Nommé le 24 mars dernier au poste de directeur du Bureau régional de l’Afrique de l’Ouest (BRAO) de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), Eric Adja a pris ses fonctions le 2 mai à Lomé. Son arrivée reflète une volonté appuyée du président Patrice Talon, d’accompagner le placement de cadres béninois au sommet des institutions internationales. Présenté comme un symbole méritocratique de la diaspora béninoise, qui est Eric Adja ?
Diplômée d’un Master en économie internationale et globalisation de l’Université Pierre-Mendès-France de Grenoble, il est également Docteur en sciences du langage et de la communication. Entre 2002 et 2005, Eric Adja dirige l’ONG suisse IRED avant de devenir professeur-assistant à l’Université d’Abomey et conseiller du président Boni Yayi entre 2007 et 2011, en charge des questions de communication, de la diaspora, de la jeunesse et de l’emploi des jeunes. A partir de janvier 2011, il est nommé directeur général de l’Observatoire international des transferts de fonds des migrants dans les pays les moins avancés (OITFM). En participant au maintien du siège de l’OITFM à Cotonou, avec le support de la mission du Bénin auprès de l’ONU, il remporte une première victoire diplomatique qui participe à renforcer sa crédibilité. Il y reste quatre ans avant de rejoindre l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), d’abord comme directeur de la francophonie numérique par intérim en 2015, puis en qualité de directeur-adjoint de la francophonie économique et numérique en 2016. Le 24 mars dernier, il devient le nouveau directeur du BRAO.
Depuis le 2 mai 2017, il assure l’une des plus hautes fonctions internationales occupées à ce jour, par un Béninois, le BRAO étant le plus ancien et le plus important bureau de l’OIF, hors siège. L’homme bénéficie d’une réputation sans tache. Ses activités humanitaires et ses actions auprès des migrants l’ont rendu particulièrement populaire auprès de la jeunesse, qui n’a pas oublié son engagement militaire à Ouidah en 2008, alors qu’il était conseiller présidentiel. Porté en exemple, Boni Yayi le présentait en juin 2014 à Paris, comme «l’un des jeunes les plus dynamiques du cabinet». Ses anciens collègues le disent «discret». Diplomate, il s’adapte aux changements politiques internes pour faire valoir son expertise, appuyée par une volonté solide d’optimiser les compétences numériques qu’il considère comme un levier de développement prioritaire.
Un solide réseau international
Originaire du Bénin, Eric Adja grandit en Côte d’Ivoire et obtient son baccalauréat à Grand-Bassam. Issu de la classe moyenne, son père fuit la révolution béninoise dans les années 1970. Employé dans le secteur de l’exploitation forestière, le père emmène sa famille avec lui : «C’est une aventure privée, semblable à beaucoup d’autres migrations à cette époque», explique Eric Adja. «Mes parents m’ont porté et m’ont soutenu dans toutes mes initiatives », reconnaît-il. Aujourd’hui âgé de 43 ans, il est marié et père de trois enfants. Boursier de l’enseignement supérieur, sa réussite est présentée comme un modèle de la méritocratie béninoise.
Parallèlement, des amphithéâtres universitaires aux couloirs des Nations Unies en passant par les palais présidentiels, ses expériences passées lui ont permis de développer un solide réseau à l’international. «On est toujours le fruit des rencontres heureuses et de la bienveillance», confie-t-il au regard de son ascension. Au Bénin, sa popularité ne se dément pas. Fidèle à Boni Yayi, il a accompagné l’ancien chef de l’Etat dès sa première candidature en 2006 et a renouvelé son engagement à ses côtés en 2011. Puis, ses fonctions internationales l’ont conduit à conserver une certaine réserve sur les affaires internes au Bénin. Néanmoins, c’est avec le soutien de Patrice Talon, qu’il obtient son poste de directeur du BRAO. Sa nomination intervient seulement quelques heures après que le rejet de la candidature de la ministre de la Santé au poste de directrice régionale de l’OMS pour l’Afrique.
Une approche multidimensionnelle
Succédant à Tharcisse Urayeneza au BRAO, son périmètre s’étend à 12 pays situés à l’ouest du continent (le Bénin, le Burkina Faso, le Cap-Vert, la Côte d’Ivoire, le Ghana, la Guinée, la Guinée Bissau, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal et le Togo). Son mandat repose sur la mise en œuvre de la stratégie numérique de l’OIF – «Horizon 2020», adoptée par les chefs d’Etat au sommet de Kinshasa en 2012. Ce programme tend à renouveler la vision de la francophonie en matière de TIC, d’éducation et d’entrepreneuriat. «Je veux démontrer que le français est une langue moderne», déclare Eric Adja. Il entend assurer la diversité culturelle, en soutenant les médias francophones comme TV5 et RFI, mais aussi les antennes locales «qui apportent une vraie valeur ajoutée».
Si on l’interroge sur le développement du mandarin et la concurrence chinoise en matière de diplomatie culturelle, il répond : «L’OIF tient à promouvoir la diversité des cultures. Chaque langue est porteuse de richesses. Il n’y a donc pas de concurrence». Eric Adja pourra compter sur le soutien d’un certain nombre de personnalités : « Abdou Diouf, notre ancien secrétaire général ; Michel Kafando, l’ancien président par intérim du Burkina Faso ou encore Pascal Couchepin, ancien président de la Confédération suisse, nous ont apporté leur expertise».
Homme de l’ombre, il favorise la « diplomatie de la médiation ». Il veut mettre l’accent sur les TIC qui «représentent un vivier très dynamique». Cependant, à l’heure des technologies 3.0, l’apprentissage de la lecture reste prioritaire : «Nous travaillons beaucoup sur l’éducation avec la promotion des centres de lecture et d’animation culturelle». Enfin, l’OIF veut renforcer son soutien à l’entrepreneuriat, comme en témoigne son récent rapprochement avec le MEDEF. Elle intervient notamment, dans le secteur agroalimentaire, en finançant des TPE dans leur adaptation aux normes qualités internationales : «Nous travaillons sur la filière mangue au Burkina Faso, ananas au Bénin ou sur les phytomédicaments en RDC». Diversification des secteurs d’activités et rencontres des cultures : tels sont les fondements de la politique qu’Eric Adja compte optimiser dans le cadre de son nouveau mandat.
Des ambitions politiques en sommeil
A ce jour, le nouveau directeur du BRAO bénéficie d’une certaine légitimité politique au Bénin. Conseiller technique de la Présidence de Boni Yayi et membre de la Coordination nationale des FCBE, il supervise la coordination communale des Cauris à Toffo où il devient conseiller communal et chef d’arrondissement de Séhoué, en 2008. Il en tire un premier succès populaire par les urnes. Simultanément, il s’implique dans la création de l’Alliance union pour le Bénin (AB).
Malgré sa fidélité à Boni Yayi, Eric Adja sait composer. Il a collaboré avec des leaders de toutes obédiences politiques et de toutes régions, prônant l’unité nationale. Il a multiplié les initiatives en direction de la jeunesse béninoise en favorisant les bourses d’études, la formation professionnelle et l’emploi des jeunes. Eric Adja tient à poursuivre ces initiatives dans le cadre de l’OIF : «J’ai moi-même bénéficié d’une bourse d’études de la Francophonie», explique-t-il. Président de plusieurs organisations consacrées à la jeunesse, il a notamment participé à la création de l’Union des jeunes de la majorité présidentielle (UJMP). L’engouement est tel qu’il est sollicité par les jeunes béninois pour se présenter aux élections présidentielles de 2016 : «J’ai décliné l’offre. Le moment n’était pas venu», explique-t-il en souriant.
A seulement 43 ans, Eric Adja pourrait jouer un rôle important sur la scène nationale béninoise, dans les années à venir. Pour l’heure, sa récente nomination au poste de directeur du BRAO lui permettra certainement de consolider et d’élargir un peu plus son réseau à l’international. Lorsqu’on l’interroge sur ses ambitions politiques, il répond sans équivoque : «A ce jour, je n’ai aucune ambition politique au Bénin. Il n’y a aucune ambiguïté. Mes seuls objectifs reposent sur le développement de la francophonie et sur la promotion de la vision de la francophonie de Madame Michaëlle Jean, à l’international». L’homme discret est à l’image de ce proverbe africain qu’il aime à rappeler : «Le bien ne fait pas de bruit et le bruit ne fait pas du bien».
Avec latribune