Nous avons rencontré Deemah Al Yahya à l’occasion du Women’s Forum qui s’est tenu à Paris le 5 octobre. Déjà directrice de Microsoft Arabia, cette pionnière des nouvelles technologies a été chargée de conduire la transformation numérique de l’Arabie Saoudite.
Il n’y a pas qu’en Europe et aux États-Unis que les femmes obtiennent des postes clés dans le numérique. Si l’on a beaucoup parlé de Sheryl Sandberg, numéro deux de Facebook, et en France de Roxanne Varza, la directrice de Station F, l’incubateur le plus important du monde, le Moyen-Orient a aussi une représentante pour incarner les nouvelles technologies. Il s’agit de Deemah Al Yahya.
Déjà directrice exécutive de Microsoft Arabia, cette pionnière des nouvelles technologies du monde arabe est devenue la Chief Digital Officier du royaume pour réaliser la transformation numérique de son pays.
Vous avez été nommée présidente du Bureau national pour la digitalisation. Quel est le rôle de cette administration ?
Deemah Alyahya: C’est de faire une veille et de rapporter au gouvernement des éléments pour orienter la stratégie du pays afin de mener une transition numérique. Les nouvelles technologies bouleversent tous les modèles qu’ils soient économiques ou sociaux. Notre ambition est de faire de notre pays le leader technologique de notre région. Mon travail est de faire évoluer les mentalités. Une révolution de cet ordre peut perturber et rencontrer des oppositions humaines. Il faut dénouer ces blocages pour faire comprendre tout ce que le numérique peut nous apporter.
Vous êtes une femme dans une région du monde plutôt machiste. Faut-il voir dans notre nomination un message particulier?
D.A.: Je n’ai pas été nommée à ce poste en tant que femme, mais pour succéder à l’ancien président à qui l’on a confié un ministère. J’étais la personne la plus compétente pour prendre ce poste.
Votre but est-il de créer des services comme ceux des géants américains?
D.A.: Exactement, et cela repose sur trois axes. D’abord en développant un réseau de télécommunication puissant basé sur la 5G et lancer une stratégie d’Open Data. C’est incontournable pour créer une société numérique, des villes connectées ou des écoles numériques. La seconde chose est de créer une économie numérique en digitalisant tous les secteurs à commencer par le médical et l’éducation. Et pour être plus efficace, toutes les données seront stockées dans le même data center pour les rendre accessibles à tous. Ainsi, nous pourront devenir une Digitale Nation en diversifiant notre économie afin de ne pas être une société de consommateurs de services numériques, mais inciter le plus grand nombre à devenir des entrepreneurs. Un tiers de notre population a moins de 25 ans et utilise YouTube, Snapchat, Instagram. Beaucoup d’utilisateurs, surtout les femmes, se servent d’Instagram comme d’un site de e-commerce pour vendre des choses. Nous avons le potentiel et les compétences pour créer des plateformes. C’est d’autant plus nécessaire que l’économie numérique repose sur les données qui, comme nous le savons tous, sont le pétrole du XXIe siècle.
D’autres pays du Moyen-Orient ont l’ambition de tirer profit de l’économie numérique. Y a-t-il une compétition entre ces états?
D.A.: Dans ce domaine, nous n’avons aucun intérêt à nous affronter, mais à nous aider mutuellement. Nous avons tous à apprendre les uns des autres. Nous devons partager nos connaissances. D’ailleurs, l’agence que je dirige apprend beaucoup de ce qu’ont fait d’autres pays. Nous avons passé des accords avec le Japon, les États-Unis et à l’heure où je vous parle, nous sommes en discussion avec la Russie. En Europe, nous travaillons beaucoup avec l’Allemagne et la France. Toutes les nations ont plus à gagner en partageant le savoir qu’en s’opposant.
Où avez vous été formée?
D.A.: J’ai fait l’ensemble de mon cursus scolaire et universitaire en Arabie Saoudite. J’ai obtenu mes diplômes en informatique à l’université du Roi-Saoud. Quand j’étais enfant, je rêvais d’aller étudier aux États-Unis. Mon père y a même été nommé, mais il a préféré que je poursuive mes études dans le pays en m’expliquant que ce n’est pas l’endroit qui est important, mais le savoir. J’étais très en colère à l’époque, et j’ai décidé de lire pour découvrir ce qu’il se passait ailleurs et avec Internet, j’ai appris beaucoup de chose sur le monde. D’une certaine manière, c’est comme cela que je suis devenue ce que je suis.
Un récent décret autorise les Saoudiennes à conduire. Avez-vous votre permis de conduire?
D.A.: Oui, j’ai mon permis, mais pour moi ce n’est pas un point capital. Le futur de la mobilité repose sur les voitures autonomes. Avec ces véhicules, il ne sera plus nécessaire de passer un permis, de chercher son chemin ou une place de stationnement.
Avec bfmbusiness