Comment réussir la reconversion dans les activités agropastorales ? En réponse, trois expériences réussies de trois fonctionnaires retraités ont été servies au public le 25 avril 2014 à Yaoundé, au cours d’une conférence d’échange organisée par le Service d’appui aux initiatives locales de développement (SAILD).
Expérience n°1, Gaston Andela , ancien banquier, retraité en 2007
Déjà 7 ans que cet ancien fonctionnaire est compté parmi les cacaoculteurs de son village Kougouda II dans l’arrondissement de Monatélé.
Son parcours débute dès son départ à la retraite par la mise en place d’une cacaoyère. « Avant toute chose, raconte-t-il, j’ai contacté les ingénieurs agronomes, la Sodécao, pour avoir les meilleurs conseils qui soient pour la réalisation de mon projet agricole. J’ai commencé petit, et aujourd’hui je suis à 4 hectares de cacaoyer en début de production, associé au bananier plantain.»
Bien que parlant de sa situation actuelle avec aisance, monsieur Andela avoue avoir surmonté de nombreux obstacles pour y arriver. «?L’une des plus grandes difficultés a été l’environnement. Un banquier, quitter la ville pour le village était presque un scandale. Il fallait gérer le « Qu’en dira-t-on » en même temps que les multiples vols des productions, les maladies des cultures, les rongeurs, l’évacuation des produits. Sans oublier la ressource humaine. »
La solution ? « J’ai vite fait de m’associer à un Gic, et j’avais une seule réponse à ce que pensaient les gens : la terre ne ment jamais.» Répond-t-il en souriant.
Cependant, Gaston doit la réussite de sa reconversion à la préparation pendant les jours de fonction. Il confie: « Encore banquier, je me suis préparé psychologiquement, et financièrement car je savais que le travail n’allait pas durer éternellement. J’étais motivé par la vérité selon laquelle on ne nourrit pas la poule le jour du marché. »
Sur la question de ses revenus actuels, l’ex banquier a fait cette confidence : « Avec le cacao, on a de l’argent pendant les récoltes c’est-à-dire entre novembre et janvier. Après, on peut avoir des difficultés d’argent. C’est pourquoi j’ai ouvert un établissement où je mets mes connaissances en valeur par la prestation de mes services. Je me prépare actuellement à me lancer dans l’élevage pour diversifier mes revenus. J’ai déjà contacté les techniciens du ministère en charge de l’élevage. »
Michelle Mbiendou
Expérience n°2, Pauline Nkamga , reconvertie avant la retraite
S’investir dans les activités agropastorales avant ses vieux jours. Cette ex enseignante d’Espagnol dans un collège de la place y avait pensé depuis 2009.
Chose dite, chose faite, elle n’a pas hésité à saisir l’opportunité d’affaire avec le Moringa Oleifera, promue cette année par La Voix du Paysan, mensuel de l’entrepreneur rural. « J’ai débuté ma reconversion par la distribution du Moringa à Yaoundé. Voyant les bienfaits de cet aliment aux mille vertus sur les malades d’hypertension, de diabète et autres, j’ai pris goût, j’ai démissionné et je me suis formé en nutrition, environnement et agriculture biologique. »
A force de distribuer, « Maman Moringa » comme l’appelle affectueusement ses « patients », est devenue productrice de cette plante. « Epanouie dans ce métier, j’ai décidé d’aller plus loin en cultivant non seulement le Moringa, mais aussi plusieurs plantes médicinales. J’y ai associé des cultures vivrières, question de diversifier mes revenus. »
Parlant de revenus, Mme Nkamga donne cette leçon : « Ceux qui s’engagent dans ce domaine de santé doivent être sérieux pour gagner et non chercher à s’enrichir sur le dos des malades. »
Malgré la difficulté à trouver les engrais biologiques pour accroître son rendement, et surtout à convaincre le public quant à la consommation des produits naturels, son travail lui procure une satisfaction d’un autre genre. « Le travail éloigne de moi l’ennui, le vice et le besoin. J’ai 55 ans. Physiquement, je vieillis, mais à l’intérieur de moi je reste jeune, car je fournis des efforts physiques et intellectuels.» dit-elle fièrement avant d’ajouter: «Je suis régulièrement sollicité par les médias, les hôpitaux pour des tables rondes sur la nutrition. Je suis en contact permanent avec les autres, et c’est un aspect à ne pas négliger. »
Elle conclut : «l’agropastoral est un sport qui permet de rester jeune, de gagner et de nourrir sa famille.
M.M
Expérience n°3, André Nyemb See , ancien cadre de l’Ecole nationale de magistrature (Enam), retraité en 2002.
«L’agriculture est souvent considérée comme le domaine des ratés, des incapables. En fait si quelqu’un n’a pas été à l’école, il ne pourra pas vraiment parler agropastoral. » C’est par cette déclaration que monsieur Nyemb a introduit son exposé ce jour. Sans doute l’a-t-il réalisé sur le chemin de l’agriculture, emprunté en 1992, alors qu’il était en fonction, et avait encore plusieurs années à passer dans l’administration.
« Cette année là, les fonctionnaires ont subi une chute de salaire terrible. J’ai vu le mien être divisé par trois. Ayant appris depuis le bas âge quelques activités agropastorales, ayant une racine au village, sachant que c’est la terre qui fait vivre, j’ai décidé de me lancer dans l’agriculture avec ma famille. » Raconte-t-il. Il poursuit : « Avec les conseils des amis, j’ai planté les arbres fruitiers, et des cultures vivrières. De 1992 à 2002, période dans laquelle j’étais encore en fonction, je ne me souviens pas avoir manqué un jour férié, ou un week-end sans aller au champ avec ma famille. »
Aujourd’hui propriétaire de 6 hectares de palmier à huile à Maholo II, dans le département du Nyonk et Kellé, l’ancien cadre de l’Enam ne cache pas son amour pour son nouveau métier. «J’oublie Yaoundé quand je suis au champ. J’aime semer, voir mes plantes grandir, récolter. Je gère ma plantation avec ma famille. Nous concevons, exécutons et faisons exécuter nous-mêmes nos travaux. » confie-t-il. Aussi donne-t-il ce conseil, quelque part, secret de sa réussite ? : «Il faut aimer l’activité avant de s’engager. Il faut être entier. L’arbre aime sentir la présence de son planteur. Comme l’être humain, les plantes et les animaux ont besoin des soins. Même si on utilise la main d’œuvre extérieure, il faut être présent afin de la discipliner. »
Toutefois, André reconnaît que sa réinsertion dans son propre village n’a pas été facile après sa retraite. « Je n’ai pas été bien accueilli par tous. Les gens disaient que j’ai eu beaucoup d’argent, j’ai mangé seul. Et quand c’est fini, je viens accaparer les terres. » Se souvient-il, avant de prévenir : « Il ne faut pas s’attendre à un accueil chaleureux. Il faut s’attendre à des attaques, au sabotage, aux actes de sorcellerie, au vol. »
Sa solution trouvée, a été « de s’associer à un groupement, être le premier quand il s’agit des actions de développement du village comme l’entretien des routes, la construction des écoles ou des points d’eau, voire contribuer financièrement s’il le faut. ?»
Persuadé que la terre ne déçoit jamais, monsieur Nyemb envisage se jeter aussi dans la cacaoculture, et a déjà mis en place une pépinière. Sa leçon du jour, « La richesse est par terre, celui qui se courbe la déterre. »
M.M
Expérience n°3, André Nyemb See , ancien cadre de l’Ecole nationale de magistrature (Enam), retraité en 2002.
12 conseils pour réussir sa reconversion
1. Bien se préparer financièrement, physiquement et psychologiquement ? pour affronter les obstacles.
2. Aimer son activité avant de se lancer.
3. Oublier son statut, les honneurs du passé pour devenir agriculteur dans son esprit, dans son corps.
4. S’entourer des bons techniciens et conseillers pour ce qui est du choix des semences, du site, des techniques de culture pour ne pas faire des mauvais choix d’intrants, et obtenir de mauvais rendements.
5. Avoir une main d’œuvre qualifiée. C’est rare mais c’est nécessaire, car une main d’œuvre de moralité douteuse peut freiner votre activité.
6. Etre capable d’apprécier le travail de ses employés, être un exemple pour ses ouvriers.
7. Eviter au maximum les sites enclavés, pour réduire les charges de transport.
8. Il est mieux d’avoir un terrain à soi que de louer. Il faut compter sur soi même.
9. Commencer petit pour maîtriser la technique de culture avant d’agrandir son exploitation.
10. Diversifier ses sources de revenus avec des cultures ou des élevages à cycle court, et mettre en valeur les connaissances qu’on avait avant la retraite.
11. Pour la commercialisation, se connecter à un bon réseau de vente, s’organiser en coopérative. Ne jamais oublier l’adage agropastoral: il faut vendre avant de produire.
12. Ne pas négliger sa santé. S’examiner régulièrement, même si on n’est pas malade, pour savoir jusqu’où on peut aller, suivant nos capacités physiques.
Ils ont dit…
– « Sache ce que tu veux, mais mesure les moyens pour savoir ce que tu peux.» Gaston Andela
– « La reconversion peut se faire à tout âge. Il suffit de rester actif pour rester jeune.»Pauline Nkamga
– « Les cultures pérennes c’est la meilleure pension qui soit.»
Avec la voix du paysan