« C’est en Afrique que se joue largement l’avenir du monde », a assuré le jeune chef de l’État français, Emmanuel Macron, le 29 août dernier à l’occasion de la conférence des ambassadeurs. Une cérémonie au cours de laquelle, selon la tradition, le président a présenté les grandes lignes de la diplomatie française. Aussi c’est après l’Europe, la lutte contre le terrorisme et l’immigration, qu’il en vient à l’Afrique.
La volonté d’une approche nouvelle
« La France ne saurait être ce pays postcolonial hésitant entre un magistère politique affaibli et une repentance malsaine, les pays d’Afrique seront nos grands partenaires. Et nous devons continuer à apprendre d’eux, comme ils peuvent apprendre de nous. » Première pierre de cet édifice, la création d’une nouvelle institution destinée à incarner cette nouvelle ère dans les relations franco-africaines, le Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA). « Pour nourrir cet échange, je mettrai en place dans les prochaines semaines un Conseil présidentiel pour l’Afrique, structure inédite tournée vers les attentes de nos jeunesses. Ce Conseil transformera la gouvernance de la politique africaine en réunissant auprès de moi un groupe de personnalités engagées et issues de la société civile. L’Afrique l’illustre parfaitement, une politique étrangère désireuse de rétablir la sécurité doit activer trois grands leviers, presque concomitamment, ces leviers sont ce que j’appelle en quelque sorte les trois D, défense, développement et diplomatie ».
Le CPA, qui aurait été inspiré par Lionel Zinsou et Jean-Michel Severino, avec à sa tête le Franco-Béninois Jules-Armand Aniambossou, ancien ambassadeur du Bénin en France et par ailleurs ancien camarade de classe d’Emmanuel Macron à l’École nationale d’administration (ENA), est composé de onze personnalités, d’Afrique et de la diaspora, parmi lesquelles l’entrepreneur franco-tunisienne Sarah Magida Toumi, ou encore le Franco-Libano-Malien Karim Sy, fondateur de Jokkolabs. Bénévoles, ces personnalités doivent se réunir une fois par trimestre avec pour première mission définir la politique africaine que présentera le président Macron en novembre prochain au Burkina Faso. Une initiative qui n’a pas manqué de faire réagir en Afrique. Si elle est globalement saluée, il n’en demeure pas moins que pour la majeure partie des personnes interrogées, l’avenir des relations franco-africaines dépendra aussi de la capacité des dirigeants africains à être force de propositions et de contre-propositions.
« Macron cohérent avec sa politique de renouvellement »
« Je pense que c’est une bonne chose pour la France d’enrichir sa perception de l’Afrique avec ces nouveaux acteurs du Conseil présidentiel notamment ceux de la diaspora », estime Idrissa Diabira, directeur général de l’Agence de développement et d’encadrement des petites et moyennes entreprises (Adepme) au Sénégal. Et de poursuivre : « Ils sont porteurs, comme Karim Sy, de complexité grâce à leurs identités multiples assumées. Ils peuvent donc être d’utiles traits d’union permettant à la France d’avoir un regard plus fin sur le continent, sur ses défis et sur la manière de les relever à partir de la base et non plus exclusivement à partir du sommet et réciproquement pour l’Afrique ». Franco-Malien, ancien coopérant, Idrissa Diabira s’est toujours vu comme un trait d’union entre la France et l’Afrique. Désormais, c’est d’Afrique qu’il voit la France.
« L’Afrique a le regard résolument tourné sur son développement à moyen et long terme. Au Sénégal par exemple, nous disposons d’un Plan Sénégal émergent (PSE) au travers duquel le chef de l’État, Macky Sall, entend relever, entres autres, les défis de nouveaux pôles urbains – la France va y prendre part avec le Train express régional (TER) – mais aussi ceux d’une protection sociale universelle ou de PME compétitives créatrices d’emplois et de richesses. Ces défis sont aussi importants que ceux sécuritaires ou migratoires. La France, plus que d’autres pays encore, doit le comprendre et agir en conséquence, elle en a toute l’expertise. C’est tout le mal que je souhaite au nouveau président qui, in fine, sera apprécié, au-delà de ses bonnes intentions, sur ses actes ».
Dans la même tranche d’âge, Junior Xavier Ndong Ndong, président du réseau des jeunes cadres du Gabon, a un avis assez proche. « Emmanuel Macron est cohérent dans sa politique de renouvellement à la fois des usages et des visages à travers la mise en place de ce conseil composé de personnalités diverses et variées, à l’expérience avérée et avec une connaissance certaine de l’Afrique. C’est pour ma part une forme d’innovation qui démontre tout l’intérêt de la nouvelle politique africaine de l’Élysée », dit-il.
La nécessité d’être concret pour obtenir des résultats
Ceci étant dit, comme Idrissa, il estime que ce conseil devra être accompagné d’une politique plus concrète en matière de développement sur le continent. « Le rôle de la France devrait davantage se raffermir en Afrique en général. De façon spécifique, la France doit investir un peu plus en Afrique et aider cette dernière à se développer. La faiblesse de l’économie africaine sera aussi celle de la France, avec un effet direct sur le phénomène de l’immigration. La France a donc tout intérêt à aider l’Afrique à autonomiser ses populations, singulièrement les jeunes et les femmes au risque de se voir envahie et toute l’Europe avec. Ce qui appelle donc un nouveau type de partenariat entre la France et l’Afrique, de nouvelles relations basées sur le principe d’égalité politique et de liberté économique ». Et d’ajouter : « Ma crainte est que le président Emmanuel Macron ne puisse réussir à dompter les démons de la Françafrique qui ne sont pas la voix de la France mais plutôt de personnalités pour lesquelles priment les intérêts personnels au détriment de ceux de l’Afrique et de la France. »
Michel Brizoua-Bi, avocat et président fondateur du think tank Côte d’Ivoire Global, va plus loin dans cette idée. « De prime abord, la création de cet organe est un signal positif car il confirme clairement que l’Afrique est en bonne place sur l’agenda du président Macron, et ce en dehors des questions de sécurité. C’est également une marque incontestable d’humilité consistant à associer à la réflexion des acteurs non-politiques qui pourront aider à faire éclore des initiatives innovantes sur les diverses problématiques et défis de notre continent ». Et de nuancer : « En revanche, il nous faut rester lucides et réalistes : cet organe demeure prioritairement un outil d’aide à la décision au service de la politique française et de ses intérêts. Au lieu d’attendre des retombées des réflexions ou idées qui y seront formulées, c’est plutôt à l’Afrique et à ses dirigeants de concevoir leur propre agenda d’un partenariat avec la France et surtout dans une mesure plus large, avec l’Europe post-Brexit. Le prochain sommet UE-Afrique d’Abidjan devrait être une occasion majeure à saisir pour aller dans cette direction. »
Les élites africaines doivent augmenter leur force de propositions
Son compatriote, le Dr Parfait Kouassi, premier vice-président de la chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire, est plus radical dans ce sens : l’avenir des relations-franco-africaines dépendra de la capacité des élites africaines à être une force de propositions. « Sur le Conseil présidentiel pour l’Afrique, j’estime la démarche intellectuellement crédible. Il me parait logique que, face aux critiques récurrentes des Africains, la France initie une réflexion sur la question à travers une cellule de travail. Telle est ma compréhension de ce Conseil présidentiel qui devrait élaborer un catalogue de recommandations à l’attention du président Macron. Mais cela ne restera « que » la vision française de ces relations, avec une tendance (compréhensible) à la préservation des intérêts français. On ne va tout de même pas demander à la France de réfléchir et travailler contre elle-même ! C’est aux Africains de réfléchir à ce qui est bon pour leurs propres intérêts. C’est pourquoi Je m’étonne que, côté africain, aucun État ou organisme type Cedeao n’ait initié une réflexion du même type afin de donner la vision africaine de ces relations, ce qui mettra en avant les intérêts africains. Car c’est de la confrontation des deux visions, de l’analyse des intérêts de chaque partie, que pourra naître un cadre de relations consensuel qui convienne à chacune des parties. » Et de saisir l’occasion pour interpeller les leaders du continent : « Je lance un appel aux gouvernants africains pour qu’ils produisent leurs propres recommandations et se tiennent prêts à les confronter à celles que la France va proposer », poursuit-il.
« La France se réorganise, les Africains doivent faire de même »
Un point de vue partagé par Stanislas Zézé, président-directeur général de Bloomfield Investment Corporation, première agence de notation africaine. « Je ne crois pas qu’il faille, pour les Africains, attendre quelque chose de particulier de ce Conseil présidentiel pour l’Afrique de M. Macron. Et pourquoi devraient-ils, d’ailleurs ? Je voudrais rappeler que M. Macron est président de la France et non de l’Afrique ou d’un pays africain, donc tout ce qu’il fera sera seulement dans l’intérêt de la France et des Français, et de façon tout à fait légitime comme devrait le faire chaque président africain, pour son pays et son peuple. Chacun des conseillers choisis par M. Macron a certainement un visage africain mais est français. Une façon de montrer ou de dire que la politique de la France est désormais écrite par des visages africains. La France se réorganise tout simplement et les pays africains devraient en faire autant. »
Plus largement, il déplore la passivité de l’Afrique dans la relation franco-africaine. « En réalité, il n’y a rien de nouveau dans les relations France-Afrique. Par contre, je suis un peu gêné par deux choses. La première, c’est cette idée un peu curieuse de penser que le salut de l’Afrique viendrait d’un autre pays bienfaiteur, tel que la France par exemple, dans un élan de solidarité, de fraternité ou d’humanisme. Voir les choses de cette façon est de tout évidence faire preuve de simplicité d’esprit. Il est grandement temps que les Africains comprennent que les relations et échanges commerciaux, diplomatiques, cultures, militaires et politiques sont des relations d’intérêts et uniquement d’intérêts, quelle que soit la nature de ces intérêts. Donc les actions des autres pays vis-à-vis de l’Afrique en général ou d’un pays africain en particulier devraient être interprétées de cette façon et chaque pays devrait façonner sa stratégie dans ce sens afin de gérer ses propres intérêts. La deuxième chose, c’est qu’il est impératif que les pays développés ou avancés cessent de considérer l’Afrique comme un pays ou un bloc homogène à travers des expressions et actions telles que le sommet France-Afrique, la rencontre Chine-Afrique, la politique africaine de la France. L’Afrique est un continent et non un pays et les chefs d’État africains devraient commencer à le revendiquer. » Une approche qui en dit long sur tous les éléments à prendre en compte dans un cadre de coopération aussi sensible que celui entre l’Afrique et la France.
Avec lepointafrique