Le patron de la Pisam, à Abidjan, veut faire de son établissement un hub médical ouest-africain. Pour cela, il investit dans des équipements de dernière génération.
Diplômé de l’École supérieure de commerce d’Abidjan (Esca) en 1993, Éric Djibo a passé plus de quinze ans au sein du groupe Coca-Cola, exerçant des responsabilités en Sierra Leone, au Ghana et au Maroc. En 2013, il rentre en Côte d’Ivoire et reprend la direction de la polyclinique internationale Sainte-Anne-Marie (Pisam), fondée par son père en 1985.
À son arrivée, la situation financière du premier hôpital privé du pays est catastrophique. Son passif atteint 12 milliards de F CFA (18,3 millions d’euros), pour un chiffre d’affaires de 6,8 milliards. Et maintenant ?
JEUNE AFRIQUE : Il y a dix-huit mois, la Pisam était très endettée. Où en êtes-vous aujourd’hui ?
ÉRIC DJIBO : Tous les voyants sont au vert. Les dettes qui plombaient notre bilan ont été apurées, et nos indicateurs de performance s’améliorent clairement : taux d’occupation en hausse de 30 %, durée moyenne de séjour en baisse, indice de satisfaction client en nette progression.
La Pisam profite d’une meilleure répartition des rôles entre les professionnels de la gestion et le corps médical. Nous avons annoncé il y a quelques mois vouloir lever 10 milliards de F CFA ; nous sommes très proches de cet objectif. En parallèle, nous étudions la possibilité d’ouvrir notre capital à un groupe qui exploite déjà des cliniques privées en Europe.
À quoi va servir l’argent levé ?
Lors de sa création, en 1985, la Pisam était la plus grosse clinique d’Afrique de l’Ouest, avec 220 lits et un plateau technique de pointe. Aujourd’hui, notre capacité est limitée à 116 lits. Pour retrouver notre statut de hub médical, nous devons réhabiliter les blocs opératoires, acquérir des équipements d’imagerie de dernière génération, créer un service de radiologie interventionnelle et refondre notre système de fonctionnement, grâce à de nouveaux outils de gestion qui mettent le patient au cœur de nos préoccupations. Nous voulons tendre vers l’hôpital du futur, avec zéro papier.
Vous avez aussi des ambitions dans le domaine du traitement du cancer…
Plus de 10 000 patients ivoiriens sont concernés chaque année, et il n’y a rien ou presque pour les prendre en charge. Notre projet consiste à bâtir un centre de radiothérapie attenant à la Pisam. Nous devrions commencer les travaux d’ici à deux ou trois mois, pour une ouverture dans un an. C’est un projet pour lequel nous avons déjà identifié un partenaire qui possède plusieurs centres identiques en Europe et qui nous accompagnera à hauteur de 50 % des investissements, estimés entre 3 et 3,5 milliards de F CFA.
Les cliniques privées ivoiriennes font-elles des bénéfices ?
Avec la décennie de crise qu’a connue le pays, elles n’ont pas gagné d’argent. Elles avaient même du mal à atteindre l’équilibre. Des coûts en hausse, des recettes en moins avec le départ de la clientèle expatriée, l’arrêt des évacuations sanitaires… Cet environnement peut expliquer la percée du marocain Saham, qui a repris six établissements récemment.
Sa venue a-t-elle réveillé un secteur quelque peu endormi ?
On ne peut pas nier que l’arrivée de Saham a redynamisé le marché. Avec cette nouvelle concurrence, les cliniques ont intérêt à monter en gamme. La Pisam a elle aussi bénéficié de l’intérêt du groupe marocain. Si tout le monde a compris que nous n’étions pas à vendre, cela a incité des partenaires potentiels à nous contacter, y compris des fonds d’investissement. Pour l’heure, nous n’écartons aucune possibilité.
Les établissements privés pratiquent-ils une médecine réservée aux riches ?
Non, pas du tout. Privé et public doivent jouer la complémentarité. La capacité d’investissement des cliniques doit leur permettre de développer des secteurs d’excellence, comme la cancérologie. Mais il faut un accompagnement, avec un régime fiscal étudié et une réduction de la tarification de services publics comme l’électricité…
Nous vendons des soins, nous ne sommes pas des entreprises comme les autres. En retour, le privé doit garantir un niveau d’investissement minimum pour assurer un renouvellement permanent de son plateau technique, et ce pour le bien des populations. L’État réfléchit d’ailleurs à la mise en place de contrôles des cliniques, ce qui est une bonne chose.
Quant à l’hôpital public, plus limité financièrement, il peut se concentrer sur les soins moins techniques et sous-traiter certaines pathologies aux structures privées. Ses priorités doivent être d’offrir des soins basiques, d’avoir des urgences qui fonctionnent et d’améliorer les conditions d’hospitalisation ainsi que la gestion financière des établissements. La nomination récente de gestionnaires à la tête des centres hospitaliers universitaires est un bon signal.
Y a-t-il une pénurie de personnel médical en Côte d’Ivoire ?
Non. Les médecins ivoiriens sont parmi les meilleurs d’Afrique de l’Ouest, et notre rôle est de leur donner des outils pour qu’ils puissent perfectionner leur art. En revanche, il y a une pénurie de personnel paramédical : infirmiers, aides-soignants…
Il semble que le dispositif de couverture maladie universelle n’ait pas encore convaincu les Ivoiriens ?
Peut-être parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils peuvent en retirer. À quelle prise en charge auront-ils droit ? Dans quels hôpitaux ? Tous les acteurs du système aimeraient en savoir un peu plus. C’est une mesure qui va dans le bon sens, à condition d’assurer un financement pérenne et d’éviter la spirale des déficits.
En Côte d’Ivoire, la distribution de médicaments est réservée à des distributeurs agréés. Est-ce un bon système ?
Pour un pays qui sort de crise, il y a plus d’avantages que d’inconvénients. Cela permet notamment un contrôle des prix. Même si parfois nous devons faire face à des ruptures d’approvisionnement et que nous aimerions que ces distributeurs nous donnent accès à davantage de médicaments génériques.
Avec JeuneAfrique