Le Japon est confronté à un manque criant de main d’œuvre dans certains secteurs en raison notamment d’une démographie déclinante et du refus de recourir à l’immigration.
C’est une situation qui semble a priori rêvée pour les salariés: avoir l’embarras du choix lorsque l’on recherche un emploi. Au Japon, le rapport “job/applicant” (le nombre d’offres d’emploi divisées par le nombre de personne postulant à un emploi) a atteint son plus haut niveau depuis 25 ans: 1,43. Signe que les entreprises japonaises peinent à recruter. Dans la région de Tokyo, connue pour son dynamisme économique, le ratio s’élève même à 2 offres d’emploi par demandeur, selon Bloomberg. Pour donner un ordre d’idée, en France, ce taux s’élevait selon la Dares à 0,49 fin décembre soit près de trois fois moins qu’au Japon.
Évidemment, tous les secteurs ne sont pas logés à la même enseigne. “Des entreprises populaires, comme c’est le cas dans la finance, ont sept candidats pour un poste. Pour nous, c’est sept entreprises qui s’arrachent un candidat”, affirme à Bloomberg Shuto Kuriyama, qui travaille dans les ressources humaines de l’entreprise de meubles Shimachu. De plus, les grands groupes japonais (Toyota, Sony, Softbank, etc..) restent bien plus prisés que les PME, qui ont de grandes difficultés à recruter.
Un chômage au plus bas
“Il y a clairement des secteurs où l’on commence à manquer de bras. C’est le cas notamment de la construction”, explique Valérie Plagnol, une économiste qui a travaillé 5 ans au Japon pour Nomura Securities et qui est aujourd’hui présidente du Cercle des Épargnants.
Cette situation va évidemment de pair avec un taux de chômage très bas: 3% en janvier. Ces chiffres ont de quoi étonner quand on sait que la croissance nippone n’est pas mirobolante. Elle a ainsi atteint 1% en 2016 après 1,2% en 1015 et 0,3% en 2014.
Mais l’archipel fait face à un important problème démographique. “La population du Japon devrait passer de 128 millions en 2010 à 70 millions en 2050, selon les projections de l’OCDE. On a jamais vu un pays vieillir et perdre autant de population”, souligne Valérie Plagnol. Selon l’OCDE, le Japon perd déjà un million de travailleurs par an et sa population active devrait ainsi avoir diminué de 40% d’ici à 2050.
Le problème de la fécondité
D’où le manque de main d’œuvre. Ce problème démographique s’explique notamment par le faible taux de fécondité à 1,41 enfant par femme, soit moins que la moyenne de l’OCDE. Le problème est de nature sociétale. “Concrètement, une femme au Japon doit choisir entre travailler et avoir des enfants. Rien n’est fait pour aider les femmes à garder leur emploi après la naissance de leur premier enfant. Elles attendent ainsi que leurs enfants soient devenus indépendants pour recommencer à prendre un emploi”, explique Valérie Plagnol.
Selon l’OCDE, seulement 38% des femmes continuent de travailler après avoir eu un enfant. Cela tient au fait que le système de crèches et d’allocations familiales est peu performant mais aussi à la culture japonaise. Les salariés restent très longtemps au travail. Un Japonais sur cinq travaille ainsi plus de 50 heures par mois. En 2015, l’OCDE recommandait ainsi aux autorités et aux entreprises nippones, de développer le travail des femmes, en améliorant notamment son système d’allocations et de crèches.
Autre problème: “le Japon n’a pas de politique de migration, il ne souhaite pas voir sa population immigrée augmenter, ce qui est liée à ‘la vision d’un Japon homogène'”, souligne Valérie Plagnol. L’économiste explique notamment que, dans la perspective des JO de 2020, qui auront lieu à Tokyo, le Japon fait face à d’importants besoin de recrutements dans le BTP. Or contrairement à d’autres pays, il refuse d’avoir recours à la main d’œuvre étrangère ce qui augmente à la fois le coût du travail et créé des carences, ce type de postes étant peu recherché par les jeunes Japonais.
Par ailleurs, le taux de chômage de 3% ne veut pas dire pour autant que la situation de l’emploi est idyllique au Japon. “Il y a des rigidités dans le système de recrutement des grandes entreprises, notamment au niveau des jeunes. Si à la sortie de l’université vous n’êtes pas recruté par une grande société, c’est la génération suivante qui prend votre place. Cela laisse de côté plusieurs jeunes qui accèdent à des emplois dont la qualité est alors moins importante”, développe Valérie Plagnol.
Comme l’explique le Japan Times, la part des employés ayant des emplois non CDI augmente progressivement. Elle atteignait ainsi 40% de la population active il y a un an (le chiffre grimpe même à 56% pour les femmes), soit 20 millions de personnes. Ces salariés gagnent souvent moins de la moitié que leurs homologues en CDI. Ce qui explique que le taux de pauvreté (le pourcentage de ménages qui vivent avec moins que la moitié du revenu médian) est très élevé, à 16% contre 8% pour la France.
Avec bfmtv