Le nouveau rapport de l’ONG Oxfam fait parler de lui : sous couvert d’aider les pays émergents à lutter contre la pauvreté, il s’avère qu’une grande partie des investissements réalisés par la Société financière d’investissement (SFI), filiale de la Banque Mondiale (BM), ont des conséquences sociales et environnementales désastreuses. Est-ce si étonnant de la part d’une institution qui impose des réformes libérales brutales aux pays les plus pauvres depuis des décennies ? Décryptage.
36 milliards de dollars investis sans aucune transparence
Oxfam est un regroupement international de 17 organisations qui travaillent pour lutter contre la pauvreté et la faim dans les pays les plus en difficulté. Dans leur dernier rapport, « La souffrance des autres », cette confédération et une dizaine d’autres ONG – telles que Global Witness, Equitable Cambodia ou Madre Selva – dénoncent l’opacité totale couvrant 94 % des investissements à risques de la SFI et détaillent leurs conséquences sur les pays « aidés ».
Dans son nouveau fonctionnement, la SFI n’investit plus directement dans des projets de développement et de lutte contre la pauvreté, mais elle prête l’argent à des intermédiaires financiers privés : banques, fonds d’investissement et fonds spéculatifs. En quatre ans, ces intermédiaires ont touché 36 milliards de dollars – une somme trois fois supérieure aux investissements directs de la BM en faveur de l’éducation et deux fois plus que pour la santé – et ont pu investir sans aucune transparence dans des projets qui ont aboutit, d’après le rapport, à des violations des droits humains à travers le monde.
« La pénible vérité est qu’avec son nouveau modèle de prêt, la SFI ne sait pas où la majeure partie de ses fonds aboutissent ni s’ils aident ou nuisent. Nous relatons des méfaits scandaleux, commis dans le cadre de projets rendus possibles par les investissements de la SFI dans des tiers en Asie, en Afrique et en Amérique latine : répression, accaparements de terres et violences qui ont même fait des morts. La SFI met si peu d’informations à la disposition du public, sciemment ou par ignorance, que nous craignons qu’il ne s’agisse là que de la partie visible de l’iceberg », explique Nicolas Mombrial, directeur du bureau d’Oxfam International à Washington.
Une question légitime nous vient à l’esprit : comment pourrait-il en être autrement si les projets sont financés par des fonds spéculatifs qui n’ont pas de comptes à rendre, et dont le seul objectif est de rentabiliser au maximum leurs investissements ? Il n’est plus à prouver que les financements des grandes banques occidentales vont souvent dans des projets polluants ou socialement et humainement contestables comme l’ont déjà montré les rapports d’Oxfam, de la Déclaration de Berne ou de Greenpeace : centrales ou mines de charbon, barrages géants, plantations de caoutchouc, etc.
« Les prêts de la SFI à des tiers représentent désormais des sommes si colossales, et son portefeuille est entouré d’un tel secret et entaché de tels abus qu’il est devenu indispensable de remanier entièrement ce modèle de prêté », indique Natalie Bugalski, directrice juridique d’Inclusive Development International et co-auteure du rapport.
En pratique, les bénéficiaires finaux de ces investissements sont les multinationales, dont les projets sont financés au détriment des populations locales : plantations de caoutchouc, de canne à sucre et de palmiers à huile au Cambodge, au Lagos et au Honduras, barrage au Guatemala, centrale électrique en Inde, barrages en Papouasie occidentale, au Laos et au Guatemala, mine au Vietnam…tous ces projets ont en commun de dépouiller les communautés de leurs terres au profit d’intérêts privés dont elles sont exclues.
« Nous voulons que la Banque mondiale sache que son argent sert à détruire notre mode de vie. Nous sommes aujourd’hui cernés par les multinationales. Elles se sont emparées des terres et des forêts de notre communauté. Nous craignons de bientôt ne plus avoir de terres du tout et de perdre notre identité. Est-ce là l’idée que se fait la Banque mondiale du développement ? », demande dans le rapport un représentant de l’une des communautés touchées.
Pour conclure, il nous semble important de rappeler que la BM est, au coté du FMI, l’organisme qui a imposé des « réformes structurelles » (en réalité des mesures ultralibérales) à de nombreux pays pauvres, selon le schéma tristement célèbre du chantage à la dette : « Nous vous prêtons de l’argent à condition que vous supprimiez vos barrières douanières, que vous privatisiez votre distribution d’eau, que vous fermiez des hôpitaux, que vous suspendiez vos aides sociales et que vous baissiez les salaires et les pensions ».
MAXWELL Source : mrmondialisation