Le cours de la vanille connaît actuellement une hausse vertigineuse. Une tendance aux conséquences potentiellement désastreuses pour les Malgaches qui fournissent 80% de la production mondiale.
Le business est juteux: depuis 2015, le cours de cette épice ne cesse de grimper. Il a atteint “un pic jamais vu, entre 600 et 750 dollars le kilo”, selon Georges Geeraerts, président du Groupement des exportateurs de vanille de Madagascar. Cette île pauvre fournit 80% de la production mondiale de vanille, produit dont le marché a été libéralisé en 1989. Depuis, le prix de l’épice fait les montagnes russes: 400 dollars le kilo en 2003, 30 dollars en 2005, le prix le plus bas, autour duquel il a végété pendant une dizaine d’années.
Mais la demande supérieure à l’offre (1.800 tonnes par an), le regain d’intérêt pour le bio, le cyclone Enawo qui a détruit en mars une partie de la production et, enfin, une spéculation incontrôlée ont entraîné une nouvelle flambée des prix. Conséquence immédiate: motos, smartphones, panneaux solaires, groupes électrogènes, écrans-plats, canapés tape-à-l’oeil saturent désormais les étals des marchés de la région de Sava, jouissant d’un micro-climat favorable, mais où seulement 21% de la population a accès à l’eau potable et où seules six communes sur 86 sont électrifiées. “Les banques ont du mal à suivre la cadence”, explique un exportateur français préférant garder l’anonymat. “L’argent n’a plus de valeur, les gens se croient tout permis, ça devient l’anarchie”, se désole un cultivateur, Vittorio John.
Hausse de la criminalité et baisse de la qualité
Cette explosion des prix a dopé la criminalité et les vols dans les plantations. Certains cultivateurs sont obligés de dormir dans leurs champs et plusieurs personnes soupçonnées ou reconnues coupables de vol ont été lynchées, tuées ou emprisonnées. “On a payé deux gendarmes pour assurer la sécurité du village”, explique Patrick Razafiarivo, un intermédiaire entre les paysans et les exportateurs qui cache sa vanille sous son matelas et son canapé. “Nous nous sommes cotisés pour acheter un 4×4” à la gendarmerie, ajoute un exportateur français.
Même les autorités reconnaissent être dépassées. “La base de tous les problèmes, c’est l’insécurité due au manque de moyens, d’effectifs et de rigueur des forces de l’ordre”, déplore un haut fonctionnaire de la région, Teddy Seramila. Cette peur des vols dans les plantations contraint aussi les cultivateurs à récolter la vanille prématurément. Avec à la clef une baisse du taux de vanilline, et donc de la qualité, d’une importante partie de la production.
“Les gens font n’importe quoi, ils mettent sous vide de la vanille qui n’est pas stable (qui peut tourner et où peuvent se nicher des virus, ndlr). Les non-connaisseurs peuvent être trompés sur la qualité”, explique un exportateur malgache qui souhaite conserver l’anonymat. “Rien ne ressemble plus à une bonne gousse qu’une mauvaise gousse, vous ne pouvez pas faire la différence”, renchérit Lucia Ranja Salvetat, elle aussi exportatrice de vanille.
Manque de règles
Le commerce de la vanille reste très peu encadré à Madagascar, même si des marchés officiels existent dans les communes. Chaque acheteur peut librement parcourir les villages et négocier les prix au cas par cas directement avec les paysans ou faire appel à des intermédiaires en dehors de tout contrôle. “Il faudrait une loi applicable et appliquée à tous, mais chacun fait comme il veut, comme il peut”, explique un exportateur malgache sous couvert d’anonymat. “La quasi totalité des communes ne prélève aucune taxe”, souligne Teddy Seramila, alors que la vanille représente 5% du PIB du pays.
Pour l’intermédiaire Patrick Razafiarivo, “on ne peut pas réussir dans ce métier en étant honnêtes. Tout le monde magouille et ce sont les gros exportateurs qui donnent l’exemple”. La vanille bourbon de Madagascar, savoir-faire traditionnel séculier transmis de génération en génération, est pour l’heure considérée comme la meilleure au monde. Mais la flambée actuelle des cours et la baisse de la qualité pourraient détourner les importateurs de Madagascar au profit de la concurrence venue d’Indonésie ou d’Ouganda. “Tout a une fin et il est presque certain qu’il y aura une chute”, prévient Georges Geeraerts.
“La vanille m’a permis d’aller à l’école, c’est un produit noble. Quand le prix baissera, les opportunistes partiront mais nous, nous serons toujours là”, veut croire l’exportatrice Lucia Ranja Salvetat. “On est la vieille garde, on a bâti notre avenir et l’avenir de nos enfants sur la vanille”, ajoute-t-elle, “et on est en train de nous détruire de l’intérieur.”
Avec AFP