Ancien du bureau ouest-africain installé à Dakar d’International Crisis Group, organisation internationale de prévention des conflits, avec un focus particulier sur le Sahel, Vincent Rouget, spécialisé dans les enjeux politiques et sécuritaires de l’Afrique de l’Ouest et de la République Démocratique du Congo (RDC), est analyste risque Afrique à Control Risks, cabinet de conseil indépendant spécialisé dans la gestion des risques politiques, sécuritaires, de réputation et d’intégrité. Pour Le Point Afrique, il détaille la difficile cohabitation du terrorisme et des affaires.
Le Point Afrique : comment évolue la perception du risque au Sahel depuis l’onde de choc de l’attaque du Radison Blue de Bamako ?
Vincent Rouget : le risque terroriste a considérablement évolué depuis l’année dernière. Alors qu’auparavant, les groupes terroristes étaient largement confinés dans les zones désertiques du Sahel et du Sahara, Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) a engagé depuis mi-2015 une réorientation stratégique vers le sud, motivée à la fois par sa rivalité avec l’Etat islamique et une volonté de répondre du tac-au-tac aux pertes infligées par l’Opération Barkhane menée par les forces françaises au Sahel. Cela se traduit par un risque accru sur les capitales régionales, particulièrement celles qui hébergent des forces militaires françaises ou une importante population expatriée.
Comment les entreprises et les investisseurs se comportent-ils maintenant qu’ils ont la certitude, après Ouagadougou et Grand-Bassam, que les pays amis de la France sont en première ligne dans l’aversion des djihadistes ?
Dès l’attaque de Bamako, et surtout après celle de Ouagadougou, les entreprises opérant dans la région ont commencé à réévaluer leurs procédures de sécurité pour les adapter à l’évolution de la menace. La plupart des entreprises ont déjà mis en œuvre ces changements, notamment dans la manière dont elles communiquent avec leurs employés, et ne seraient donc pas nécessairement prises au dépourvu par une nouvelle attaque dans la région.
En termes de chiffres, a-t-on des indications significatives de baisse d’attractivité et/ou de baisse d’activité après les attentats de Bamako et de Ouagadougou ? À quoi faut-il s’attendre en termes d’investissements pour la Côte d’Ivoire récemment touchée, et le Sénégal, prochaine cible malheureusement attendue ?
Nous avons enregistré depuis janvier une hausse significative des demandes d’information de la part d’entreprises sur le risque terroriste dans différentes capitales ouest-africaines, notamment Dakar et Abidjan. Cependant, hormis quelques annulations de voyages d’affaires ou d’événements de type forum ou salon, nous n’avons pas à ce jour observé un impact tangible sur l’activité économique : les investisseurs implantés de longue date dans la région ont appris à composer avec le risque et ces attaques ne constituent pas un motif d’inquiétude suffisant pour réduire leur présence. D’autres variables, comme le climat économique, l’évolution des cours des matières premières ou le degré de stabilité politique d’un pays, jouent un rôle beaucoup plus déterminant dans leurs calculs à long terme. En revanche, l’impact risque de se faire sentir sur des nouveaux investisseurs moins familiers de la région, et qui voient, d’Europe, d’Amérique ou d’Asie, les pays dans lesquels ils envisageaient un investissement apparaitre sur la carte du terrorisme islamiste. Cela pourrait à terme induire des retards dans la réalisation de certains projets.
Quelle nouveauté le risque terroriste a-t-il introduit dans l’approche des marchés ?
A l’ère des réseaux sociaux et de l’information en continu, un des principaux défis auxquels les entreprises sont désormais confrontées est celui de gérer les flux d’information parfois contradictoires qui leur parviennent en cas de crise. Beaucoup d’entre elles nous ont fait part de leurs difficultés, lors des récentes attaques à Ouagadougou ou à Grand Bassam, à discerner les faits des rumeurs alarmistes, parfois relayées par leurs propres employés. Une autre question que soulèvent ces attaques, dirigées contre des lieux de loisirs en fin de semaine ou durant le week-end, est celle du degré de responsabilité des entreprises vis-à-vis de leurs employés pendant leur temps libre, en dehors des horaires de travail. Les entreprises sont de plus en plus amenées à adopter une position claire sur cette question, en consultation avec leurs employés et en fonction de la culture d’entreprise.
avec Afriquelepoint