Kurudi kwa huduma ya nchi yake (« Servir son pays en y revenant »), quelques mots de swahili répétés aujourd’hui, en de multiples langues, dans toute l’Afrique. Au cours de l’histoire et sur tous les continents, les migrations ont souvent été dictées par des circonstances funestes, famines, servitude, conquêtes, expulsions, partitions ou fuite. Moins dramatiques, des opportunités économiques ont attiré des populations vers le large, comme les Portugais vers le Brésil à partir des années 1800 ou les Européens vers l’Amérique du Nord à l’aube du XXe siècle. En sens inverse, les retours ont généralement été plus joyeux, qu’il s’agisse d’aliyah vers une terre promise ou d’émigrés rejoignant leurs patries libérées de leurs dictateurs. Le Chili comme la Russie, l’Argentine, la Birmanie ou la Roumanie voient ainsi revenir élites et travailleurs dont l’ambition principale est de reconstruire. Même les rares tyrannies encore en place assistent au retour prudent d’anciens expatriés, qu’elles se soient assouplies ou que leur fin apparaisse comme de plus en plus inéluctable.
Alors que la démocratisation de l’Afrique est presque parachevée, ce qui s’y passe sur le plan des retours est le résultat d’une tradition d’émigration économique vers les anciens pays colonisateurs. Le phénomène remonte à l’époque des indépendances. Mais aujourd’hui, les Africains rentrent chaque mois par milliers… Vers Yaoundé ou Pointe-Noire, Lomé ou Kisangani, Bouaké ou Ouagadougou. Ce qui est vrai pour l’Afrique francophone l’est aussi pour les pays de langue anglaise ou portugaise. L’« immigration du retour », ce sont tous ces travailleurs africains d’Europe et d’ailleurs, fatigués par un ancien eldorado qui paraît parfois à bout de souffle, par une paralysie croissante de ses systèmes sociaux ou syndicaux et par un rétrécissement du marché de l’emploi qui génère d’abord la précarité, puis souvent la xénophobie ou le racisme.
Des domaines d’application multiples
Ces flux migratoires inversés apportent une forte valeur ajoutée au capital travail des pays récepteurs, car ils concernent des individus le plus souvent formés et expérimentés. Pour les économies africaines, qui se diversifient et deviennent plus sophistiquées, l’apport est d’autant plus important qu’il concerne, dans chaque industrie, des méthodes et techniques déjà appliquées ailleurs. En macroéconomie, cela s’applique à des transferts de technologie véhiculés par des agents formés. Avant d’acheter aux pays dits « développés » des gros équipements comme des avions ou du matériel de travaux publics, nombre de clients « moins développés » essaient d’obtenir de telles clauses dans les contrats et elles leur sont souvent refusées… Voilà soudain que l’Afrique peut s’off rir ces transferts grâce à l’expérience acquise par ses propres travailleurs ! Les domaines d’application sont multiples, autant dans l’industrie que dans les services ; techniques de pointe et réduction des coûts de production pour l’une, nouveaux concepts et raccourcis de mise en œuvre pour les autres. Citons, en se limitant aux sujets traités depuis quinze mois par Forbes Afrique pour s’épargner une longue énumération, les technologies d’exploitation de minerais ou de production de ciment en Afrique de l’Ouest et les nouveaux services aux investisseurs commercialisés par les Bourses régionales. L’intervention sur place de cadres et techniciens africains formés ailleurs à ces spécialités constitue une mine d’économies et de temps gagné.
Rien n’illustre mieux cette tendance au retour que l’existence depuis plus de dix ans maintenant de forums de recrutement pour les anciens expatriés, non seulement sur tout le continent, mais aussi en amont, notamment à Paris et Washington. Que l’édition parisienne d’une manifestation comme Africtalents soit devenue annuelle et que celle des Etats-Unis ait une fréquence en progression constante résume parfaitement une situation qui n’est pas seulement due au blues ambiant des économies occidentales ou à la crise morale qui paralyse les initiatives. Victimes de la dégradation de leurs opportunités et conditions de travail en Europe, les travailleurs africains constatent le progrès chez eux et veulent s’asseoir à la table pendant qu’il reste de la place.
La démarche n’est donc pas entièrement altruiste, mais pourquoi devrait-elle l’être ? Devenus très visibles et réputés, les grands cabinets africains de recrutement et les salons qu’ils organisent ont un rôle de catalyseur, mais ne constituent souvent que la partie émergée de l’iceberg. Le reste, ce sont les réseaux sociaux, la communication avec la famille restée en Afrique, les contacts professionnels, versions modernes de l’ancien « téléphone brousse ». Du fait de l’évolution des sociétés africaines, la réinsertion n’est pas toujours sans problèmes pour ceux qui reviennent. Raison de leur retour, leur bagage professionnel étranger constitue généralement un plus dans les compétences et la compétition avec les candidats locaux, mais expose les nouveaux venus, surtout les premiers mois, à des jalousies et rejets de la part des purs autochtones.
Quant à l’accoutumance aux nouvelles réalités africaines, elle peut prendre du temps. Pour ceux qui ont grandi ailleurs comme enfants d’émigrés ou sont partis il y a quinze ans et plus, l’Afrique qu’ils retrouvent est bien di fférente de celle du départ. En fonction des pays et des branches d’activité, les rémunérations, couvertures sociales, avantages de fonction et qualité de vie varient grandement et sont à réapprendre. C’est donc bien d’un challenge fait d’espoirs et de risques qu’il s’agit pour ces entrepreneurs et travailleurs qualifiés qui n’hésitent pas à changer de cadre de vie pour participer à l’essor de leur pays et pour y mener une vie meilleure.
Cent cinquante ans après le « Go West, Young Man » de la conquête de l’Ouest américain, il s’agit là aussi de conquérir une frontière, mais à une époque que tout indique comme bien choisie… Le développement du monde est décidément un continuel recommencement !
Avec africa24news