Promesse de longue date, la suppression des subventions à la farine, qui bénéficient surtout aux petits acteurs, tarde à se concrétiser. Les industriels s’inquiètent pour la rentabilité de leurs investissements.
Au Maroc, les minotiers industriels commencent à trouver le temps long. Voilà déjà plusieurs années que le gouvernement leur promet de mettre fin au système de subventions sur la farine. L’ancien Premier ministre Abdelilah Benkirane (Parti de la justice et du développement, islamiste), resté cinq ans au pouvoir, s’était engagé à abandonner le système de soutien au prix de la farine, comme il l’a fait début 2015 sur le carburant, mais il a quitté son poste en avril sans l’avoir fait.
Certes, le nouveau chef du gouvernement, Saadeddine El Othmani, a repris cet engagement dans le discours de politique générale qu’il a prononcé fin avril. Mais sans préciser ni les modalités ni le calendrier de mise en application de cette mesure politiquement sensible. Car mettre fin aux subventions sur la farine pourrait, du moins dans un premier temps, faire augmenter le prix du pain et priver les petits transformateurs de leur emploi.
Nous avons investi dans des Porsche mais nous roulons toujours sur la piste
En attendant, « les grands minotiers marocains souffrent, déplore le président de la Fédération nationale de la minoterie, Chakib Alj. Si nous, industriels, avons entrepris dans ce secteur c’est parce que nous pensions que les subventions s’arrêteraient, car cela fait longtemps que les autorités en parlent. » Le patron des Moulins du Maghreb résume la situation des grands producteurs de farine avec un brin de lyrisme : « Nous avons investi dans des Porsche mais nous roulons toujours sur la piste. »
La minoterie marocaine tourne aujourd’hui à deux vitesses. Les « Porsche », ce sont les minoteries modernes, qui, produisant très peu de farine subventionnée, ont misé sur la libéralisation d’un secteur qui transforme chaque année 45 millions de quintaux de blé tendre (et dont la croissance est stable mais promise à un bel avenir avec, notamment, l’essor de la grande distribution). Elles sont apparues dans le paysage depuis le début des années 2000.
Un secteur de moins en moins traditionnel ?
« Jusqu’à l’arrivée de Fandy, en 2005, le secteur était très traditionnel, avec des moulins à caractère local, sans ambition de développement », souligne Jamal Lasseq, directeur du pôle céréales d’Anouar Invest (également présent dans la cimenterie et l’immobilier), le holding qui possède les moulins Fandy. Ce groupe, l’un des leaders dans le pays avec un chiffre d’affaires de 3,5 milliards de dirhams (318 millions d’euros), illustre parfaitement le pari de ces minoteries industrielles ayant adopté une structure intégrée, depuis le négoce jusqu’aux produits alimentaires finis.
« L’arrivée de gros opérateurs, avec de fortes innovations, du marketing et une ambition nationale, a été une révolution », relate Jamal Lasseq en recevant Jeune Afrique dans son bureau, à la sortie de Casablanca. Malgré cet essor des industriels, la multitude de petits acteurs n’a pas disparu, créant une situation de surcapacité.
Une multitude de moulins
Ainsi la Cour des comptes dénombre-t-elle, dans un rapport datant de 2014, pas moins de 154 moulins (auxquels s’ajoutent une vingtaine de semouleries, qui transforment le blé dur en couscous et en pâtes), principalement situés dans les régions de Casablanca-Settat et de Fès-Meknès. Leur taux d’utilisation ne dépasse pas, selon le rapport, les 58 % au niveau national (un chiffre qui selon les industriels serait actuellement de 53 %).
Les grands minotiers vivent cette situation comme une injustice, estimant que de nombreux petits moulins survivent grâce aux aides publiques. Seules ces aides leur permettent de rester compétitifs malgré des coûts de revient très élevés pour la qualité qu’ils produisent, soutient une source proche de l’industrie. Et d’ajouter que les petits moulins arrivent ainsi à vendre leur farine deux fois moins cher (200 dirhams le quintal) que celle (non subventionnée) produite par les grandes unités et dont les prix sont compris entre 330 et 390 dirhams. De quoi créer une forte distorsion sur le marché.
Ainsi, les deux leaders du secteur Fandy et Forafric-Tria (marque MayMouna, 2 milliards de dirhams de chiffre d’affaires) ne revendiquent chacun que 10 % de part de marché. Car même s’ils dominent largement le secteur en matière de capacité de production (1 650 tonnes par jour pour Fandy et 2 200 t/jr pour Forafric-Tria), les taux d’utilisation de leurs usines sont loin d’atteindre 100 %. « Cette situation pénalise nos marges, regrette Mustapha Jamaleddine, vice-président de Forafric. Pour gérer ce problème, nous investissons sur les marques, les réseaux de distribution et nous travaillons à réduire nos coûts. » Une course aux économies qui va parfois jusqu’à la vente à perte, souligne notre source dans l’industrie.
Ambitions du Plan Maroc vert
La fin des subventions aura pour conséquence la fermeture de nombreux petits moulins, ce qui entraînera des suppressions d’emplois. Interrogé à ce sujet, Chakib Alj souligne cependant que les autorités veulent proposer un « package » : « L’argent économisé par la suppression des subventions va être alloué à l’accompagnement des petits moulins et du secteur en général », assure-t-il, soulignant que ces mesures font partie intégrante des ambitions du Plan Maroc vert pour le secteur de la minoterie.
Épine dorsale du développement agricole du pays, ce programme prévoit à la fois de booster la production (1er pilier) et de promouvoir la transformation de ces produits (2e pilier). L’Agence de développement agricole (ADA), chargée de sa mise en œuvre, note que l’État prévoit d’organiser le secteur de la minoterie « autour de dix à quinze groupes structurés » capables d’assurer un débouché stable et important au blé local, laissant peu d’espoir aux petites unités.
Couscous : cap vers l’export
Bien moins important que la farine en matière de volume, le couscous, issu d’une première transformation du blé dur en semoule, connaît une situation plus confortable, notamment grâce à la demande étrangère, en particulier celle émanant d’Afrique de l’Ouest (qui, en revanche, n’achète pas la farine marocaine, connaissant elle aussi une surcapacité).
Ainsi, le numéro un du secteur, Dari Couspate, réalise actuellement « 15 % à 20 % de [ses] exportations vers la région et veut monter ce taux à 50 % dans cinq ans », souligne son directeur Hassan Khalil. Deuxième exportateur marocain de couscous, le groupe Forafric-Tria exporte, lui, majoritairement vers l’Union européenne et les États-Unis.
Avec jeuneafrique