Vladimir Poutine annonce le 12 février 2015 un accord de cessez-le-feu sur l’Ukraine après une nuit de négociations à Minsk.
Après le meurtre de l’opposant au Kremlin Boris Nemtsov à Moscou, notre contributeur Hervé Karleskind imagine, sous la plume de Madame de Sévigné, une visite impromptue de Joseph Staline au président russe Vladimir Poutine.
Paris, le 1er mars,
Mon cher Artois,
Il me fallait sans délai vous faire tenir la lettre de Russie que je viens de recevoir de mon ami Astolphe de Custine. Vous sachant le cuir épais, je vous la livre in extenso. Non sans vous confesser qu’elle m’a dressé les cheveux sur la tête.
“Au soir du dernier jour de février, par un temps glacial, une lourde berline ZIS blindée vint à franchir l’imposant porche du Kremlin, résidence du tsar Wladimir le Blafard. Nul garde, spetsnaz, boyard ou cosaque zaporogue ne savait quel invité de marque voyageait à son bord: les rideaux noirs qui occultaient les fenêtres avaient été soigneusement tirés.
Le tsar Wladimir achevait son frugal souper: un bortsch clairet servi avec de l’eau minérale. Le tsar de toutes les Russies, contrairement à pléthore de ses ancêtres, ne se prenait jamais de vin, et encore moins de vodka, soucieux qu’il était de conserver ses atours de héros d’Eisenstein ou d’une icône du proletkult soviétique.
L’angoissant réveil du Tsar Kolokol
Le tsar Wladimir était las: la journée avait été rude et marquée parl’assassinat du frondeur Boris Nemtsov, vice-chambellan de l’ancien tsar Boris la Bibine. Les chancelleries d’Occident s’étaient émues, ainsi qu’il sied, tout en prenant grande précaution de ne point laisser poindre leurs doutes sur les causes d’une mort qui leur semblait pourtant fort douteuse.
C’est alors que, soudain, la première étrangeté de la veillée vient à troubler la quiétude de la forteresse du tsar. Il se produisit un événement proprement inouï!
Le maître-bourdon Tsar Kolokol, la cloche la plus lourde du monde qui gît au pied du clocher d’Ivan le Terrible, se mit à sonner le glas pour la première fois depuis qu’elle avait été coulée puis cassée lors d’un incendie.
Le Blafard sursauta, songeant in petto à un coup de canon. Mais un majordome s’en vint tenter de le rassurer: Wladimir n’en cru mot et pensa qu’il serait judicieux d’expédier sans tarder cet imbécile dans les glaces de la Kolyma.
Passées la stupeur et l’inquiétude, le tsar écarta d’emblée l’hypothèse d’une sédition menée par des Ukrainiens ou des Tchétchènes, ces peuplades irrédentistes qui viennent à contester son autorité. Wladimir songea encore qu’il lui faudrait faire donner le knout à ses gardes à des fins de les châtier pour ce manquement à leur tâche. Contrarié, il fronça les sourcils à l’idée que ce frondeur de Nemtsov avait trouvé la mort au pied du Kremlin, chose infiniment inconvenante et propre à susciter bien des rumeurs en son empire où la vie d’opposant ne vaut pas un kopeck.
Staline, le retour
La seconde étrangeté de cette veillée déjà bien chamboulée, survint lorsque Wladimir, revêtu de sa lourde robe de zibeline, gagna sa couche, précédé de son valet de pied, un kalmouk baraqué comme un T 34 de la Grande guerre patriotique.
C’est alors qu’un vent glacial chargé de neige vint à souffler dans la chambre du tsar, mouchant derechef lustres et candélabres! Le kalmouk, terrifié, s’enfuit à toutes jambes, croyant qu’un chaman s’était glissé dans le palais à des fins de trancher la gorge de son maître. “Pleutre” s’écria le tsar qui, en dépit de sa bravoure, n’en menait pas large.
– Ce n’est que moi, souffla une voix grave, un peu grasseyante, travaillée au tabac brun et au chacha de Géorgie, un puissant arrache gueule réservé aux gosiers blindés.
– Toi! Joseph le Terrible, Koba, le Grêlé! Je ne puis le croire! Mais que viens-tu donc à me tourmenter moi, qui suis ton meilleur disciple!
– Tu l’as dit bouffi! lança le Terrible, le Sanguinaire, le Bourreau, qui ne passait point pour cultiver la sémantique de salon.
– Mais…
“Les enquêtes n’aboutissent pas, tu es peinard!”
– Ta gueule! Ecoute ce que j’ai à te mander, crétin du Donbass! Je ne suis point venu de chanter Back in the USSR, mais pour te décorer de l’Ordre de l’Union soviétique première classe couchette: tu l’as mérité. Tu es le fils que je n’ai pas eu, oublions cette gonzesse de Vassili. Tu es le vozhd, le maître, et ainsi que je te l’ai enseigné dans ton école de l’Okhrana, tu sais presque aussi bien que moi déjouer les complots et te débarrasser de tes ennemis. Ah, le coup du polonium à Londres, un chef d’oeuvre! L’assassinat d’Anna Politkovskaïa, une bonne chose, quoiqu’un peu bâclée. Et maintenant ce casse-couilles de Nemtsov! Quel palmarès!
Rouge de confusion, le Blafard fixait le bout de ses poulaines fourrées de vison de la Kamtchatka.
– De mon temps, souffla le Terrible qui souffrait d’insuffisance respiratoire, je devais sans cesse recourir aux services de ce fils de pute de Beria qui m’avait salopé l’assassinat de Trotski: j’aurais du le faire déporter, tout comme la meuf de Molotov que j’avais flanquée au goulag. Toi au moins, tu n’as point cette peine: avec toutes tes mafias qui font le sale boulot, tu es peinard! Les enquêtes n’aboutissent jamais.
– Mais je n’y suis pour rien! Je n’ai pas fait assassiner Nemtsov!
– Tu te fous de moi, tu me prends pour le général Dourakine! Si je t’affirmais que je n’ai pas fait liquider Kirov qui avait le malheur d’être plus populaire que moi, le croirais-tu seulement? Des obsèques grandioses avec monstrance à la Maison des Jurandes, tout ainsi que moi quelques cinq lustres plus tard. Le seul reproche que je te ferais serait de manquer un peu de pompe: tu travailles petit. Il faudrait que tu maquilles tes basses oeuvres en événement national: fais donc défiler la foule devant le catafalque ouvert. Même ces couillons d’Occidentaux mordront à l’hameçon! Ils viendront y verser une larmichette à des fins de se faire voir aux obsèques. Et n’accuse pas les impérialistes: personne ne te croira. Ça sent trop le réchauffé.
– Je le jure sur la tête du métropolite, je n’y suis pour rien!
– Arrête tes vannes à deux balles! Je suis fier de toi, tout ainsi que je l’étais de ton grand-père Spiridon qui fut mon garde du corps et mon goûteur. Bon sang ne saurait mentir!”
Avecc L’Express