Si le Burkina Faso a désigné, depuis les élections présidentielles de novembre 2015, un successeur à Blaise Compaoré en la personne de Roch Marc Christian Kaboré, l’Afrique de l’Ouest, en revanche, personne n’a trouvé comment remplacer l’ex-président burkinabé dans le rôle qu’il tenait de « parrain » de la sous région.
L’éloignement de Compaoré des affaires explique la terrible panne de leadership que connaissent les pays d’Afrique de l’Ouest.
Compaore, faiseur de paix
Les violences politiques qui ont secoué le week-end dernier le Togo, faisant au moins deux morts, sont venus brutalement souligner l’absence de véritable leadership dans toute la sous-région ouest-africaine. Le rôle « de médiateur sans frontière » que jouait Blaise Compaoré n’est plus tenu par aucun chef d’Etat.
Ce fut en effet en 2005 grâce à la médiation du président burkinabé que le dialogue inter-togolais s’était achevé par la conclusion d’un Accord politique général (APG) qui prévoyait un certain nombre de mesures. Ainsi avaient été actés le retour à la limitation du nombre des mandats présidentiels à deux et l’adoption d’un statut de chef de file de l’opposition. Compaoré n’étant plus aux affaires, les Togolais vont devoir à présent se débrouiller entre eux.
Même si les Ivoiriens n’ont plus aujourd’hui besoin de lui, c’est bien Blaise Compaoré qui a assuré le service « après-vente » de l’Accord de Linas-Marcoussis qui a permis la sortie de la crise ivoirienne de septembre 2002. L’ancien chef de l’Etat burkinabé s’était transformé en arbitre qui recevait les protagonistes ivoiriens chaque fois qu’ils étaient confrontés à un sérieux blocage.
C’est à nouveau lui qui a été l’artisan de l’Accord de paix signé en 2013 en le gouvernement de Bamako et les rebelles touaregs et qui a permis la tenue de la présidentielle de juillet 2013.
Une sortie honorable
Au plan international, Blaise Compaoré était devenu une sorte de « PDG » d’Afrique de l’Ouest, l’homme par qui il fallait passer tantôt pour obtenir la libération d’otages occidentaux enlevés par des groupes terroristes, tantôt pour accéder au pouvoir, tantôt même pour déstabiliser un autre régime. Pour la France, Compaoré était devenu une sorte de « nouvel Houphouët-Boigny ».
En reconnaissance des services rendus à la France, Paris aura d’ailleurs tout tenté pour obtenir une sortie honorable à Compaoré. On se souvient de la lettre envoyée en septembre 2013 à Compaoré par son homologue français François Hollande qui l’assurait du soutien total de la France pour un « poste dans une organisation internationale », s’il acceptait de renoncer à la modification de l’article 37 pour se maintenir au pouvoir.
Même après le renversement de son régime par l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, Paris a tenu exfiltrer l’ancien chef de l’Etat Burkina Faso à travers une opération héliportée montée par la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). « L’ancien médiateur sans frontières » en Afrique de l’Ouest vit désormais un exil doré à Abidjan.
Le Niger en pleine illusion
Plusieurs prétendants à sa succession s’étaient manifestés après son renversement, mais aucun n’a réussi à ce jour réussi à prendre la place qu’il a laissée vacante dans la sous-région.
Le Président Mahamadou Issoufou a cru son heure arrivée. En effet, le chef d’Etat nigérien pensait alors pouvoir capitaliser ses relations personnelles avec l’ancien président français François Hollande pour devenir « l’homme incontournable » dans la sous-région. Son rôle dans la libération des derniers otages d’Areva enlevés en septembre 2010 à Arlit, dans le nord du Niger, puis dans la libération du franco-serbe Serge Lazarevic, avait nourri cette ambition.
Il fallait bien plus que cela pour succéder à Compaoré. Dans la sous-région, le président nigérien n’a pas réussi à faire consensus. Il s’était très vite fâché avec son homologue sénégalais Macky Sall au sujet de la désignation du nouveau président de la Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et lors de l’élection du président de la Commission de l’Union africaine.
L’échec de Issoufou à succéder à Compaoré aurait pu ouvrir un boulevard au président malien Ibrahim Boubacar Keita. Sauf que ce dernier, englué dans ses problèmes politiques et sécuritaires internes, avec un Etat au bord de l’effondrement, n’a pas la tête à gérer un agenda sous-régional.
Les regards se sont alors tournés vers le président ivoirien Alassane Dramane Ouattara (ADO) dont le pays pèse 40% de l’économie de la zone UEMOA. Ce n’est pas suffisant pour prendre le leadership de la sous-région ouest-africaine. Il manquait à ADO une forme de « génie politique » et le sens de l’ingénierie des intrigues.
Le Maroc en embuscade
Les francophones n’ayant pu relever le défi, il ne reste plus à la sous-région qu’à se tourner vers « le géant anglophone » de la sous-région : le Nigeria. Absorbé par l’agenda national, notamment sa lutte sans merci contre la corruption et sa guerre contre la secte Boko Haram, le président Muhammadu Buhari n’a aucune ambition sous-régionale.D’autant plus qu’il est désormais diminué par la maladie qui l’a éloigné pendant trois mois de son pays.
Profitant du vide total, le chef de l’Etat togolais Faure Gnassingbé tente de pousser ses pions. Après avoir organisé avec succès le sommet extraordinaire de l’Union africaine sur la sécurité maritime en octobre dernier à Lomé, il a été porté en juillet à la présidence de la Commission économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Le président togolais se démène par ailleurs pour organiser en octobre prochain le premier sommet Israël/Afrique. Reste à savoir si cela sera suffisant pour assumer le rôle joué auparavant par Compaoré.
Comme pour confirmer que la nature a horreur du vide, le Maroc est désormais en embuscade dans la sous-région. Passé premier investisseur en Côte d’Ivoire, Rabat, qui a tissé sa toile en Afrique de l’Ouest dans les banques, les assurances et grâce à Royal Air Maroc, a obtenu l’accord de principe pour devenir membre à part entière de la CEDEAO. En attendant, la riposte algérienne.