Absence de grands contributeurs comme l’Algérie ou l’Afrique du Sud, erreurs de communication, vision hésitante de la nature des participations futures… Le lancement du fonds Africa50, initié par la Banque africaine de développement et domicilié à Casablanca, a connu un démarrage poussif. Explications.
Le fonds Africa50 aurait-il raté son lancement ?Plusieurs éléments portent à le croire. Programmée initialement le 29 juin, l’assemblée générale constitutive de ce véhicule d’investissement dans les infrastructures initié par la Banque africaine de développement (BAD) s’est finalement tenue le mercredi 29 juillet, à Casablanca, place financière où Africa50 est domicilié.
Le lancement du Fonds, présenté à l’hôtel Hyatt Regency de Casablanca, a connu plusieurs couacs.
Après la fin des travaux de l’assemblée générale tenue dans la matinée, Donald Kaberuka, le président sortant de la BAD, Mohamed Boussaid, le ministre marocain de l’Économie et des Finances, et Alassane Ba, le directeur par intérim du fonds Africa50, ont insisté devant la presse sur le succès de l’opération, avec un closing initial d’un milliard de dollars et la participation de 20 pays. Ils ont par ailleurs annoncé la tenue en décembre d’une nouvelle assemblée extraordinaire pour élargir le tour de table à de nouveaux pays du continent et dépasser ainsi la barre symbolique du milliard de dollars.
Le montant du closing n’est pas « proche du milliard de dollars », comme annoncé devant la presse, mais de 830 millions de dollars…
À ceci près que seuls 17 pays – aux côtés de la BAD qui a apporté 100 millions de dollars – étaient mentionnés comme fondateurs du fonds dans la liste envoyée à Jeune Afrique le même jour par les services de presse du bureau marocain de l’institution panafricaine.
Alors 17 ou 20 pays contributeurs ? La réponse apparaît dans le communiqué de presse diffusé par la BAD, vingt-quatre heures après la tenue de l’AG. On y apprend deux choses : le Soudan, le Mali et Djibouti, qui n’apparaissaient pas dans la première liste, font partie des pays fondateurs d’Africa50. Et le montant du closing n’est pas « proche du milliard de dollars », comme annoncé devant la presse, mais de 830 millions de dollars !
Comment s’explique cet écart ? Et comment se fait-il que trois pays soient apparus subitement dans la liste des actionnaires ? À la première question, Alassane Ba répond : « Pour des raisons de communication, nous avons préféré un titre comme Africa50 frôle le milliard de dollars et fera un second closing avant la fin de l’année pour dépasser le milliard ».
En ce qui concerne les contributeurs, le dirigeant mauritanien nie tout cafouillage : « Le Soudan, le Mali et Djibouti ont été acceptés comme membres fondateurs avant la conférence de presse ». Pourquoi ne figuraient-ils pas sur la liste initiale ? Silence radio.
Tout ce que l’on sait, c’est que les représentants de ces trois pays étaient présents lors de l’AG constitutive : « Le Mali était représenté par un conseiller du ministre des Finances, idem pour Djibouti. Par contre, le Soudan était représenté par son ministre des Finances », précise Alassane Ba. Dont acte.
Volte-face
Autre élément, cette fois stratégique, qui a changé entre la conférence et le communiqué de presse : la possibilité d’ouverture du tour de table à des pays ou des institutions financières non africaines. À cette question, posée pendant la conférence de presse, Mohamed Boussaid – élu président du conseil des gouvernants d’Africa50, la plus haute instance décisionnelle du fonds— a répondu : « C’est une initiative africaine, portée par les Africains, pour les Africains ». Sur quoi, Donald Kaberuka a renchéri : « Les institutionnels étrangers pourront bien sûr participer aux levées de fonds qui seront lancées par Africa50 pour financer des projets d’infrastructures sur le continent ».
Comprendre : les pays ou organismes étrangers ne sont pas admis au tour de table, mais seront, effet de levier oblige, des bailleurs de fonds potentiels pour des opérations précises de financement de projet. Ni plus ni moins…
Rien à voir donc avec les termes du communiqué diffusé le lendemain de l’AG. « Bien que cette première clôture était réservée aux pays africains, il est prévu que les prochaines levées de fonds soient ouvertes non seulement aux pays africains qui n’ont pas encore contribué, mais aussi aux investisseurs non-souverains en Afrique et hors d’Afrique », signale le communiqué de la BAD.
Un autre couac qui en dit long sur le lancement hésitant d’Africa50, ce projet rêvé par Donald Kaberuka, mais qui a décidément du mal à convaincre.
De grandes puissances comme l’Algérie ou l’Afrique du Sud n’ont pas contribué au fonds Africa50. D’aucuns avancent que le Nigéria n’a rejoint les contributeurs que sur le tard.
Absences et susceptibilités
En effet, outre le gap entre les ambitions affichées par les initiateurs du fonds et ce qui a été réalisé réellement (un premier closing de 3 milliards de dollars avait été évoqué en 2013), il faut noter que de grandes puissances financières du continent comme l’Algérie ou l’Afrique du Sud, n’ont pas contribué au fonds Africa50.
Une absence remarquée et que d’aucuns expliquent par le choix de Casablanca comme siège des activités du fonds. « Les positions de ces deux pays vis-à-vis du Maroc et de sa politique africaine sont connues. Ils n’ont peut-être pas apprécié le fait que Donald Kaberuka ait choisi Casablanca comme siège du fonds. C’est dommage qu’on n’arrive toujours pas à dépasser ces susceptibilités politiques quand il s’agit de construire ensemble l’avenir de notre continent », a regretté un responsable marocain.
De même, plusieurs sources avancent que le Nigéria n’a rejoint les contributeurs au fonds Africa50 que sur le tard. Une décision à laquelle n’a peut-être pas été étrangère l’élection du Nigérian Akinwumi Adesina à la tête de la BAD en mai dernier – son mandat débute en septembre 2015. Pourtant, la contribution d’Abuja (inférieure à 100 millions de dollars) est bien en deçà du standing de la première puissance économique du continent.
Au final, si 20 pays ont pris part au premier closing de ce fonds près de la moitié du capital initial a été apportée par seulement trois États : le Congo (200 millions de dollars), le Maroc (100 millions) et l’Égypte (100 millions). Ce qui soulève d’emblée des questions sur la représentativité et sur le partage du pouvoir au sein des instances décisionnelles du fonds.
Avec Jeune Afrique