À Paris, le président tchadien Idriss Déby Itno, a reçu 15,2 milliards d’euros de promesses d’investissements pour relancer son économie plombée par la baisse du prix du pétrole. Ses adversaires craignent de voir ces fonds détournés.
Le président tchadien Idriss Déby Itno peut être satisfait de sa visite à Paris. Le Tchad, allié stratégique de la France en Afrique, a bouclé vendredi 8 septembre dans la capitale française une opération séduction auprès des investisseurs, dans le cadre d’une conférence de bailleurs de fonds. Ces derniers, selon N’Djamena, ont promis des milliards d’euros pour relancer l’économie du pays plombée par la fin du mirage pétrolier, suscitant des critiques des adversaires du régime.
À la sortie d’une table ronde de deux jours, pour le financement de son plan national de déveleoppement, le Tchad a obtenu 15,2 milliards d’euros de promesses d’investissements, selon le communiqué final des autorités. “Les annonces sont bonnes et généreuses. Nous avons dépassé nos attentes mêmes. Mais les difficultés apparaîtront dans la mise en œuvre”, a déclaré Idriss Déby vendredi lors d’une cérémonie. “Je garantis les investisseurs que le gouvernement fera tout pour que tout se passe dans la transparence, avec l’appui des partenaires”.
Des recettes publiques effondrées
Pays pauvre exportateur de pétrole depuis 2003, le Tchad a subi de plein fouet la chute du prix du baril de 100 à 50 dollars. Le pétrole représentait 70 % de ses recettes budgétaires. Désormais, les responsables politiques entendent tourner leur économie essentiellement vers les secteurs de l’agriculture et de l’élevage, et développer la pêche et les mines.
“Les recettes publiques se sont effondrées, la dette a explosé. À un moment même, la garde prétorienne de Déby n’était plus payée”, affirme un bon connaisseur du dossier qui reconnaît des atouts au pays peuplé de 12 millions d’habitants. “Le Tchad exporte de la viande, de la gomme arabique. Il dispose de 90 millions de têtes de bétail, c’est énorme. Mais son principal débouché est le Nigeria… et avec Boko Haram ça pose problème”.
Dans la zone du lac Tchad par exemple, l’arrivée de Boko Haram a bloqué nombre d’échanges commerciaux avec le Nigeria et le Cameroun, frappant durement les éleveurs tchadiens qui avaient l’habitude de traverser la frontière du Nigeria pour vendre leur bétail.
Après avoir mis en place des mesures drastiques d’austérité en septembre 2016, le président Déby a déjà bénéficié d’un prêt de près de 260 millions d’euros accordé fin juin par le Fonds monétaire international.
“Gonfler les comptes bancaires d’Idriss Déby”
Fidèle à sa démarche, le FMI a conditionné son prêt à des “réformes structurelles”, alors que le pays a été paralysé fin 2016 par des mouvements sociaux contre les “16 mesures d’austérité” lancée par le président Déby après sa réélection quelques mois plus tôt.
Cette conférence de bailleurs de fonds à Paris a suscité des critiques des adversaires du gouvernement de Déby et des analystes du Tchad. “Ce n’est pas la première fois que le Tchad appelle à l’aide, c’est la troisième fois”, rappelle Abdelkerim Koundougoumi, organisateur d’une contre-rencontre à Paris. “Qu’est-ce qu’ils ont fait de l’aide qu’ils ont reçue la dernière fois ?” Mahamat Nour Ibedou, secrétaire général de la Convention tchadienne de défense des droits de l’Homme (CTDDH), s’était également inquiété : “deux tiers des fonds destinés au financement de ce plan de développement iront gonfler les comptes bancaires d’Idriss Déby et de ses parents dans les paradis fiscaux, le tiers restant servira à l’achat des armes et du matériel de torture destiné à la police politique”.
“Le Tchad n’a pas respecté les accords antérieurs en dépensant une grande partie de ses revenus pétroliers pour l’armée, alors que les services sociaux et la bonne gouvernance ont souffert”, a déploré Richard Moncrieff, chargé de l’Afrique centrale à l’International crisis group (ICG).
Les participants au contre-sommet à Paris ont appelé les bailleurs de fonds à “privilégier le financement direct des acteurs locaux de développement”.
N’Djamena rejette l’idée des hot spots
Le 28 août dernier, le président tchadien était déjà passé à Paris pour participer à un sommet européen sur les flux migratoires aux côtés du président nigérien, Mahamadou Issoufou, ainsi que du chef du gouvernement d’entente nationale libyen, Fayez al-Sarraj. Le président français, Emmanuel Macron, y avait évoqué l’idée d’une procédure d’asile en Afrique “dans des zones identifiées, pleinement sûres, au Niger et au Tchad, sous supervision du HCR”.
Cette idée avait été froidement accueillie à N’Djamena. Idriss Déby avait surtout insisté, avec son homologue nigérien, sur l’importance du développement pour réduire les flux migratoires.
La veille, son ministre des Affaires étrangères, Hissein Brahim Taha, avait rejeté l’idée de créer des “hot spots” (centre d’enregistrement des demandeurs d’asile) au Tchad : “Nous sommes contre ce projet qui risque de créer un appel d’air. Des milliers de candidats à l’immigration viendront chez nous”, avait-il déclaré à Radio France Internationale (RFI).
Avec AFP