Ce système CFA, tant décrié par certains, repose sur un mécanisme d’une grande simplicité : la France s’engage à assurer la convertibilité totale de la devise avec l’Euro (le franc jusqu’en 1999). En contrepartie, les Etats adhérents doivent déposer 50 % de leurs réserves de change sur un « compte d’opérations » ouvert auprès du Trésor Français par les deux banques centrales de la zone : celle d’Afrique Centrale, basée à Yaoundé (Cameroun), et celle d’Afrique de l’Ouest, située à Dakar (Sénégal). La parité du franc CFA avec l’euro est fixe et les transferts de capitaux sont libres entre la zone Franc et l’Hexagone. Ces principes ont été inscrits dans le marbre dès les Accords de Brettons Woods, en 1944. Est-il temps de repenser un dispositif plus que septuagénaire ? Michel Abdelouhab est un fonctionnaire détaché au Ministère français des affaires étrangères. Professeur de sciences économiques, il répond aux questions de La Tribune Afrique.
La Tribune Afrique : Aujourd’hui une partie de l’Afrique réclame la sortie du franc CFA, d’après vous est-ce une bonne solution ? Est-ce que les panafricains peuvent avoir une autre monnaie ?
Michel Abdelouhab : En fait, la politique monétaire appliquée dans l’UEMOA est élaborée par la Banque Centrale Européenne (BCE), à Francfort. L’objectif macroéconomique fixé par la BCE est la lutte contre l’inflation, alors que l’objectif macroéconomique des pays de la CEMAC et de la CEDEAO est la croissance économique.
En effet, seule une croissance économique importante permet de réduire le taux de pauvreté dans ces pays et d’enclencher, toute chose égale par ailleurs, une dynamique de développement. De fait, la politique monétaire appliquée dans la zone CFA est à l’inverse de ce qui devrait être fait : on lutte contre l’inflation alors qu’il faudrait stimuler la croissance, tout en s’accommodant d’une remontée des prix (Courbe de Philips). A cet égard, le CFA apparaît donc comme un frein à la croissance. De plus, les pays de la zone CFA ont pour obligation de reverser 50% de leurs réserves de changes sur un compte d’opération spécial au Trésor Français, ces réserves étant censées assurer la liquidité du CFA.
Ce sont autant de ressources en moins pour le financement du développement économique. Enfin, les banques doivent limiter leur distribution de crédits à hauteur de 23% du PIB alors qu’il est de 100% en Europe. Cette disposition limite donc de fait l’investissement des entreprises, la consommation des classes moyennes qui émergent et donc la croissance et le développement.
Politique monétaire restrictive, transfert des réserves de change au Trésor Français et limitation de la distribution de crédits, telles sont les conséquences de cette servitude monétaire volontaire déjà dénoncée par feu le professeur camerounais Joseph Pouemi, au début des années 1980. En outre, la zone franc souffre d’un réel déficit de gouvernance. En effet, la politique monétaire devrait être définie au sein du conseil des gouverneurs des deux banques centrales (zone CEMAC et zone CEDEAO), or ce n’est pas le cas. De fait les experts français du ministère de l’Économie et des Finances, ou ceux de la Banque de France ont une fâcheuse tendance à s’approprier le dossier.
L’ensemble de ces facteurs inhérents au CFA nuisent à la croissance économique de la zone CFA tout en laissant un arrière goût de françafrique. Mais ne noircissons pas totalement le tableau. Ils existent effectivement des effets vertueux à l’arrimage du CFA à l’Euro.
La Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a porté plainte contre l’activiste Kémi Séba pour avoir brûlé un billet de banque de 5.000 franc CFA le 19 Août dernier à Dakar lors d’une manifestation. Comment jugez-vous cet acte ?
Bruler un billet est un délit puisque la monnaie est un bien public. Mais le problème n’est pas vraiment là. Kemi Seba surfe sur un populisme ethnique, ressemblant fortement à du suprématisme noir ; le fait que ce type de discours fonctionne à plein est symptomatique d’un mal-être économique, social et identitaire d’une partie des jeunesses africaines.
M.Seba, qui n’a pas les éléments de culture ni de structure pour parler dune problématique macroéconomique aussi complexe que le CFA, l’instrumentalise par ailleurs pour déverser sa haine revancharde contre l’occident et les blancs en général, la France en particulier. Il n’a par contre pas d’état d’âme à être titulaire d’un passeport européen. M.Seba utilise la même rhétorique que Marine le Pen, D. Trump, voire les suprématistes blancs en Europe et aux USA, version afro ; c’est dangereux.
A qui profite le franc CFA ?
Je vois deux avantages pour la France. D’abord économique pour les grands groupes français qui peuvent travailler en zone CFA sans risque de change et en rapatriant sans limites leurs bénéfices.
Ensuite politique. Il existe une logique de pré carré. Le franc CFA permet à Paris d’exercer une forme de « soft control » sur la manière dont ces pays se développent dans un environnement de concurrence exacerbée avec notamment l’arrivée de la Chine, de l’Inde sur le Continent.
Cette dimension est prépondérante, car la réalité économique montre que les principaux partenaires commerciaux de la France ne sont pas dans la zone Franc. Le Nigeria, l’Angola et l’Afrique du sud sont les partenaires principaux de la France en Afrique sub-saharienne, alors qu’ils ne sont pourtant pas dans la zone CFA.
Enfin, certains dirigeants africains y trouvent aussi intérêt car ce système entraîne aussi un « siphonage » des ressources vers l’Europe. Puisque il n’y a pas de limites à la convertibilité, les élites locales ont tout loisir de placer leur argent sur un compte étranger ou d’acheter un appartement dans une métropole européenne par exemple. Il existe effectivement des élites rentières qui n’ont pas intérêt à faire évoluer ce système. C’est en ce sens que l’on peut parler de servitude volontaire.
Par exemple, en Guinée Equatoriale, la moitié du PIB, en valeur, est transférée à l’étranger. C’est considérable. La soutenabilité du système CFA dépendra des pouvoirs politiques de la zone Franc. Un abandon du système CFA doit avoir pour préalable un renforcement de la gouvernance, et une très forte augmentation du capital institutionnel dans ces pays.
Avec latribuneafrique