Depuis janvier 2017, l’armée ivoirienne ne cesse de faire parler d’elle en termes d’indiscipline caractérisée et de mutineries. Tout a commencé, en effet, avec le contingent 8400 en janvier et mai derniers à Bouaké. Ces mutins, à coups de crépitements d’armes et de barricades, réclamaient hic et nunc le paiement de leurs primes.
du pays était au plus mal, en raison notamment de la chute vertigineuse du prix du cacao sur le marché international. Mais ce sacrifice consenti par l’Etat, est loin d’avoir apaisé les casernes.
La preuve est qu’il y a quelques semaines, certains éléments du contingent 2600, composé d’anciens rebelles intégrés dans l’armée au grade de Caporal, ont donné bruyamment de la voix pour réclamer à leur tour le paiement de leurs primes.
Pendant que le pouvoir ivoirien fait face à cette équation, et le moins que l’on puisse dire, est qu’elle est corsée, voilà que dans la nuit du vendredi 14 au samedi 15 juillet dernier, le camp militaire de N’Dotré au Nord d’Abidjan et celui du 4e bataillon d’infanterie basé à Korhogo, entrent en ébullition avec à la clé trois militaires tués dans la 3e ville ivoirienne. A l’origine de ce drame, des affrontements armés entre soldats aux alentours de la caserne du 4e bataillon d’infanterie.
L’on peut se demander si l’armée ivoirienne mérite encore ce nom
Alassane Ouattara avait fait prévaloir la politique de la carotte pour gérer jusque-là les crises qui avaient traversé les casernes ivoiriennes. Cette fois-ci, l’on peut faire le constat que c’est celle du bâton qu’il brandit. En effet, des soldats, dans leur grande majorité des caporaux, ont été purement et simplement radiés des effectifs des Forces armées nationales. Et ce n’est pas tout.
L’état-major, réuni en urgence dans le centre-ville d’Abidjan, promet que les radiés seront traduits devant la justice. En outre, le haut commandement militaire, qui attribue ces actes de violence à des « éléments indélicats », entend diligenter une enquête pour cerner les tenants et les aboutissants de l’affaire. La question que l’on est en droit de se poser est de savoir si la sortie musclée des généraux suffira à ramener enfin la discipline et la sérénité au sein de l’armée ivoirienne.
L’on peut en douter pour deux raisons essentielles. La première est que la question des primes a été gérée par le pouvoir d’une façon on ne peut plus calamiteuse. Le parallélisme des formes, si l’on peut s’exprimer ainsi, n’a pas, en effet, été respecté. Car tous les ex-rebelles qui ont été intégrés dans l’armée ivoirienne et à qui l’on avait promis des primes, n’ont visiblement pas été logés à la même enseigne. Pendant que le contingent 8 400 a obtenu gain de cause pour avoir fait parler la poudre en tuant dans la foulée d’innocentes personnes, les éléments du contingent 2600 ont été sommés d’aller se faire cuir un œuf.
Ce deux poids deux mesures a porté un grand coup à la cohésion de la Grande muette ivoirienne. D’ailleurs, l’on peut se demander si l’armée ivoirienne mérite encore ce nom, puisqu’elle semble être l’armée la plus bruyante d’Afrique, depuis que la récurrente question des primes est le sujet le plus évoqué dans les casernes. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est loin d’avoir livré son épilogue. La deuxième raison essentielle qui permet de dire que l’option du bâton pourrait ne pas suffire pour ramener la quiétude au sein de l’armée, est liée à la manière dont elle a été recomposée suite à la victoire d’Alassane Ouattara. En effet, les ex-rebelles qui y ont fait leur entrée en force, ont tout sauf la culture d’une armée républicaine digne de ce nom.
Et ce n’est pas demain la veille qu’ils peuvent développer cette posture. Car, pour la plupart d’entre eux, ce n’est pas par vocation qu’ils ont choisi de faire le métier des armes. C’est plutôt, peut-on dire, pour des raisons existentielles. Et les libertés qu’ils se sont données pendant qu’ils combattaient dans les rangs de la rébellion, les ont tellement formatés que l’on peut avoir l’impression qu’ils sont incapables de se débarrasser de leurs habits de prédateurs et de contrebandiers pour revêtir ceux d’une armée véritablement républicaine, dont la caractéristique essentielle, on le sait, est la discipline. De ce fait, ils portent l’uniforme de l’armée ivoirienne tout en développant des habitus de miliciens voire de mercenaires. In fine, ils ont constitué au sein de la Grande muette, une armée dans l’armée.
Les alliés d’hier sont en train de se regarder en chiens de faïence aujourd’hui
Et le fait que certains d’entre eux ont eu le privilège d’empocher des millions au titre des fameuses primes, peut avoir pour conséquence de saper le moral de tous ceux qui sont entrés dans l’armée par la grande porte et qui sont conscients, de ce fait, que le métier des armes a des exigences sur lesquelles l’on ne peut pas transiger. Bref, au sein de l’armée ivoirienne, il y a d’énormes fractures. Fracture entre les ex-rebelles, et fracture entre ces derniers et le reste de l’armée, c’est-à-dire ceux qui étaient sous le drapeau avant la survenue de la crise postélectorale.
Décidément, la Côte d’Ivoire d’ADO a mal à son armée. Mais derrière ces mutineries répétées, pourraient se cacher des mains politiques qui ont intérêt à pourrir le dernier mandat de l’enfant de Kong pour mieux se positionner dans la perspective de la présidentielle de 2020. En tout cas, c’est l’impression que l’on peut avoir. A ce propos, une source sécuritaire indique ceci : « L’armée ivoirienne est divisée, la politique a investi ses rangs ». Cette inquiétude doit être prise au sérieux.
Car, si elle est avérée, l’on peut craindre que les politiciens se servent de la Grande muette pour se régler les comptes. Un tel scénario ne ferait que replonger la Côte d’Ivoire dans la géhenne. Et partant, c’est l’ensemble du peuple ivoirien qui risque de trinquer. Au-delà, c’est l’ensemble de la sous-région dont la Côte d’Ivoire est la locomotive, qui pourrait en payer les pots cassés. Et ce qui fait redouter davantage ce scénario-catastrophe, c’est que le compromis politique trouvé entre le RDR et le PDCI et grâce auquel ADO a pu avoir un répit pour gouverner la Côte d’Ivoire, a pratiquement volé en éclats.
Les alliés d’hier sont en train de se regarder en chiens de faïence aujourd’hui. Et pour ne pas arranger les choses, au sein même du RDR, le parti d’ADO, la suspicion s’est installée. Les couteaux sont tirés, si fait que l’on peut se demander si les enjeux de la présidentielle de 2020 ne se jouent pas déjà au sein de la Grande muette. En tout cas, l’on peut établir le lien entre les deux. Ce dont on peut être sûr, c’est que la mutinerie de N’Dotré et de Korhogo est de trop.
Car, elle renvoie de la Côte d’Ivoire, l’image d’un pays bananier. Et à quelques encablures de l’ouverture des Jeux de la francophonie et au moment même où se prépare le 6e TAC (Traité d’amitié et de coopération) entre la RCI et le Burkina, l’on peut avoir l’impression que quelqu’un a pris la résolution de mettre du sable dans l’atiéké* de Alassane Ouattara.
Avec APR