Si l’Afrique ressort aujourd’hui comme « la mine » de la planète, elle est loin du niveau d’industrialisation espéré. Le Continent n’arrive toujours pas à relever le défi de la révolution industrielle et de la création de valeur ajoutée locale, des fondamentaux dont dépend fortement son émergence. Analyse.
En Europe, un kilogramme de noix de cajou est vendu à 15 euros. Pourtant, ce même kilogramme qui est cultivé et produit essentiellement en Afrique sort du continent à 1,60 euro ! Il est expédié en Inde pour une première transformation avant de rejoindre le continent européen, là où cet « or gris » comme l’appellent certains producteurs et grossistes en Côte d’Ivoire, principal producteur de noix de cajou, prend le plus de valeur. Dans certains magasins de luxe où la noix de cajou est sublimée, son prix au kilogramme frôle les 100 euros. Soit 90 fois, son tarif d’achat à l’état brut en Afrique. Voici un exemple parmi tant d’autres qui prouve encore que l’Afrique peine à amorcer sa transformation industrielle alors qu’elle dispose de tous les atouts pour ce faire. L’atout le plus visible étant des ressources naturelles que la planète entière lui envie.
Le Continent a beau être le terreau des matières premières de tout genre, les circuits de transformation qui sont à même de valoriser les produits « made in Africa » manquent. S’il est une palme du champion de perte de valeur, l’Afrique en sortirait toujours le grand vainqueur. Si la transformation de la noix de cajou peut sembler être une niche, que dire donc de l’industrie du chocolat qui prospère dans plusieurs pays occidentaux alors que le premier producteur de cacao, avec 40 % du marché mondial, ne dispose pas d’une filière de transformation du cacao ? La Côte d’Ivoire, l’une des plus importantes puissances économiques ouest-africaines, ne transforme qu’environ 5 % de ses fèves de cacao. Résultat des courses, des revenus faméliques qui ne suffisent parfois même pas à faire vivre les producteurs locaux. Une véritable tragédie économique.
S’industrialiser ou périr
Une tragédie que les chiffres confirment sans peine. Selon un rapport de la Banque africaine de développement (BAD) publié en avril dernier, en moyenne, l’industrie génère 700 dollars du produit intérieur brut (PIB) par habitant en Afrique, soit moins d’un tiers du rendement en Amérique latine (2 500 dollars du PIB par habitant) et à peine un cinquième de celui de l’Asie de l’Est (3 400 dollars du PIB par habitant). Le PIB dans le secteur de l’industrie a une incidence sur le PIB global, dans la mesure où la productivité industrielle tire la productivité dans d’autres secteurs. Le Continent n’a donc plus le choix. L’industrialisation est la seule voie sûre pour garantir un développement pérenne.
Akinwumi Adesina, président de la BAD, est du même avis : « L’Afrique ne doit plus rester au bas des chaînes de valeur mondiales : elle doit avancer pour s’industrialiser rapidement afin d’ajouter de la valeur à tout ce qu’elle produit. L’Afrique doit travailler pour elle-même et ses populations, et cesser d’exporter ses richesses ailleurs ». La croissance africaine qui faisait jadis rougir les autres continents beaucoup plus développés est aujourd’hui à la traîne.
Les experts de la BAD s’accordent à dire qu’une croissance durable, inclusive et partagée en Afrique ne sera pas possible sans « l’industrialisation, qui facilitera le changement des activités à faible productivité en celle ayant une forte productivité, par exemple, de l’agriculture à l’agro-industrie, des ressources minérales brutes à des exportations de produits semi-transformées ou transformées, à forte valeur ajoutée, freinant ainsi le taux de chômage élevé et posant les bases d’une plus grande diversification des économies ». Mais attention : de gros changements doivent être opérés en urgence. Car une révolution industrielle doit être soutenue par les progrès technologiques, la réaffectation des nouveaux investissements vers les marchés émergents à haut rendement et en offrant à l’Afrique la possibilité de rattraper son retard de développement.
Aveu d’échec
Li Yong, directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI), avoue clairement pour expliquer ce « mal africain » que : « Traditionnellement, il y a un problème de financement : le gouvernement doit allouer des ressources aux infrastructures de base. Mais les institutions de développement doivent également contribuer aux infrastructures telles que les routes, les autoroutes, les chemins de fer, l’électricité ou l’approvisionnement en eau. Nous conseillons aux gouvernements de concevoir des politiques qui protègent les investissements de sorte à attirer le secteur privé et l’investissement direct étranger ».
Aujourd’hui, les parties prenantes de l’agenda de l’industrialisation du Continent admettent que le PIB industriel devrait croître en moyenne de 11,5 % par an (ce qui correspond à une croissance cumulée de 130 % en 2025). Le PIB par habitant devrait presque doubler à 4 % par an. L’expérience d’autres économies industrialisées à travers le monde montre que l’Afrique peut réellement réaliser plus du double de son PIB industriel par habitant en augmentant sensiblement son PIB industriel au cours des dix prochaines années de 751 milliards dollars à 1720 milliards dollars.
Cela permettrait à l’Afrique de relever son PIB continental à 5.620 milliards dollars et son PIB par habitant à 3,368 milliards dollars en 2025. Le constat exposé par Mario Pezzin, directeur du Centre de développement de l’OCDE et conseiller spécial auprès du secrétaire général de l’Organisation sur les questions de développement, est sans appel : « Les économies africaines ne peuvent pas se permettre de rater la prochaine étape de leur transformation productive. Les entrepreneurs doivent être des acteurs de premier plan de la quatrième révolution industrielle en Afrique ». L’avenir des Africains doit, alors, être amorcé aujourd’hui, demain ce serait déjà trop tard !
L’espoir…
Cette prise de conscience fait que des initiatives, même si elles restent insuffisantes, se mettent en place. Exemple des plus récents : « Instant chocolat ». Il s’agit d’un groupe de chocolatiers ivoiriens qui vise à promouvoir le développement de la culture du cacao en produisant du chocolat « Made in Côte d’Ivoire » fait par des femmes vivant en milieu rural !
Voilà une initiative privée qui allie valorisation de ressources naturelles, et développement socio-économique d’une population défavorisée. L’Entreprise coopérative de Yamoussoukro (ECOYA), promotrice du projet, vise à transformer 10 % de la récolte des planteurs de cacao. Le produit fini destiné à la pâtisserie est d’une teneur de 75 % d’un cacao certifié. « Figurez-vous qu’un paysan gagne moins d’un dixième du prix de la tablette de chocolat vendue à l’international. Aujourd’hui, on veut faire en sorte qu’il puisse au moins gagner le tiers pour avoir un produit très compétitif parce qu’il est quasiment 40 à 50 % moins cher qu’un même produit fait par les autres multinationales du chocolat », a expliqué au micro de RFI le chocolatier Axel Emmanuel Gbaou à l’origine de ce projet.
Le Continent a besoin de ce genre d’initiatives privées multipliées par des centaines de milliers d’occurrences et appuyées par des programmes d’aide publique. Le secteur privé doit être acteur de la transformation industrielle, mais les États africains doivent être des facilitateurs et promoteurs de cette révolution. Au Maroc, par exemple, l’industrie a été portée à un rang stratégique dans la politique de développement du pays à travers l’élaboration de plans stratégiques depuis le début des années 2000. La vision était de placer le Maroc sur la chaîne de valeur mondiale en misant sur un certain nombre de secteurs. Plus d’une décennie plus tard, des secteurs comme la construction automobile ou l’aéronautique se sont hissés en haut du podium des secteurs exportateurs. Bien évidemment, il y a encore des écueils que les stratégies successives tentent de surmonter comme le taux d’intégration local, le transfert de technologie ou encore la compensation industrielle.
Avec latribuneafrique