Vingt ans après avoir intégré l’IFC, filiale de la Banque mondiale, ce Sénégalais en devient le directeur régional Afrique subsaharienne. Et entend développer une stratégie centrée sur la création d’emplois.
«C’est un très bon manager, l’intérêt de l’Afrique lui tient à cœur. » Signée Thierry Tanoh, l’appréciation aura à coup sûr une forte valeur symbolique pour Cheikh Oumar Seydi. Avant de rejoindre Ecobank puis le monde politique, l’actuel ministre du Pétrole, de l’Énergie et du Développement des énergies renouvelables de Côte d’Ivoire fut en effet pendant près d’une décennie le dirigeant le plus important de la Société financière internationale (IFC) au sud du Sahara. Désormais, c’est au Sénégalais qu’échoit ce rôle prestigieux : depuis le 1er juillet, ce natif de Ziguinchor est directeur régional pour l’Afrique subsaharienne de la filiale de la Banque mondiale consacrée au secteur privé.
Dans les semaines qui viennent, il quittera Nairobi, où il était depuis près de cinq ans directeur pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe, pour Johannesburg. Et récupérera la supervision des 23 pays d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest – jusqu’alors sous l’autorité de la Camerounaise Vera Songwe, nommée à la tête de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique –, soit environ 500 employés répartis sur plus d’une vingtaine de bureaux et 5 milliards de dollars (4,4 milliards d’euros) d’investissements annuels. Un chiffre qu’il espère secrètement faire augmenter, jusqu’à 8 milliards.
« La réunification sous sa direction des deux zones permettra de donner davantage de cohérence à la stratégie africaine, décrypte un bon connaisseur de l’IFC. Mais Oumar Seydi est un pur produit de la maison, ce sera donc un changement dans la continuité. » Entré à l’IFC en 1997 comme chargé d’investissement dans le domaine du pétrole et des mines, le Sénégalais n’a en effet depuis jamais quitté l’institution. De 2003 à 2008, il est – depuis Douala – représentant régional pour l’Afrique centrale ; puis, de 2008 à 2013, à Washington, directeur des ressources humaines avec une couverture de 108 bureaux à travers le monde, à l’époque où l’institution déploie son grand projet de décentralisation.
Industrialisation
À son nouveau poste, aidé de deux directeurs adjoints, basés à Dakar et à Nairobi, Cheikh Oumar Seydi entend appliquer la stratégie impulsée par le français Philippe Le Houérou depuis son arrivée en mars 2016 à la tête d’IFC. Une vision plus macroéconomique et soucieuse des problématiques de développement pour une institution à qui l’on reprochait ces dernières années une tendance croissante à multiplier les opérations comme le fait une banque d’affaires ou un fonds de capital-investissement.
« Au début de son histoire, l’IFC a plutôt soutenu les grands investisseurs internationaux qui souhaitaient se déployer en Afrique et dans le reste des pays en voie de développement. Ensuite, l’institution s’est tournée vers les entreprises locales, qui représentaient alors la majorité de sa clientèle, explique Cheikh Oumar Seydi. La nouvelle phase consiste à aider les clients actuels et potentiels d’IFC à créer de nouveaux marchés, ceux qui auront un réel impact sur le développement des pays concernés, surtout pour l’emploi. »
Réduire le déficit en infrastructures, développer l’agribusiness, soutenir l’industrialisation…
Sans abandonner l’exigence de rentabilité (élevée) qui pèse sur elle, la filiale veut évoluer. « Il y a plusieurs points importants sur lesquels travailler : réduire le déficit en infrastructures, développer l’agribusiness et soutenir l’industrialisation, l’Afrique représentant moins de 1 % de la base industrielle mondiale, et promouvoir l’inclusion et l’emploi via l’aide aux petites entreprises, poursuit Cheikh Oumar Seydi. Aider les PME, c’est améliorer le climat des affaires, renforcer leurs capacités et aider les institutions financières – surtout les banques locales – à les financer. Nous voulons aussi accroître notre effort en matière de genre, de changement climatique, de promotion de marchés des capitaux et de technologie de l’information et de la communication. »
Thierry Tanoh abonde dans son sens : « Oumar Seydi aura des missions importantes à mener, notamment dans le domaine des infrastructures et en faveur des secteurs créateurs d’emplois. Il sera aussi attendu sur l’agro-industrie et les énergies renouvelables. » Pas de révolution en vue toutefois : l’IFC, connue pour sa prudence en matière de risques et la lenteur qui va souvent de pair, ne devrait pas se mettre à financer des start-up…
« L’IFC compte contribuer, en collaboration avec la Banque mondiale, à la réduction du risque par le biais de réformes s’appuyant notamment sur les résultats du classement « Doing Business », explique Cheikh Oumar Seydi. Et également parvenir à financer en monnaie locale ainsi que développer des instruments financiers pour des secteurs comme l’éducation, la santé ou même les infrastructures – au sein desquels il y a souvent une grande perception du risque. »
Entrepreneurs
Imaginer de nouveaux types de financement pour le développement du secteur privé : cette vocation serait presque pour Cheikh Oumar Seydi la synthèse de ses deux histoires, familiale et professionnelle. En Casamance, il est en effet né dans une grande famille de commerçants et d’entrepreneurs. Son père, Ousmane – qui fut député et l’un des vice-présidents de l’Assemblée nationale – dirigea la CSSE, une importante société de négoce du sud-est du Sénégal.
Et son oncle, Idrissa Seydi, était un célèbre capitaine d’industrie, actif dans les piles électriques, le négoce de bois et l’alimentaire dans plusieurs pays ouest-africains, et a présidé pendant de longues années le conseil d’administration de la Société générale de Banques au Sénégal, alors première banque du pays. Avant et après son MBA américain, Cheikh Oumar Seydi a travaillé dans le conseil, l’audit et la finance, pour Ernst & Young, Arthur Andersen, Usaid (Agence des États-Unis pour le développement international) ou Citibank… Au sein de la filiale sénégalaise de la banque américaine, il a travaillé sous la direction de Gabriel Fal, son « grand frère », qui dit d’Oumar Seydi qu’« il ne vous décevra jamais car il fait toujours ce qu’il dit ».
Une fiabilité qui lui sera utile dans sa nouvelle mission à l’IFC, autant que l’important réseau de relations qu’il a construit ces dernières années. Pour la première fois depuis vingt ans au sein de l’institution, il aura directement sous sa responsabilité son pays d’origine. Un État que ce quinquagénaire a quitté il y a vingt-quatre ans… « Je connais beaucoup mieux le reste de l’Afrique que le Sénégal », confie-t-il même aujourd’hui.
Avec jeuneafrique