Dans un secteur où la concurrence s’est accrue ces dernières années, l’avionneur canadien Bombardier ambitionne d’équiper un maximum de compagnies aériennes au sud du Sahara. Et regarde vers le Maghreb. Jean-Paul Boutibou, vice-président des ventes Afrique et Moyen-Orient, a répondu aux questions de Jeune Afrique.
En poste depuis avril 2016, Jean-Paul Boutibou a réorienté depuis Dubaï la stratégie commerciale de l’avionneur en Afrique. L’accent n’est désormais plus mis sur l’avion moyen-courrier CSeries (100-150 sièges), mais sur le turbopropulseur Q400 (68-78 sièges), qui lui sert de produit d’appel. Dans son viseur, des dizaines de compagnies plus intéressées par les liaisons régionales que par des liaisons long-courriers.
Jeune Afrique : Depuis votre arrivée en avril 2016, vous avez fait du Q400 le fer de lance de la stratégie commerciale de Bombardier en Afrique. Pourquoi ce dernier n’a-t‑il pas procédé ainsi plus tôt ?
Jean-Paul Boutibou : Pour Bombardier, le CSeries était un nouveau produit dont il fallait augmenter les cadences de production afin de développer le marché. Nous avions perdu de vue que le Q400 était un avion dédié au marché africain. Nous aurions dû être bien plus présent avec ce produit. Il peut aider les compagnies à « apprendre à marcher » et à se structurer sur le marché domestique et régional, afin d’attirer du trafic sur un hub, et à se déployer ensuite avec un gros-porteur.
Mon objectif est de planter le drapeau de Bombardier partout
Cet avion d’entrée de gamme nous permet maintenant de discuter avec Air Burkina, Camair-Co, Congo Airways, la future Air Tchad, Air Tanzania… Autant de compagnies qui supportent des conditions d’opération difficiles et avec qui je n’évoquerais pas le CSeries. Nous continuons bien sûr de promouvoir celui-ci là où le produit répond à la demande.
En septembre 2016, vous envisagiez de doubler d’ici à 2018 votre présence en Afrique. Êtes-vous sur la bonne voie ?
Nous avons accru significativement le nombre d’opérateurs en Afrique. Nous travaillons actuellement sur des projets avec Air Madagascar, en Angola, en Zambie… Mon objectif est de planter le drapeau de Bombardier partout. Nous pensions écouler jusqu’à huit unités chez Jambojet, la filiale à bas coûts de Kenya Airways. Le comité exécutif de Kenya Airways, qui remet actuellement à plat son plan de flotte, pourrait en commander le double !
Ils se rendent compte que le Q400 opère de manière beaucoup plus efficace que les ATR de Precision Air (filiale à 49 % de Kenya Airways) et qu’il s’intègre mieux à leur flotte de 737 qu’un Embraer 190. Kenya Airways va peut-être se retrouver avec plus d’une vingtaine de Q400…
Avec un trafic qui tend à progresser de plus en plus sur les liaisons régionales, la concurrence est devenue vive en Afrique entre Bombardier, ATR et Embraer sur les marchés des turbo- et bipropulseurs. Qu’est-ce qui fait votre différence ?
Le marché est plus concurrentiel, notamment du fait de la présence plus importante et du caractère plus agressif de Bombardier. Cependant, si l’ATR 72 répond à certaines parties du marché que nous couvrons, l’inverse n’est pas vrai. à partir d’un certain rayon d’action, d’une certaine altitude, d’une certaine température, leur produit devient limité. Notre avion est plus grand, va plus loin, ses moteurs sont plus puissants, sa capacité d’emport cargo est beaucoup plus importante.
Un ATR ne permettra pas à Air Sénégal, à terme, de rejoindre Bamako ou Conakry
Sa double porte offre une montée à l’avant et à l’arrière et une configuration en deux classes, ce qui le positionne en complément des plus gros jets. Totalement autonome, il peut générer l’énergie nécessaire pour rallumer les moteurs, afin de rafraîchir la cabine et de supprimer l’humidité ambiante. Cet avion offre la possibilité par exemple à Congo Airways d’opérer dans des régions où il n’existe aucune structure d’accueil.
Pourtant, Air Sénégal a préféré acheter en juin dernier deux ATR 72 pour son lancement…
Air Sénégal n’était pas structurée, au moment des discussions, pour absorber un CSeries qui de toute façon ne pouvait pas leur être livré dans les temps. Comme leur objectif consistait à couvrir le marché du Sénégal, ils ont choisi de prendre un ATR, moins cher. C’est un choix légitime que je respecte.
Mais cette voie ne leur permettra pas à terme de rejoindre Bamako ou Conakry. Ils seront obligés d’acquérir un avion plus gros, plus cher. C’est un risque qu’ils ont pris. Nous avons essayé de les convaincre, nous avons échoué. Mais nous sommes toujours prêts à travailler avec eux.
Nous avons intégré le projet. Rwandair veut déployer deux 737 pour le démarrage de cette compagnie, dont nous observerons l’évolution et que nous conseillerons quant au développement de sa flotte.
Camair-Co va acquérir prochainement deux Bombardier. Elle tente actuellement de relever la tête. N’est-il pas plus dur d’accompagner ce type de compagnies ?
Bombardier était déjà en relation avec Camair-Co au travers de sa division aviation d’affaires. Par le passé, dans le cadre de leur projet d’expansion, ils avaient déjà opéré un CRJ200. Mais leurs difficultés financières ont empêché la finalisation de leur plan de flotte. À la suite de sa récente mission, Boeing Consulting leur a recommandé nos Q400 en complément de leur flotte actuelle et en remplacement de leurs avions chinois. Nous réfléchissons avec eux à des offres.
Chaque fois qu’un Q400 est vendu en Afrique, une compagnie fait appel à Ethiopian Airlines pour son entretien
Ethiopian Airlines, qui exploite 18 Bombardier, attend cinq Q400. Quelle place cette compagnie tient-elle dans votre stratégie ?
Depuis sept ans, c’est notre plus gros opérateur africain, notre base centrale de maintenance en Afrique. Il s’impose comme le meilleur ambassadeur pour développer notre présence sur le continent. Il dispose de facilités pour bénéficier de toutes les pièces et de toutes les formations nécessaires. Chaque fois qu’un Q400 est vendu en Afrique, une compagnie fait appel à Ethiopian Airlines pour son entretien.
Celle-ci souhaite développer d’autres hubs régionaux en Afrique centrale et au Sahel, en dehors de Lomé et de Lilongwe. Comment souhaitez-vous l’assister ?
Nous comptons sur Ethiopian Airlines pour pénétrer ces marchés un peu plus complexes du point de vue du financement, ces compagnies n’ayant ni l’expérience ni les capitaux pour se développer. Quand Ethiopian s’étend sur un marché, elle noue un partenariat avec des sociétés aériennes, les avions sont déjà budgétés au travers d’Ethiopian.
Si la future Air Tchad par exemple décidait d’acquérir des appareils sans partenaire, ses conditions seraient beaucoup moins intéressantes qu’avec l’appui d’Ethiopian Airlines.
En vue du renforcement de sa flotte avec 38 appareils, Egyptair pourrait-elle devenir une de vos autres bases à l’instar d’Ethiopian ?
Nous saurons prochainement s’ils nous font confiance. Egyptair offre un excellent support technique et industriel aux gros-porteurs et aux avions de milieu de gamme d’Airbus et de Boeing. Si Egyptair devient notre client, son intention sera de développer les compétences techniques pour subvenir à ses besoins.
Alors qu’Ethiopian Airlines attire tous les clients subsahariens, Egyptair a une position plus prédominante sur les compagnies du nord de l’Afrique et du Moyen-Orient. La vente de services techniques et de formations est une source non négligeable d’activités pour les compagnies aériennes.
C’est aussi pour vous un moyen de vous rapprocher du marché maghrébin ?
Royal Air Maroc, Tunisair, Air Algérie sont venus vers nous ; et nous sommes allés vers eux. Ce sont des compagnies matures qui opèrent la gamme des moins de 150 sièges. Ils ont pris des avions disponibles au moment où ils en avaient besoin. Nous sommes en discussion avec eux pour leur offrir des appareils plus adaptés à leurs opérations et beaucoup moins chers.
Avec vos appareils, comment comptez-vous rogner sur les parts de marché des plus petits Airbus et Boeing ?
Airbus et Boeing étendent actuellement leur gamme vers le marché des avions de 200 places. L’A321 et les 737-9 et 10 sont les modèles qui marchent le mieux chez ces deux constructeurs. Mais ces avions qui volaient en Afrique n’étaient pas les plus adaptés pour faire du 120-200 places, c’étaient des avions dérivés donc non optimisés. Il existe un vide sur ce marché-là. C’est pourquoi nous nous sommes positionnés volontairement avec le CSeries, bien plus adapté économiquement à ce créneau.
Avec jeuneafrique