Abdoulaye Mar Dieye, responsable du bureau Afrique du Programme des Nations Unies pour le développement, est revenu pour “Jeune Afrique” sur le rapport inédit de l’institution onusienne sur le manque à gagner engendré par les disparités de genre en Afrique subsaharienne.
Après des études en France et aux Pays-Bas, Abdoulaye Mar Dieye, économiste et mathématicien de formation, a d’abord travaillé pour son pays, le Sénégal, au ministère du Plan et de la Coopération, avant de rentrer à l’ONU en 1984, où il a occupé de multiples fonctions.
Depuis 2013, il est directeur du bureau régional pour l’Afrique et administrateur assistant du Programme des Nations Unies pour le développement (Pnud). Son équipe a élaboré pendant deux ans le dernier rapport sur le développement humain en Afrique, présenté le 28 août, avec, au centre de ses préoccupations, la question du genre. Et son impact sur l’économie du continent.
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Jeune Afrique : Pourquoi le PNUD a-t-il sorti cette étude maintenant, alors la question du genre fait débat depuis de nombreuses années en Afrique ?
Abdoulaye Mar Dieye : Parce qu’énormément de progrès ont été faits ces dernières années sur cette question. Suffisamment, pour pouvoir mesurer son impact sur le développement. Nous avons donc voulu approfondir cette question et nous avons vu que certaines contraintes structurelles bloquaient les progrès en matière de l’égalité entre les genres, dues notamment à des pesanteurs issues des normes sociales.
La question du genre doit être au cœur même des politiques de développement.
Nous avons également constaté que les politiques économiques ne traitaient de la question du genre que de manière périphérique, c’est-à-dire sectorielle ou thématique. Et nous montrons dans le rapport qu’elle doit être mise au cœur même des politiques de développement.
Vous avez chiffré le coût de ce déséquilibre entre 90 et 105 milliards de dollars. Comment avez-vous obtenu ce résultat ?
Nous avons mis en place un modèle un peu complexe, qui nous permet de mesurer cet écart. Lorsque les femmes sont exclues du marché du travail, c’est un manque à gagner que nous avons chiffré à 6 % du PIB par exemple.
L’Afrique a été notre terrain de recherche, mais le phénomène est universel. Le Japon vient de nous demander d’aller présenter notre rapport à Tokyo avant la fin de cette année. Les Japonais sont confrontés à la question du genre. C’est un fait universel, sur lequel l’Afrique peut devenir pionnière et au sujet duquel le continent pourrait partager avec le reste du monde.
La question des inégalités de genre est universelle.
Etes-vous prêts à remettre en cause certaines pratiques traditionnelles, comme la gestion du foncier par les femmes par exemple ?
Tout à fait. Certaines normes sociales comme la mutilation génitale des femmes, les mariages précoces, mais aussi l’accès à la terre en effet, sont des freins à l’éclosion de l’égalité entre les genres. Dans plusieurs pays arabes par exemple, la question du SIDA est question, mais nous avons travaillés avec les imams pour faire passer notre message de santé publique. Nous comptons faire de même à travers les pays africains, en travaillant avec les chefs coutumiers, pour discuter de certaines pratiques.
Est-ce que l’arrivée de femmes à des postes de responsabilités, politiques ou économiques inverse la donne ?
Les pays qui ont les taux de représentation parlementaire parmi les plus élevés ont eu des résultats bien plus positifs en termes de développement économique, mais surtout humain.
La question de l’éducation des femmes reste posée aujourd’hui et il faut se féliciter qu’à travers les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), l’Afrique a pratiquement atteint la parité au niveau de l’éducation primaire. Il faudrait maintenant arriver au même résultat dans le secondaire. Il y a un travail pédagogique important à réaliser avec tous les segments de la société.
Nous recommandons la création de banques d’investissements réservées aux femmes.
Quelles sont les prochaines étapes, suite à la publication de ce rapport ?
Ce document n’est que la partie visible de l’iceberg. Il se conclut sur deux points. Le premier porte sur la création d’un « label genre » pour les entreprises, que nous avons démarré sur douze pays en Amérique latine où 400 compagnies sont aujourd’hui certifiées. L’opération vient d’être lancée en Ouganda. L’idée est d’encourager les banques à accorder plus facilement des crédits aux entreprises ainsi certifiées qui, c’est un fait, connaissent de meilleures résultats en terme de rentabilité et de productivité.
Nous recommandons également fortement la création de banques d’investissements réservées aux femmes.
avec jeuneafrique