À la pointe de l’île aux musées de la capitale allemande, regroupant une des plus riches collections d’œuvres d’art au monde, se dresse le Bode Museum dédié aux sculptures, à l’art byzantin et aux monnaies anciennes. C’est dans ce musée que plus de soixante-dix œuvres majeures de l’art africain du musée ethnologique de Berlin ont élu domicile en attendant la fin du chantier du Humboldt Forum, le nouveau musée sur les cultures extra-européennes, qui ouvrira dans le palais des rois de Prusse en cours de reconstruction jusqu’en 2019. « Les préparatifs pour le passage au Humboldt Forum nous offrent une occasion unique de faire dialoguer les œuvres non européennes avec d’autres, en dépassant les frontières qui divisent traditionnellement les collections », explique Michael Eissenhauer, le directeur général des musées d’État de Berlin.
En effet au Louvre, le pavillon des Sessions agit comme une ambassade du musée du quai Branly en ne montrant que des trésors extra-européens. À l’inverse au Bode Museum, les traditions sculpturales d’Afrique et d’Europe se juxtaposent dans la collection permanente et dans une galerie d’exposition spéciale. À l’instar des ouvrages illustrant des œuvres de différentes traditions par des photographies tel « le musée imaginaire » rédigé par André Malraux, l’exposition allemande confronte des œuvres d’art réelles comme le souligne Julien Chapuis, directeur des collections des sculptures et de l’art Byzantin : « l’interaction stimulante entre les sculptures africaines et notre propre collection est non seulement un régal pour les sens, mais une invitation à comparer et interpréter ces objets en abordant des thèmes majeurs de l’expérience humaine tels que le pouvoir, la mort, la mémoire, l’identité, l’esthétique et la beauté ».
La représentation au fil des siècles entre Africains et Européens
Les héros mythiques de l’Afrique prennent ainsi leur place parmi les figures chrétiennes gothiques tardives comme la Vierge de la Miséricorde, signée Michel Erhart de 1480, derrière une puissante figure Mangaaka du Congo. Tout deux ont été créés pour protéger leur population. Autre parallèle, celui du Christ roman de l’église abbatiale de Gröningen fondée en 936 et le grand masque Ngil des Fang au Gabon présentent tous deux des images de juges. L’inspiration des artistes africains et européens reflète des expériences humaines communes. Des ressemblances et des différences inattendues apparaissent également comme cet angelot avec un tambourin de Donatello qui semble inviter une déesse du royaume du Bénin à danser. Au détour d’une minutieuse observation, deux inscriptions se dévoilent sur le dos de la femme, le long de sa colonne vertébrale et sur ses épaules. Aucune inscription de ce type n’est visible sur le dos du chérubin, car le numéro de classification se cache sous le socle.
Et pour cause, ce dernier a rejoint à la fin du XIXe siècle un musée d’art, la belle un musée d’ethnologie. Ces œuvres exceptionnelles témoignent des préjugés et des conventions sociales de cette époque. De même, l’historien de l’art Roy Sieber précise que de nombreux artistes étaient connus en Afrique. Or les commerçants et les fonctionnaires coloniaux qui ont pris ces objets en Europe n’étaient pas intéressés à enregistrer ces noms. La directrice du musée ethnologique Viola König conclut que « la présentation ethnologique de cette exposition élargit l’intérêt du Bode Museum en montrant comment l’Afrique et l’Europe font partie du même monde globalisé lié par le commerce, les religions et les échanges intellectuels depuis des siècles ».
Avec lepoint