Solution Constitutionnelle boiteuse proposée à Alpha Condé par Albert BOURGI et autres. Changer la constitution pour contourner la limitation du nombre de mandat présidentiel est constitutif de « fraude à la loi » entre autres.
Attention ! Dites au président Alpha Condé et à tous ses soutiens présents et futurs, qu’on n’est jamais aussi fragile qu’au moment où on croit être le plus fort car, on ne se méfie plus de rien. Ce qui est possible au Congo Brazzaville n’est pas forcément possible en Guinée. L’avenir proche voire très proche ne manquera pas de nous édifier sur cette question.
S’agissant de la volonté d’Alpha Condé de frauder la constitution par des manœuvres de contournement de la limitation du nombre de mandat présidentiel par l’adoption d’une nouvelle constitution, j’attire son attention sur le principe selon lequel : « FRAUS OMNIA CORRUMPIT, c’est-à-dire, la fraude corrompt tout ». Elle fait exception à toutes les règles. Exemple : La règle est que la loi soit respectée. Mais, si l’application de la loi est entachée de fraude, il faut faire exception à la règle qui impose le respect de la loi pour faire échec à la fraude car la loi est faite pour être appliquée et non pas pour être contournée par des manœuvres frauduleuses telles que le changement de la constitution pour contourner la limitation du nombre de mandat présidentiel. Cette notion de » fraude à la loi » fait partie des mécanismes correcteurs des « excès et des lacunes » de l’application mécanique des normes juridiques qui peut parfois donner des résultats contraires à l’objectif visé par le législateur.
Depuis la destitution illégale de monsieur Kèlèfa SALL, le président de la Cour Constitutionnelle, le président Alpha Condé et ses proches ne cachent plus leur intention de soumettre au référendum, une nouvelle Constitution qui lui permettrait de briguer un autre mandat présidentiel. Selon de nombreuses sources, la Constitution que le président guinéen veut soumettre au référendum serait déjà prête depuis très longtemps. La solution proposée à Alpha Condé par ses conseillers constitutionnalistes consiste à remplacer l’actuelle constitution par une autre qui lui permettrait d’être candidat à l’élection présidentielle de 2020.
Pourtant, sa nouvelle candidature est interdite par la constitution en son article 27. Des analyses diverses et variées continuent dans le milieu des observateurs de la vie politique guinéenne. Selon certains observateurs, y compris certains juristes, une solution légale s’offrirait au président Alpha Condé lui permettant de contourner la limitation du nombre de mandat présidentiel. Pour ces personnes, faute de pouvoir réviser l’article 27 de la constitution verrouillé par l’article 154, la solution passerait par la proposition d’une nouvelle constitution qui ne prévoit pas de limitation du nombre de mandat présidentiel. C’est cette voie qui serait privilégiée par ses conseillers constitutionnalistes.
De ce qui précède, il est légitime de poser la question de la légalité des manœuvres ostentatoires de contournement de la limitation du nombre de mandat présidentiel par l’adoption d’une nouvelle constitution ?
Il ne me semble pas excessif de soutenir que, ceux qui pensent trouver la solution du troisième mandant pour le président Alpha Condé dans le remplacement de la constitution actuelle par une autre, n’ont pas suffisamment exploré ou analysé la législation guinéenne, voir les normes internationales sous leurs angles du respect de la loi et les sanctions attachées aux manœuvres sournoises consistant à utiliser une loi pour violer une autre loi.
Une analyse rigoureuse des normes guinéennes démontrera que le contournement de la limitation du nombre de mandat présidentiel par l’adoption d’une nouvelle constitution est une violation flagrante de la constitution avec circonstance aggravante car, ne pouvant émaner que de deux institutions constitutionnelles à savoir, le président de la République et les députés, seuls compétents en la matière sur le fondement de l’article 152 alinéa 1er de la constitution qui dispose que : « L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au président de la République et aux députés ».
La prohibition d’un troisième mandat est consacrée par l’article 27 de la constitution en ces termes : « Le président de la République est élu au suffrage universel direct. La durée de son mandat est de cinq ans, renouvelable une fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels, consécutifs ou non ».
L’article 27 ne fait aucune exception et ne laisse aucune possibilité de troisième mandat, même celle qui passerait par le remplacement de la constitution actuelle par une autre car, la constitution dit qu’en aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats, elle n’a pas dit sauf changement de constitution. Je justifie cet argument par le fait que, la légalité de l’éventuelle décision d’Alpha Condé de soumettre une autre constitution au peuple de Guinée, est évaluée par rapport à l’actuelle constitution. Toute loi ou décret, même portant sur le futur (comme l’éventuelle nouvelle constitution), doit être conforme aux lois et à la Constitution en vigueur, sans quoi ils seront illégaux pour inconstitutionnalité.
Il se trouve que les articles 27 et 154 de l’actuelle Constitution interdisent la révision constitutionnelle portant sur le nombre et la durée du mandat présidentiel. De ce fait, la proposition d’adoption d’une nouvelle constitution qui ne comporterait pas la limitation du nombre de mandant à deux, violerait les articles 27 et 152 de la constitution en vigueur par des manœuvres de contournement. De même, la fraude à la loi, le détournement de pouvoir et abus de pouvoir qui constituent les passages obligés d’Alpha Condé pour changer l’actuelle Constitution sont aussi réprimés par les lois guinéennes. Par ces motifs, toute manœuvre avouée ou inavouée ayant pour but de contourner la limitation du nombre de mandat présidentiel, qu’elle passe par la révision constitutionnelle ou par l’adoption d’une nouvelle constitution est constitutive de fraude à la loi, de détournement de pouvoir et d’abus de pouvoir entre autres.
Pour éviter d’être trop long dans ma démonstration, je me limite à la notion de fraude à la loi et aux conséquences qui lui sont attachées, car c’est cette infraction qui constitue la principale solution que les Conseillers en matière constitutionnelle d’Alpha Condé ont trouvée. Mais, ils doivent se rendre à l’évidence qu’aucune solution légale ne peut en découler. Le passage en force en flagrante violation de la Constitution reste leur seule solution. Il appartient aux Guinéens de voir s’ils peuvent laisser leur Constitution se faire piétiner.
Fraude à la loi
La notion de « fraude à la loi » désigne la manipulation d’une situation juridique dans le but de transgresser une loi dans son esprit ou dans sa lettre pour éviter certains de ses effets. Par exemple : utiliser l’Article 152 de la constitution qui permet au président de prendre l’initiative de révision constitutionnelle dans l’intérêt du peuple et non pas dans son intérêt personnel pour transgresser l’article 27 qui limite le nombre de mandat présidentiel à deux mandats en remplaçant l’actuelle constitution par une autre qui ne limite pas le nombre de mandat présidentiel afin de permettre au président Alpha Condé de briguer un troisième mandat est un exemple parfait de fraude à la loi.
Les trois éléments constitutifs de l’incrimination de » fraude à la loi » sont les suivants :
Élément subjectif : Il faut démontrer l’intention frauduleuse de la personne mise en cause.
Dans le cas Guinéen, l’intention frauduleuse du président Alpha Condé sera prouvée par sa proposition d’une nouvelle constitution lui reconnaissant le droit d’être candidat pour l’élection présidentielle de 2020 à la place de l’actuelle constitution qui le lui refuse. Cette éventualité démontrerait qu’Alpha Condé, au lieu de se servir de l’Article 152 de la constitution qui lui permet de proposer des révisions constitutionnelles exclusivement dans l’intérêt général, s’en servirait illégalement pour son propre intérêt.
Élément objectif ou fait matériel : Il faut démontrer la manipulation des éléments de faits
Dès qu’une nouvelle constitution ne comportant pas de limitation du nombre de mandat présidentiel ou qui permettrait la candidature d’Alpha Condé sera proposée à l’approbation populaire par référendum ou par voie parlementaire, les conditions de l’élément objectif et de l’élément matériel constitutifs de fraude à la loi seront réunies.
Élément légal : Il faut démontrer la loi qui fait l’objet de fraude
Ici, il est question de montrer la loi ou les lois qui font l’objet de fraude ou de tentative de fraude par les manœuvres inavouées d’Alpha Condé. Ces lois sont au nombre de deux à savoir, celle qui limite le nombre de mandat présidentiel à deux et celle qui interdit que la réforme constitutionnelle porte sur le nombre et la durée du mandat présidentiel à savoir, les articles 27 et 152 de la Constitution.
Il est aisé de comprendre que les trois éléments constitutifs de l’incrimination de fraude à la loi mentionnés ci-dessus seront automatiquement réunis dès que le président Alpha Condé ou les députés qui lui sont favorables prendront l’initiative de proposer une nouvelle constitution qui ne comporterait pas la limitation du nombre de mandat présidentiel à deux ou qui permettrait la candidature d’Alpha Condé pour un troisième mandat. Si le président de la République utilise l’article 152 de la constitution qui lui donne le pouvoir de proposer la révision constitutionnelle pour seul motif de contourner ou de faire échec à l’article 27 de la constitution qui limite le nombre de son mandat à deux, il se rendra coupable de fraude à la loi ou à la Constitution.
Venant d’un président de la République, ce fait sera constitutif de haute trahison pour entre autres, violation du serment présidentiel consacré par l’article 35 de la constitution à savoir, son obligation de : « respecter et de faire respecter scrupuleusement la loi… ».
La fraude à la loi telle que celle qui se dessine en Guinée est une pratique très ancienne face à laquelle les juges ne sont pas restés indifférents. Un des célèbres exemples est celui d’une princesse française (la princesse de Bauffremont) dont l’affaire a été jugée par la chambre civile de la Cour de cassation française le 18 mars 1878. Dans cette affaire, la princesse de Bauffremont voulait divorcer alors que le divorce était interdit par la loi française. Cependant, les juges français reconnaissaient les divorces prononcés par les juridictions des pays dont les lois l’autorisaient. Pour frauder la loi française, la princesse de Bauffremont avait légalement cherché et obtenu la nationalité du duché de Saxe – Altenbourg (Territoire allemand). Ensuite, elle avait également demandé et obtenu le divorce dans le duché de Saxe – Altenbourg, puis, elle avait tenté de faire reconnaitre son état de divorcé en France du fait que les juges français reconnaissaient les divorces prononcés à l’étranger. Cette manœuvre lui permettait de contourner ou de frauder la loi française qui interdisait le divorce. C’est à cette occasion que la Cour de cassation française avait posé la première pierre de sa doctrine relative à la notion de fraude à la loi. Pour la Cour de cassation, la princesse de Bauffremont avait légalement sollicité et obtenue cette nationalité nouvelle, non pas pour exercer les droits et accomplir les devoirs qui en découlent …, mais dans le seul but d’échapper aux prohibitions du divorce par la loi française… ».
De ce fait, la Cour de cassation avait confirmé l’arrêt de la Cour d’appel qui avait refusé de reconnaitre les effets du divorce de la princesse de Bauffremont en France, en considérant entre autres que, la nationalité étrangère qui avait permis à la princesse de divorcer, n’avait été sollicitée que pour contourner et frauder la loi française qui interdisait le divorce. La loi n’est pas faite pour être contournée, mais, pour être respectée. Bien que la nouvelle nationalité de la princesse ait été obtenue conformément à la loi du duché de Saxe – Altenbourg, mais, étant fondée sur la fraude, elle ne peut avoir d’effet en France car la fraude corrompt tout et elle fait exception à toutes les règles.
Dans le cas de la Guinée, il ne fait aucun doute que l’adoption d’une nouvelle constitution ne comportant pas de limitation de mandat présidentiel, ne sera motivée que par la volonté de frauder l’article 27 de la constitution qui limite le nombre de mandat présidentiel. De ce fait, la compétence du président Alpha Condé de prendre l’initiative de la révision constitutionnelle sur le fondement de l’article 152 de la constitution doit être légalement paralysée.
Il est important d’attirer l’attention des partisans de l’adoption d’une nouvelle constitution que le système juridique prévoit des mécanismes correcteurs des règles de droit ayant pour fonction de corriger ses excès et ses insuffisances susceptibles de profiter aux personnes de mauvaise foi. Il en est ainsi entre autres, du principe selon lequel «la fraude fait exception à toutes les règles ». Pour illustrer ce principe, je me réfère à la règle constitutionnelle guinéenne qui permet au président de la République de prendre l’initiative de révision constitutionnelle. S’il s’avère que l’initiative est motivée par la fraude, l’exception sera faite à la règle dont l’application permet au président de la République de prendre l’initiative de révision constitutionnelle, et son initiative sera déclarée frauduleuse et rejetée, sans faire abstraction d’éventuelles infractions que cela peut engendrer. La loi est faite pour être respectée et appliquée, non pas pour être contournée.
Il faut dire aux partisans du troisième mandat qu’il n’existe aucune voie légale permettant un éventuel troisième mandat pour le président Alpha Condé. La seule possibilité qui leur reste, est de dire haut et fort au peuple de Guinée qu’ils ont décidé de violer la constitution (notre contrat social), de ce fait, ils seront tenus pour responsables de tout ce qui en découlera comme tragédie humaine qui est inhérente à de tels comportements.
Makanera Ibrahima Sory (Juriste)
Fondateur du site « leguepard.net »