Le report du référendum constitutionnel suffira-t-il à éteindre les braises de la manifestation populaire du 17 juin ? À un an de la présidentielle, le chemin vers la paix semble encore long, et le chef de l’État fait l’objet de vives critiques.
Difficile de connaître leur nombre exact. Dix mille, comme l’a déclaré la police ? Trois cent mille, comme l’ont affirmé les organisateurs ? Si aucune estimation fiable n’est possible, une chose est sûre : ce samedi 17 juin, de nombreux Maliens sont descendus dans les rues de Bamako à l’appel de l’opposition, de plusieurs syndicats et d’une partie de la société civile pour afficher leur hostilité au projet de révision constitutionnelle souhaité par Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Depuis son entrée en fonction, en septembre 2013, jamais le chef de l’État n’avait dû faire face à une telle mobilisation populaire. À un an de la prochaine présidentielle, prévue en juillet 2018, cette manifestation inédite a surtout résonné comme une alerte dans les couloirs du palais de Koulouba.
La révision constitutionnelle retardée, mais pas annulée
Dès le lendemain, le président malien a entamé des consultations tous azimuts pour sonder différents responsables d’institutions et leaders de son parti sur la nécessité de maintenir ou non le référendum prévu le 9 juillet, censé entériner cette révision de la loi fondamentale. À l’issue du conseil des ministres du 21 juin, sa décision est finalement tombée : la consultation tant décriée est reportée « à une date ultérieure ».
« Le président a toujours été à l’écoute et il ne veut pas forcer le passage concernant une mesure si importante, explique l’un de ses proches. Il a estimé qu’il fallait prendre le temps d’expliquer cette révision constitutionnelle, car elle n’avait pas été suffisamment bien comprise par nos compatriotes. » À en croire l’entourage présidentiel, le projet n’est pas enterré pour autant, et le référendum aura bien lieu – même si aucune date n’a pour l’instant été avancée.
Cette révision constitutionnelle était prévue par l’accord de paix d’Alger, signé mi-2015 par le gouvernement et les rebelles nordistes de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA). Sur le papier, elle doit notamment permettre une plus grande décentralisation et renforcer le poids des collectivités territoriales. Après diverses révisions avortées sous Alpha Oumar Konaré puis Amadou Toumani Touré, elle est aussi présentée par le pouvoir exécutif comme le moyen de moderniser enfin des institutions républicaines figées dans le marbre depuis 1992.
Une grogne sociale perceptible
En face, les opposants dénoncent un « tripatouillage » de la Constitution et affirment que le nouveau texte se contente de renforcer les pouvoirs du président de la République. Il lui permettrait en effet de nommer un tiers des membres du Sénat (créé à cette occasion) et le président de la Cour constitutionnelle (jusque-là choisi par ses pairs). « L’hyperprésidentialisation et la personnalisation du pouvoir à outrance, voilà ce qu’on veut codifier à travers ce projet », tempête Tiébilé Dramé, le président du Parti pour la renaissance nationale (Parena), qui réclame le « retrait pur et simple » du texte.
Si l’opposition à cette nouvelle Constitution a été le catalyseur de la manifestation du 17 juin à Bamako, beaucoup de Maliens ont également voulu exprimer à cette occasion leur ras-le-bol et leur défiance vis-à-vis d’IBK. Depuis plusieurs mois, la grogne sociale est perceptible, et des grèves à répétition touchent le secteur public. Nombreux sont ceux qui n’ont pas oublié les promesses du « Kankeletigui » (« l’homme qui n’a qu’une parole »), qui assurait avant son entrée en fonction qu’il restaurerait l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire national.
Quatre ans plus tard, le constat est pour le moins mitigé. Un accord de paix a certes été signé, et les combats entre les groupes rebelles du Nord et l’armée ont cessé. Mais, de l’avis de plusieurs médiateurs, le processus de paix avance encore trop lentement. La situation à Kidal, bastion de l’ex-rébellion touarègue, illustre bien ces blocages. Deux ans après la signature de l’accord d’Alger, les militaires maliens n’y ont toujours pas droit de cité, tandis que les tensions restent vives entre Ifoghas et Imghads, deux tribus rivales. L’insécurité reste également omniprésente dans le reste du pays. Les groupes terroristes, « cantonnés » au nord de Mopti avant l’opération Serval, frappent désormais partout.
La sécurité nationale de plus en plus instable
Chaque jour ou presque, une embuscade, une mine ou une roquette visent les forces de sécurité maliennes, les Casques bleus de la Minusma ou encore les soldats français de la force Barkhane. Le 18 juin, un commando jihadiste attaquait le campement Kangaba, un lieu de villégiature prisé des Maliens aisés et des Occidentaux, en périphérie de Bamako. Revendiqué par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans – l’organisation de l’ennemi public numéro un, Iyad Ag Ghali –, cet attentat a coûté la vie à cinq personnes et rappelé que tout le monde pouvait être ciblé, y compris dans la capitale.
Autre source d’inquiétude : le centre du pays, devenu quasi aussi instable et dangereux que le Nord. Dans certaines zones où les services de l’État ont disparu, les groupes terroristes évoluent comme chez eux, menant des attaques régulières, prêchant dans les villages, menaçant les écoles… Pour assombrir encore ce tableau, des affrontements intercommunautaires meurtriers y ont souvent lieu. Mi-juin, au moins une trentaine de personnes ont ainsi été tuées lors de violences opposant Peuls et Dogons.
Il n’en fait qu’à sa tête, tacle Soumaïla Cissé, son ex-rival
De New York à Bruxelles en passant par Paris, certains diplomates ou partenaires étrangers ne cachent plus leur lassitude à propos de la situation malienne. « On constate très peu de progrès, ce qui est évidemment inquiétant », lâche une source onusienne qui assure éprouver « des doutes quant à la capacité d’IBK à relever le défi ». En privé, des ministres français ou africains se montrent, eux aussi, peu amènes envers les autorités du pays.
À Bamako, les critiques sont encore plus acerbes. Les adversaires d’IBK l’accusent de manquer de leadership et le dépeignent volontiers en monarque coupé des réalités et isolé dans sa tour d’ivoire, plus prompt à voyager à l’étranger qu’à arpenter le nord du pays. « Il n’en fait qu’à sa tête », tacle Soumaïla Cissé, son ex-rival en 2013 et désormais chef de file de l’opposition, qui ne cesse de reprocher au chef de l’État un « manque de dialogue ».
Vers un second mandat en 2018 ?
Face à ces tirs à boulets rouges qui promettent de s’intensifier à l’approche de la prochaine présidentielle, IBK semble imperturbable. Répétant à l’envi que « le train de la paix est en marche », ce vieux briscard de la politique n’entend pas se laisser désarçonner par ses opposants. Autour de lui, sa garde rapprochée fait bloc, rappelant dans quel état de décomposition avancé il a trouvé le pays en accédant au pouvoir : administration inexistante, armée en déroute, la moitié du territoire placée sous la coupe de groupes armés… « Nous ne pouvions pas régler ces défis colossaux d’un coup de baguette magique, cela demande du temps et beaucoup de moyens, souligne une source à la présidence. N’importe qui, à notre place, se serait retrouvé confronté aux mêmes problèmes. »
Tout en affirmant être « attentifs » au message contestataire adressé le 17 juin, les collaborateurs d’IBK reconnaissent devoir améliorer la lisibilité de l’action présidentielle au cours des mois à venir. Car s’il n’est pas encore officiellement candidat à sa réélection, tout laisse à penser que le chef de l’État briguera un second mandat en 2018. Pour l’heure, l’intéressé laisse planer le doute sur ses intentions. À un journaliste d’Al-Jazira qui l’interrogeait, à la mi-mai, à Doha, sur sa volonté de se représenter, IBK a répondu, avec un sourire en coin : « Si telle est la volonté de Dieu, je ne m’y soustrairai pas… »
Avec jeuneafrique