L’élection présidentielle de 2017 a un point en commun avec la saison des Assemblées Générales : dans le gouvernement des hommes comme dans le gouvernement d’entreprise, les problématiques sont proches et le besoin d’oxygène immense. Par Viviane de Beaufort, professeur à l’Essec, European Center for Law and Economics.
Le terme de gouvernement d’entreprise paraît plus approprié pour réaliser un parallèle entre problématiques liées au gouvernement d’Etat et gouvernance d’entreprise ; ce vocable anglo-saxon mal francisé crée un désintérêt des actionnaires et des parties prenantes qui comprennent mal de quoi on parle, exactement comme dans la sphère publique, le citoyen se perd dans les institutions et n’est pas incité à participer.
S’interroger sur la qualité d’un gouvernement, c’est évoquer les conditions requises pour que le citoyen participe plus directement à la construction d’un système de démocratie pérenne et transparent ; évoquer un bon gouvernement d’entreprise, c’est parler des conditions qui permettent à l’actionnaire de s’intéresse et participer à la stratégie de l’entreprise. Le présupposé du droit des sociétés selon lequel le conseil d’administration est le mieux à même de prendre les décisions, l’actionnaire n’étant là, notamment à l’Assemblée Générale que pour vérifier si son intérêt a été pris en compte (dividendes) et qu’il n’y a pas eu d’excès dans l’exercice du pouvoir (conflits d’intérêt, etc.). La revendication d’un pouvoir plus important des actionnaires, portée notamment par l’Union européenne (directive « actionnaires ») challenge donc le Conseil.
Restaurer la confiance à l’égard du citoyen/de l’actionnaire
Alors que notre nouveau président de la République annonce une loi pour assainir la vie politique, prolongement du texte Sapin 2 et parle d’une démocratie plus participative, il parait pertinent de poser la question : comment aboutir à une plus grande qualité démocratique au sein de l’Etat et des Entreprises en préservant la capacité de décision ?
A y regarder de près, les questions sont les mêmes : comment restaurer la confiance à l’égard du citoyen/de l’actionnaire, créer des conditions saines de participation de la société civile/des parties prenantes? Interpeller la qualité des gouvernants, la transparence du processus de décision? L’objectif étant d’élaborer la décision la plus performante et acceptable pour tous, intégrant au mieux les différents intérêts. A la clé, un arbitrage à faire au nom de l’intérêt social de l’entreprise versus l’intérêt général de l’Etat.
Les mécanismes de gouvernance choisis relèvent d’une conception culturelle et socio-économico-politique spécifique et se font écho du public au privé. La manière dont s’organise la gouvernance publique dépend du type de régime institutionnel mais aussi de la maturité du système dans son rapport à la société civile (éléments de démocratie participative, statut du lobbying). La manière dont s’organise le gouvernement d’entreprise reflète l’idée que ce pays se fait de la place et de la responsabilité de l’entreprise dans la communauté. Dans les deux cas, un ensemble de principes et de mécanismes intervient pour réguler les relations entre acteurs.
Etat et entreprise : des logiques de transparence similaires
Des processus assez similaires. Un Etat démocratique a un système organisé avec des contre-pouvoirs, applique le principe de transparence (déclarations des intérêts financiers des ministres et élus), la circulation des informations (open data), l’accessibilité aux fonctionnaires et élus et une intervention de la société civile institutionnalisée. Un gouvernement d’entreprise pérenne repose sur des dispositifs créateurs de transparence : contrôle des comptes, rapports financiers, déclaration sur le gouvernement d’entreprise et la RSE, conventions particulières validées en AG, « say on pay » et des mécanismes protecteurs des minoritaires : droit de poser des questions et de proposer, présence d’administrateur indépendant potentiel arbitre de conflits d’intérêts , protection des intérêts de catégories spécifiques d’acteurs dont les salariés. Enfin, dispositifs de responsabilisation du management, etc.
Les logiques se rapprochent : de l’économique au politique, du politique à l’économie. Dans l’entreprise, l’économique penche vers le politique par le jeu de la RSE. L’impératif de l’intégration d’une dimension sociale et environnementale des affaires dans la stratégie amène l’entreprise à devenir acteur sociétal. Dans la sphère publique, le politique ne peut rejeter l’économique notamment du fait de l’impératif d’une gestion saine des finances publiques. L’évaluation d’un système politique se fait sur son efficience démocratique (libertés, protection) mais aussi économique (réduction du chômage, dynamisme éco).
Préserver la capacité ultime de décision
Les bons mécanismes de gouvernance dans une démocratie moderne et une entreprise pérenne seront donc ceux qui sont aptes à intégrer l’expression des intérêts divers par la concertation mais aussi à préserver la capacité ultime de décision et, en faisant en sorte que celui qui décide assume la décision.
En pleine saison des Assemblées Générales 2017, forte de travaux menés au Centre Européen en Droit et Economie (www.CEDE-ESSEC) sur la gouvernance pérenne et l’évolution des AG de 2012 à aujourd’hui, je questionne les droits, mais aussi le DEVOIR d’engagement des actionnaires, pour que vive la démocratie actionnariale, comme on a pu ces derniers temps demander aux citoyens de participer à notre démocratie en votant car l’abstention fait le lit des plus activistes.
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(*) Viviane de Beaufort, professeur à l’Essec, European Center for Law and Economics, fondatrice du Women Essec Programmes.
www. cede.essec.edu
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