South African Airways, Ethiopian Airlines, Air Mauritius… L’avionneur européen remplit son carnet de commandes. Et marque des points dans la guerre acharnée qu’il mène contre son concurrent américain.
À Toulouse, ce 17 juillet, au siège d’Airbus, c’est avec une joie non dissimulée que les équipes d’Air Côte d’Ivoire ont assisté à la réception du premier A320 vert et orange flambant neuf de la compagnie. Pour l’avionneur européen, le champagne coulait aussi à flots. Car c’est au total 5 monocouloirs que la compagnie ivoirienne a commandés à Airbus pour renouveler une partie de la flotte constituée actuellement de 10 aéronefs, dont 5 en propre. En octobre, Air Côte d’Ivoire recevra son deuxième avion, et les 3 suivants d’ici à trois ans. Ces derniers mois, Airbus a multiplié les livraisons aux compagnies africaines. En décembre 2016, South African Airways réceptionnait le premier de ses 5 A330, dans la foulée de Rwandair et d’Air Mauritius, qui ont chacun pris possession de 2 appareils.
Les commandes vont bon train
Une cadence qui réjouit Hadi Akoum, vice-président d’Airbus, chargé des ventes pour l’Afrique et le sud de l’océan Indien. « En 2017, nous avons 14 avions à livrer en Afrique. En général, nos livraisons varient entre 5 et 20 appareils par an », explique-t‑il. Et les chaînes de production ne désemplissent pas.
Airbus poursuit d’ailleurs des discussions avec plusieurs compagnies comme Guinea Airlines, dont le lancement traîne.
Le 20 juin, au Salon aéronautique du Bourget, Ethiopian Airlines, avec sa flotte historiquement composée de Boeing, confirmait son intérêt pour Airbus en annonçant la commande de 10 A350 (pour un prix au catalogue de plus de 3 milliards de dollars, soit 2,7 milliards d’euros), en plus des 14 déjà en attente.
Airbus poursuit d’ailleurs des discussions avec plusieurs compagnies comme Guinea Airlines, dont le lancement traîne. Ou encore avec la nouvelle Air Sénégal, qui, après avoir acquis en juin dernier ses 2 premiers ATR (une filiale d’Airbus) destinés à desservir le réseau régional à partir de décembre, attend l’arrivée sur le marché des avions de nouvelle génération (de type A320neo, plus économes en carburant de 25 % et moins émetteurs de particules) pour s’ouvrir au moyen-courrier et au long-courrier.
Airbus-Boeing, éternels concurrents
Un carnet de commandes tellement rempli qu’il fait craindre au constructeur européen de ne pas pouvoir répondre aux demandes dans les délais. Alors que 26 compagnies africaines disposent d’Airbus dans leur flotte, le toulousain revendique 83 % de la flotte de moyen-courriers sur le continent, dont 146 A320.
Comme dans le reste du monde, c’est une lutte particulièrement acharnée qu’il mène en Afrique contre son éternel concurrent, l’américain Boeing, qui revendique quant à lui 70 % des avions en service, 400 avions et 40 compagnies africaines clientes.
D’après le compteur disponible sur son site internet, le constructeur américain a procédé à 29 livraisons sur le continent africain entre janvier 2016 et juin 2017, dont huit 737 livrés à Air Algérie en 2016, six 787 à Ethiopian Airlines, trois 787 à la Royal Air Maroc, deux 777 à l’angolaise TAAG.
Il a enregistré dans le même temps une vingtaine de commandes, dont 10 de la part de la nigériane Arik Air (en grandes difficultés et nationalisée en 2017), 3 de la part de la compagnie algérienne Tassili Airlines.
« En Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, par exemple, à l’exception de quelques rares compagnies, il est aujourd’hui difficile de trouver des transporteurs bien gérés »
Ethiopian Airlines attend quant à elle l’arrivée dans les prochaines années de 36 Boeing (des moyen-courriers et des cargos) dans sa flotte.
Beaucoup de compagnies fragiles
Alors que les deux constructeurs misent sur un marché en croissance de près de 6 % par an qui aura besoin d’un millier d’avions d’ici à vingt ans (dont 74 % de mono-couloirs, d’après les prévisions de Boeing), tous deux doivent néanmoins faire face à un marché composé de quelques acteurs sûrs au milieu de beaucoup de compagnies fragiles.
« En Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, par exemple, à l’exception de quelques rares compagnies, il est aujourd’hui difficile de trouver des transporteurs bien gérés », regrette Hadi Akoum.
Directeur Afrique subsaharienne de Boeing, João Miguel dos Santos pointe, lui, le « déficit d’inspecteurs de vol, de mécaniciens et d’ingénieurs » dans cette région. « Or ce sont toutes ces composantes qui créent un environnement commercial efficace », explique le dirigeant, qui a inauguré en février deux bureaux de l’avionneur, à Nairobi et à Johannesburg.
« Pour qu’une flotte absorbe de nouveaux appareils, il faut qu’elle dispose des outils de maintenance et de compétences très qualifiées », rappelle Michel Merluzeau, directeur du centre AirInsight Research, établi à Seattle.
Ouverture de centres de maintenance
De fait, chacun des deux avionneurs s’adapte en adoptant un rôle de partenaire des transporteurs. Tout d’abord au niveau technique, en installant directement les outils de maintenance chez le client.
Mais le partenariat technique entre constructeurs et compagnies aériennes peut aussi aller jusqu’au transfert d’une partie de la chaîne de production.
Airbus démarrera l’année prochaine à Abidjan les travaux d’un centre avec Air Côte d’Ivoire, qui offrira un stock de pièces de rechange et formera de nombreux ingénieurs et techniciens de la compagnie.
Le centre doit être prêt pour accueillir en 2019 la première « grande visite » technique des nouveaux Airbus d’Air Côte d’Ivoire, dans l’objectif d’attirer d’autres compagnies de la région. Mais le partenariat technique entre constructeurs et compagnies aériennes peut aussi aller jusqu’au transfert d’une partie de la chaîne de production.
Outre la création l’année dernière au Maroc, en partenariat avec la RAM et Safran, d’un écosystème visant à attirer des sous-traitants, Boeing a installé en 2013 chez Ethiopian Airlines la fabrication de faisceaux de câbles électriques. C’est ensuite une assistance qui se fait au niveau commercial.
En Afrique, on n’a pas besoin de 747 ni de beaucoup d’avions
« Nous n’essayons pas seulement de vendre des avions économiques de nouvelle génération aux Africains ; nous aidons aussi les compagnies les plus faibles à mieux comprendre comment elles peuvent optimiser leurs opérations. Cet objectif atteint, les compagnies du continent reviendront vers nous pour acheter des avions plus gros », souligne Hadi Akoum.
Adapter les avions au besoin africain
« On ne pousse pas nos clients à acheter à tout prix, poursuit João Miguel dos Santos. On travaille avec eux pour trouver le produit qui répond le mieux aux besoins du marché. En Afrique, on n’a pas besoin de 747 ni de beaucoup d’avions. De plus petits appareils comme des 737 ou des Embraer peuvent très bien faire l’affaire pour développer le marché intérieur. Si ces compagnies achètent plus que ce qu’elles peuvent ou grandissent trop rapidement, elles courent à la banqueroute… Ce n’est bon ni pour elles ni pour nous. »
« Un avion qui n’est pas utilisé très longtemps se retrouvera très vite sur le marché de l’occasion et viendra concurrencer les avions neufs », précise Michel Merluzeau.
Ainsi, assure João Miguel dos Santos, « chez Boeing, on analyse le marché et les meilleurs avions pour constituer une flotte, on fait des comparaisons économiques entre les avions, parfois entre nos propres avions, 777 et 787 ».
C’est ainsi qu’il a conseillé TAAG, Air Madagascar, Air Zimbabwe, South African Airways, Kenya Airways ou, récemment, Camair-Co. Des études qui sont souvent financées par l’Eximbank américaine, qui peut supporter en parallèle l’achat d’appareils. Un mécanisme qui a permis à Boeing d’écouler jusqu’ici ses avions en Afrique.
Airbus
Compagnies clientes : 32
Nombre d’appareils opérés : 233
Commandes : 20 (entre janvier et juin 2017)
Livraisons : 14 prévues en 2017
Revenus en Afrique en 2016 : plus de 1 milliard
Boeing
Compagnies clientes : 40
Nombre d’appareils opérés : 400 avions
Commandes : 5 (entre janvier et juin 2017)
Livraisons : 7 (entre janvier et juin 2017)
Revenus en Afrique en 2016 : 1,999 milliard de dollars
Le chinois Comac en embuscade
Interrogé le 3 août par Jeune Afrique à Addis-Abeba, Tewolde GebreMariam, directeur général d’Ethiopian Airlines, a confirmé être en discussion avec le gouvernement chinois pour acheter des avions fabriqués par Comac, dont le C919, un monocouloir concurrent de l’A320 d’Airbus et du B737 de Boeing, a réalisé avec succès son vol inaugural.
Mais, d’après le patron éthiopien, « ces avions doivent passer encore beaucoup de tests techniques. Il faut aussi que le fabricant puisse fournir le soutien technique et la maintenance ».
Avec jeuneafrique