Les Journées économiques de l’Institut du monde arabe 2017 ont réuni plus de 400 entrepreneurs, banquiers et représentants d’organisations internationales à Paris, laissant augurer les bases d’une nouvelle collaboration triangulaire entre le monde arabe, l’Afrique et la France.
Mardi 19 septembre, Jack Lang a inauguré les rencontres économiques 2017 de l’Institut du monde arabe (IMA), devant un parterre d’invités triés sur le volet. On a pu y croiser de nombreuses personnalités des médias et du monde des affaires. Les tables rondes ont rassemblé Dr B. Bin Mohamed Hamza Hajjar, président de la Banque islamique de développement, B. Benjelloun-Touimi, DG délégué de BMCE Bank, J-M Huet de BearingPoint, B. Mettling, PDG d’Orange Afrique et Moyen-Orient, mais aussi L. Zinsou, co-président d’AfricaFrance, R. Rioux, DG de l’AFD, I. Rebral, président de Cevital ou encore Slim Othmani, président de NCA-Rouiba.
L’édition placée sous le thème «Afrique, Monde Arabe, France : construire un avenir économique commun» a mis l’accent sur le financement des grands projets, mais aussi l’agro-industrie, la «ville de demain» et l’avenir des relations entre l’Afrique, la France et le Moyen-Orient.
Tandis qu’en juin dernier, la chancelière allemande proposait un Plan Marshall pour l’Afrique, l’Hexagone affiche aujourd’hui sa volonté de renforcer ses positions en Méditerranée en travaillant sur les conditions d’une nouvelle relation économique triangulaire entre la France, l’Afrique et le monde arabe. Une décision accueillie favorablement par les entrepreneurs du Golfe persique qui ambitionnent de réaliser 20% de leurs échanges commerciaux avec le continent.
Les ambitions du monde arabe en Afrique
Les relations économiques arabo-africaines connaissent une croissance soutenue depuis une dizaine d’années : 6,5% des exportations africaines sont destinées au monde arabe, alors que 5,3% des exportations du monde arabe arrivent sur le Continent. Cette tendance est appelée à se renforcer, d’après la Commission économique pour l’Afrique des Nations Unies (CEA). Les investissements du fonds koweïtien de développement économique (estimés à 1 milliard de dollars à l’échéance 2018) sont réévalués. Parallèlement, la capitale du Qatar s’est imposée en quelques années comme la plateforme logistique mondiale du commerce vers l’Afrique. Dubaï a vu ses échanges avec le Continent augmenter de 147% entre 2008 et 2013.
Plusieurs réformes structurelles en Afrique subsaharienne, à l’instar du Kenya ou de Maurice, ont accompagné le renforcement de la coopération arabo-africaine. Le Rwanda reste une référence avec sa politique fiscale particulièrement attractive que semble vouloir emprunter le président du Nigéria. En effet, Muhammadu Buhari a annoncé l’octroi de prêts concessionnaires sur long terme, doublés d’un transfert de compétences avec les pays du Golfe pour renforcer le secteur privé (énergie, transports, agriculture, infrastructures).
Parallèlement à une certaine volonté politique affichée, un mécanisme financier arabo-africain pour accélérer les flux de capitaux arabes vers l’Afrique est en cours d’élaboration. Le Continent reçoit cet intérêt renouvelé comme une promesse d’avenir soutenue par le Maghreb : «Nous avons un besoin urgent de financer de grands projets», rappelle Lionel Zinsou soulignant que «l’apport du Maroc a été considérable pour accompagner l’urbanisation de l’Afrique», devant une délégation marocaine remarquée. Selon l’Office des changes marocains, le royaume chérifien a triplé ses exportations par trois en Afrique de l’Ouest, depuis 2008. De son côté, Issad Rebral, l’homme d’affaires algérien du groupe Cevital n’a pas caché ses ambitions : «
Avec la colocalisation, nous pouvons déplacer le barycentre de la production industrielle de l’Asie vers la Méditerranée !»
La «révolution financière» africaine
Des partenariats public-privé aux Fintech en passant par le microcrédit ou les opérations de private-equity, l’Afrique est en pleine «révolution financière !», annonce Lionel Zinsou. Yacine Fal de la BAD rappelle la nécessité de «cartographier les problématiques», car la structuration des marchés africains reste un défi protéiforme. «Nous sommes directement passés du néolithique au numérique et nous devons faire preuve de créativité», poursuit Lionel Zinsou qui considère que l’évolution des échanges dépendra de la capacité des «acteurs à établir un environnement des affaires favorable», en s’appuyant sur des programmes de formation intégrés à chaque projet. C’est également le constat de Rémi Rioux : «Comment faire meilleur usage des millions de dollars dépensés chaque année dans le développement?», s’interroge-t-il, soulignant les anomalies de gestion locale qui bloquent trop souvent le décaissement des fonds des bailleurs internationaux. Il a également rappelé la nécessité de diversifier les sources de financements, en poursuivant «l’effort public» et en accélérant «les financements privés».
Parallèlement, bien que les Investissements directs étrangers (IDE) aient été multipliés par 5 sur la dernière décennie, ils ne représentent encore qu’un «quart, voire un cinquième des investissements globaux (…) L’Afrique est sous financée !», résume Lionel Zinsou face aux investisseurs étrangers.
In fine, les Africains sont appelés à mettre la main au porte-monnaie : «Il faut augmenter le taux d’investissement des Africains sur le continent», conclut Rémi Rioux avant de s’éclipser pour rejoindre les festivités du 40e anniversaire de Proparco, organisées au Centre National George Pompidou, à quelques arrondissements de l’IMA.
30 ans de «soft power» français
Cette rencontre économique multilatérale, au cœur de l’un des symboles de la diplomatie culturelle française, relève d’une véritable «opération-séduction». Imaginé par Valéry Giscard d’Estaing au lendemain des chocs pétroliers pour apaiser les tensions géopolitiques entre l’Hexagone et les pays du Golfe, l’IMA est inauguré en 1987, par François Mitterrand. La dimension politique du lieu est intrinsèque à la conception de l’IMA, dont la réputation lui vaut aujourd’hui une reconnaissance internationale, comme en témoigne le prix de «Marque culturelle européenne» reçu à Berlin en octobre 2014.
Rien d’étonnant à ce que le pragmatisme affiché pendant ces rencontres soit doublé d’un ton résolument politique. Les propositions des entrepreneurs, confrontées à la faisabilité d’une restructuration graduée des politiques publiques africaines, ont ponctué cette journée. «En 2016, 1 milliard de téléphones portables ont été recensés et nous sommes encore au début de l’histoire sur le Continent! Les enjeux numériques sont considérables, mais sont encore bloqués par l’immaturité des politiques fiscales», déplore Bruno Mettling, DG Afrique et Moyen-Orient d’Orange. En réponse, Lionel Zinsou a rappelé que l’Afrique devait affronter des situations encore inconnues : «Nous faisons face à des problèmes que personne n’a eus à gérer (…) Nous allons faire une révolution verte qui va dépasser celle que la Chine a connue et le Continent est celui qui s’urbanise le plus vite de toute l’histoire de l’humanité. Aujourd’hui, nous défions la capacité d’autrui de nous donner des conseils !».
Le ton est donné : l’Afrique doit innover et vite ! L’année prochaine, les rencontres économiques de l’IMA s’intéresseront aux opportunités liées au nouveau canal de Suez et au développement de sa zone économique.
Avec latribuneafrique