La Tunisie vient d’amorcer un virage important : au premier jour des négociations concernant l’accord de libre-échange complet et approfondi (Aleca), le 28 mai à Tunis, le pays a semblé décidé à prendre son temps avant de parapher l’accord, notamment pour être plus à l’écoute de la société civile.
Le gouvernement tunisien ne viserait plus une signature de l’accord de libre-échange complet et approfondi (Aleca) avant la fin 2019, contrairement à ce qu’affirmait il y a encore peu de temps le chef du gouvernement Youssef Chahed. C’est le point principal qui est ressorti du deuxième round des négociations concernant l’Aleca, qui se tenait à Tunis ce lundi 28 mai, à La Kasbah, au siège du secrétariat général du gouvernement.
En tant que négociateur pour la Tunisie, le secrétaire d’État au Commerce extérieur, Hichem Ben Ahmed, y recevait son alter ego du côté européen, Ignacio Garcia Bercero, directeur à la Commission européenne. Le premier temps des négociations avait eu lieu en avril 2016 à Tunis.
2019 n’est plus une obligation
D’autres discussions auront de nouveau lieu entre septembre et octobre prochains, mais dès cette première journée de négociations, la possibilité de signer l’accord après 2019 a été éventée. De quoi satisfaire plusieurs voix de la société civile, qui demandent depuis 2016 au gouvernement tunisien de prendre son temps avant de parapher l’accord.
Lors d’une rencontre organisée en avril en présence du Syndicat des agriculteurs de Tunisie (Synagri), plusieurs professionnels demandaient encore que la Tunisie mette au point une stratégie agricole claire avant de signer l’Aleca, pour que le secteur en profite réellement. « En clair, les professionnels demandent une feuille de route et l’établissement de stratégies sectorielles pour appréhender l’accord et négocier au mieux. L’Aleca peut profiter à la Tunisie, s’il épouse la stratégie de cette dernière », explique Lobna Jeribi, ancienne membre de la Constituante et présidente du think tank Solidar Tunisie, qui était conviée aux négociations.
À l’instar de cette dernière, plusieurs représentants de la société civile tunisienne étaient présents ce 28 mai, une première. Parmi eux, l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (Utap) et différents ordres (ingénieurs, médecins, architectes… ). La présence – à titre consultatif – de la société civile à certains rounds de négociations est prévue de longue date, mais la place des associations ou des groupes corporatistes pourrait être accrue à l’avenir, selon ce que rapportent à Jeune Afrique des représentants présents.
En marge des discussions avec les Européens, différents acteurs tunisiens ont ainsi communiqué à ce sujet. Sans que des promesses précises n’aient été faites, une idée a été retenue par l’équipe gouvernementale tunisienne : la création d’une plateforme mixte tunisienne de négociation intégrant la société civile afin d’accentuer le poids de cette dernière dans les négociations.
De nouvelles pistes de réflexion sur la table
La question de la mobilité n’a pas encore été abordée, mais Hichem Ben Ahmed a promis dans les médias tunisiens qu’il en serait question très prochainement. Là encore, le poids de la société civile a été ressenti. « La société civile attend des progrès significatifs sur les questions de mobilité, notamment », affirmait ainsi à Jeune Afrique en mai dernier Emmanuel Cohen-Hadria, qui a chapeauté la publication d’un imposant rapport sur les relations tuniso-européennes pour le réseau euro-méditerranéen de think tank EuroMesCo.
Autre bonne nouvelle pour la partie tunisienne : les équipes européennes ont laissé entendre que les négociations pourraient, à l’avenir, être basées non plus sur l’établissement de listes négatives (les produits non concernés par l’accord), mais de listes positives (avec les produits concernés par l’Aleca). Si les discussions venaient à prendre cette orientation, il s’agirait d’un changement clair de philosophie.
Dernière question abordée ce 28 mai : la possibilité pour la Tunisie d’être intégrée à la production des normes. À l’heure de la convergence réglementaire, économistes et professionnels craignent que les normes puissent peser, voire devenir un instrument de pression. Plusieurs voix tunisiennes ont émis une idée : la création d’un bureau tunisien dédié et éventuellement implanté à Bruxelles, capitale européenne, pour participer à la constitution des réglementations.
Avec jeuneafrique