La « guerre » de la bière est déclarée en Côte d’Ivoire
« Chez nous la bière, c’est Bock! » contre « Bière Ivoire, appréciée par les Ivoiriens! » : les deux grandes brasseries ivoiriennes se sont déclaré la guerre, à coup de slogans publicitaires sur des enseignes géantes, et d’autres moyens moins légaux.
Depuis l’arrivée en avril 2016 du groupe néerlandais Heineken, qui a brisé le monopole détenu depuis 60 ans par la Société des limonaderies et brasseries d’Afrique (Solibra), propriété du groupe viticole français Castel, la publicité pour la bière envahit les rues.
Les Ivoiriens sont de grands amateurs de cette boisson, qui est également utilisée pour des libations lors de cérémonies traditionnelles, de funérailles ou de fêtes de villages.
Le secteur brassicole en Côte d’Ivoire est en pleine croissance, à l’instar de la première économie d’Afrique de l’Ouest francophone, qui progresse de 8% par an depuis 2012. « L’avenir du secteur est radieux en Côte d’Ivoire, où la guerre fera de plus en plus rage », prédit ainsi l’analyste Dominique Gnangoin.
Dans les points de ventes, aux coins des rues ou aux grands carrefours de la mégapole abidjanaise, de larges panneaux publicitaires rivalisent de taille et de slogans, et d’images de bière fraîche qui coulent dans les verres.
« Quand on dit +la guerre de la bière+, c’est une vraie guerre (…) Il y a du chantage, des moyens de pression qui faussent le jeu de la concurrence », déplore Jean-Baptiste Koffi, président de l’Union fédérale des consommateurs de Côte d’Ivoire, qui regroupe 125 associations.
« Il n’est pas sain qu’on voie partout dans Abidjan des verres de bières exposés aux mineurs, qui sont très vulnérables », reconnaît Roger Adou, directeur adjoint de la Solibra, acteur historique du secteur depuis 1955, qui détient les marques Bock, Flag et Castel.
« On est happé par cette guerre de la bière. Et je dis stop! », s’indigne-t-il, reconnaissant la responsabilité des deux brasseurs.
Solibra détient les deux tiers du marché et a réalisé un chiffre d’affaire de 200 milliards de FCFA (305 millions d’euros) en 2016.
En face, son concurrent Brassivoire (marques Heineken et Ivoire), qui s’est emparé du tiers du marché en un an et signale ses points de vente avec des panneaux géants de 20 mètres sur 5, reconnaît que son arrivée fracassante n’a pas fait que des heureux, récusant toutefois la terminologie de « guerre ».
Brassivoire est détenu à 51% par Heineken – premier brasseur d’Europe et numéro trois mondial derrière InBev et SABMiller – et à 49% par le groupe de distribution CFAO, très présent en Afrique et filiale du japonais Toyota.
« Nous avons découvert avec stupeur fin mai que plusieurs panneaux de Brassivoire installés sur les différents points de vente de la ville touristique de Grand-Bassam (près d’Abidjan) avaient été arrachés », raconte à l’AFP Bintou K. Appia, responsable de la communication de Brassivoire.
Elle se dit « choquée par la violence des actes de vandalisme », à propos desquels la gendarmerie a ouvert une enquête.
Pour dénoncer cette situation, l’Union fédérale des consommateurs annonce une campagne prochaine contre les affichages anarchiques et les enseignes kilométriques situés près des écoles.
De leur côté, les chambres associatives d’affichage, qui travaillent en vue d’assainir le cadre de vie et l’urbanisme d’Abidjan, ont également interpellé les deux brasseurs.
« Attention: vous vendez de l’alcool. Il n’est pas sain que la communication soit agressive vis-à-vis des personnes fragiles, dont les mineurs », ont-elles souligné dans une lettre adressée aux deux brasseries.
– Les patrons de maquis mécontents –
Pour Eli Ayéri, un consommateur d’Abidjan, « la concurrence est une bonne chose (…) il n’y a plus de rupture (…) on trouve toutes les variétés de bières et le prix est acceptable ».
Le prix d’une bière est en général de 500 francs CFA (0,76 euro) mais il varie selon les quartiers. L’arrivée sur le marché de Brassivoire a permis d’équilibrer les prix qui variaient selon les saisons (fêtes de fin d’années, grands événements, etc…).
Mais les propriétaires de maquis (bars et restaurants populaires, ndlr) de Côte d’Ivoire, qui ont salué l’ouverture du secteur à la concurrence, se sont très vite ravisés, en raison de la précarité de leur situation.
« Ces brasseries s’enrichissent et font du business sur notre dos. Nos marges bénéficiaires sont faibles. La bouteille coûte plus que le liquide », déplore Josué Gnahoua, le patron du syndicat des propriétaires de maquis de Côte d’Ivoire. Face à cette levée de boucliers, les deux grandes brasseries du pays ont promis « un engagement citoyen ».
« Nous avons le devoir de faire en sorte que notre communication soit faite de façon responsable pour ne pas exposer les mineurs », assure M. Adou, directeur adjoint de la Solibra.
La société prévoit d’investir 40 milliards de francs CFA (61 millions d’euros) sur la période 2017-2019 pour « satisfaire les clients de Solibra ».
En face, Brassivoire plaide pour une « concurrence saine et loyale » et veut « être partenaire de la croissance ivoirienne ».
Avec AFP