche.
« Sur le plan stratégique, l’exploitation de la donnée présente un potentiel inestimable », commente Élisabeth Medou Badang, porte-parole d’Orange pour la zone Afrique et Moyen-Orient, les télécoms étant l’un des secteurs où la production de données est le plus importante. L’opérateur français, partenaire financier du master spécialisé en data science à l’INP-HB, prévoit de recruter au moins dix data scientists par an ces trois prochaines années en Côte d’Ivoire, au Burkina et au Liberia. « Nous avons besoin de ces compétences localement afin de mieux connaître le profil de nos clients », ajoute-t-elle, évoquant des raisons de coûts, mais aussi de proximité avec un marché devenu compétitif.
EN DATA SCIENCE, LES PRATIQUES ÉVOLUENT TRÈS RAPIDEMENT. PLUS QUE L’EXPÉRIENCE, NOUS VALORISONS LES PROFILS ANALYTIQUES, BRILLANTS ET MOTIVÉS », EXPLIQUE UN RESPONSABLE DE JUMIA
En son sein, Jumia, le géant africain de l’e-commerce, dispose déjà d’une vingtaine de business intelligence analysts et de cinq data scientists, au Portugal, au Nigeria, en Égypte et au Maroc. « En data science, les pratiques évoluent très rapidement. Plus que l’expérience, nous valorisons les profils analytiques, brillants et motivés », explique Sami Louali, chargé de la stratégie, des relations avec les investisseurs et du développement chez Jumia.
Depuis la rentrée, l’UTT délivre à Casablanca un diplôme de big data engineer en partenariat avec la start-up marocaine Africa Data Lab. Ce cursus professionnalisant d’une durée d’un semestre est ouvert aux jeunes Marocains diplômés d’un bac+3 en informatique et en mathématiques. Sur douze étudiants, la moitié travaille dans des sociétés de services et de conseil, l’autre moitié vient de l’industrie, de la banque et de l’assurance. « Le but est de les rendre opérationnels sur le marché du travail », explique Babiga Birregah, porteur du projet. Cette formation propose notamment des préparations aux certifications d’éditeurs de logiciels comme Microsoft, IBM ou Amazon.
Des salaires plus élevés en Europe
Ces nouvelles compétences sont très recherchées sur le continent comme ailleurs. À l’Université centrale de Tunis, 40 % des ingénieurs en IT sont recrutés en Europe à la sortie de leurs études, et cette tendance s’accentue après un ou deux ans d’expérience professionnelle, principalement en France. « Les entreprises tunisiennes ne peuvent faire face aux salaires français », reconnaît Houbeb Ajmi, directrice de l’université.
En France, ces jeunes Tunisiens diplômés sont embauchés à partir de 2 200 euros par mois, contre 1 500 dinars (environ 460 euros) en Tunisie. Le salaire d’entrée a cependant doublé dans le pays en cinq ans, signe d’une prise de conscience croissante de la nécessité de valoriser les compétences localement.
Avec jeuneafrique