Comment lutter contre les médicaments périmés ou contrefaits qui mettent en danger la santé de millions de personnes en Afrique de l’Ouest ? Face à ce fléau que les Etats ne parviennent pas à endiguer, des start-ups tentent de proposer des remèdes pratiques.
L’idée d’une “pharmacie virtuelle” est venue à Adama Kane, fondateur de la start-up sénégalaise JokkoSanté, quand, avec sa femme, ils se sont rendu compte de la quantité de médicaments inutilisés stockée chez eux, comme dans de nombreuses familles aisées, explique-t-il.
JokkoSanté, qui en est encore au stade pilote, facilite la collecte des médicaments superflus, en échange de points bonus qui permettront à ses usagers (quelque 1.500 pour l’instant) de se procurer ceux dont ils ont besoin.
Lors d’un sommet au Liberia en avril, les 15 pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ont annoncé le lancement d’une enquête sur le trafic de médicaments expirés ou contrefaits et d’une campagne de sensibilisation au phénomène.
Les plus concernés par le problème de l’accès aux médicaments sont “les couches les plus vulnérables de la population. Ceux qui n’ont pas les moyens” d’en acheter, et qui doivent se rabattre sur des médicaments douteux, relève Adama Kane.
“Notre application est utilisée par les hôpitaux, les pharmacies et les centres de santé” qui réceptionnent les produits collectés, souligne-t-il.
Par un compte sur leur téléphone portable, les utilisateurs peuvent ensuite dépenser leurs points pour effectuer de nouveaux achats.
– Un code pour vérifier l’authenticité –
“Maintenant, ni moi ni mes proches n’avons plus de problème pour accéder aux médicaments. Il suffit de venir, de collecter des points”, affirme à l’AFP Marie Gueye, qui troque des médicaments contre l’asthme pour des points bonus dans un centre de santé à Passy (centre du Sénégal).
Les médicaments périmés ou contrefaits sont non seulement inefficaces, mais peuvent favoriser la résistance aux antibiotiques, voire causer la mort, en privant les patients de traitements efficaces, selon les experts.
Dans un numéro spécial il y a deux ans, l’American Journal of Tropical Medicine and Hygiene rapportait ainsi que deux antipaludéens – un faux et un autre de piètre efficacité – étaient incriminés dans la mort de plus de 122.000 enfants africains en 2013.
Pour ceux qui ont du mal à payer, dans un pays où plus de la moitié de la population est dépourvue d’assurance maladie, JokkoSanté a mis en place un système de parrainage par de grandes entreprises qui leur donne accès à des médicaments gratuits.
A l’hôpital pour enfants de Diamniadio, près de Dakar, Yacina Ba a pu en bénéficier pour soigner son bébé, après avoir épuisé son budget de 50.000 francs CFA (76 euros).
Ailleurs sur le continent, la start-up Sproxil, lancée en 2009, permet aux consommateurs de vérifier l’authenticité du médicament, là encore grâce à la téléphonie mobile.
Sous une zone à gratter de la boîte de médicaments, ils peuvent trouver un code d’identification, à envoyer par SMS à l’entreprise, qui leur répond sur l’authenticité du produit.
– Trafic depuis l’Inde, contrefaçons de Chine –
En six ans, Sproxil a enregistré plus de 50 millions d’échanges de textos en Afrique et en Inde, indique Ireti Oluwagbemi, son porte-parole au Nigeria, le premier pays africain où Sproxil ait été lancé.
L’entreprise compte parmi ses clients des géants pharmaceutiques, auxquels les faux médicaments coûtent chaque année des millions. Comme pour les autres types de contrefaçon, les fraudeurs “ciblent les marques en fonction de leurs parts de marché”, les plus connues étant par conséquent les plus touchées, souligne M. Oluwagbemi.
La contrefaçon de médicaments concernerait 10% des produits en circulation dans le monde, soit un chiffre d’affaires estimé à quelque 85 milliards d’euros, selon l’Institut de recherche anti-contrefaçon de médicaments (Iracm) basé à Paris. Mais en Afrique subsaharienne, cette proportion s’élève plutôt à 30%, selon les spécialistes.
L’Inde est le premier pays d’origine des produits pharmaceutiques illicites – vrais médicaments introduits en contrebande ou médicaments mal conditionnés ou périmés – tandis que les contrefaçons viennent surtout de Chine, selon l’Organisation mondiale des douanes (OMD).
Au Ghana, l’Ordre des pharmaciens a adopté comme norme pour toute la profession un système similaire de zone à gratter, commercialisé par la start-up mPedigree, qui publie aussi une carte pour repérer les zones à risques en matière de faux médicaments.
Car la prévention est quasiment la seule arme face à des contrefaçons très souvent impossibles à distinguer des médicaments authentiques, alors que la répression reste dérisoire dans bien des pays africains, aussi bien en nombre de poursuites judiciaires que par les peines encourues.
Avec APR