Le dinar tunisien continue de chuter. Fin avril, il avait perdu jusqu’à 10% de sa valeur face à l’euro. À la mi-mai, il a franchi la barre symbolique de 2,5 TND pour un euro, alors que ce dernier s’échangeait à moins de deux dinars il y a peu d’années. Dans cet article, les auteurs – Mariem Brahim, économiste à l’IPEMED, et Jihene Bejaoui, enseignant-chercheur à l’université Paris 13 Sorbonne -, analysent les conséquences de la réaction de la Banque centrale de Tunisie (BCT).
Un tel effondrement a suscité de fortes interrogations parmi les économistes qui y voient la conséquence du ralentissement de l’économie nationale. Ce taux d’échange proviendrait, selon les dirigeants ou les observateurs, du profond déficit commercial (3878,9 millions de dinars (MD) au cours du premier trimestre 2017), d’un endettement public insoutenable, du recul des transferts provenant des expatriés et de la fonte des réserves en devises propres. C’est la raison pour laquelle la BCT s’est trouvée dans l’obligation d’intervenir. D’où un certain nombre de décisions prises notamment le 24 avril dernier.
La première consistait à injecter 100 millions de dollars pour, selon le gouverneur de la BCT Monsieur Chedli Ayari, renflouer le dinar. La seconde réside dans un durcissement de la politique monétaire, à savoir la hausse du taux d’intérêt directeur qui est passé de 4,25% à 4,75%. Selon la BCT, cette hausse a un double objectif : relancer l’épargne et faire baisser l’inflation, l’un des problèmes majeurs de l’économie tunisienne. Beaucoup plus rémunérateur, ce nouveau taux devrait avoir un impact sur le comportement des particuliers. Ils freineraient leur consommation pour se tourner vers l’épargne, ce qui libérerait des liquidités. De la même manière, cette hausse du taux d’intérêt directeur favoriserait l’attrait du pays pour les capitaux étrangers, sachant que M. Chedli Ayari a déclaré s’être accordé avec les directeurs des banques pour faciliter les opérations d’achat et de ventes des devises étrangères. En retour, le taux de change de la monnaie nationale grimperait, ce qui entraînerait malgré tout une réduction des exportations. C’est dire que cette hausse du taux d’intérêt présente des risques concernant l’investissement et la consommation, lesquels tiennent naturellement une grande place dans la croissance économique.
L’enjeu est donc de taille : peut-on imaginer, à la suite de cette décision, une arrivée massive de capitaux étrangers sans conséquences négatives sur la consommation ? Peut-on croire en une élévation du taux de change, sans pour cela fragiliser l’investissement ? Or, suite à ces prises de décision, on semble assister à un début de rétablissement. Le dinar tunisien s’est stabilisé. Selon M. Mohamed Salah Souilem, le directeur général de la politique monétaire à la BCT, les réserves de devises de la Tunisie s’élèvent à présent à 12,500 milliards de dinars, ce qui équivaut à 105 jours d’importation.
Reste qu’il y a encore du chemin à parcourir. Le seuil de sécurité n’est pas encore atteint. En termes de réserves, cinq jours d’importations font toujours défaut. Il existe par ailleurs un projet de jumelage entre la Tunisie et la France, le deuxième entre la BCT et la Banque de France. Visant à l’amélioration de la transparence et l’efficacité du cadre opérationnel de la politique monétaire de la BCT, ce projet s’inscrit au sein du programme d’appui à l’Accord d’association avec l’Union européenne, qui finance. Portant sur 745 millions d’euros (1979 millions de dinars), ce projet (2015-2017) a mobilisé de nombreux experts et fait appel aux compétences des banques centrales. Quatre pistes ont été privilégiées, à savoir le réaménagement des modalités d’intervention de la BCT sur le marché monétaire, la mise en place d’un dispositif efficace de prévision de la liquidité, le développement du marché interbancaire et la réforme du marché des titres de créances négociables.
Selon Armelle Lidou, chef de la coopération de l’Union Européenne en Tunisie, l’instauration d’un nouveau cadre pour la politique monétaire ne peut que contribuer au développement du marché des capitaux, condition sine qua none de la relance de l’activité économique en Tunisie. Pour ce faire, l’UE soutiendra financièrement la Tunisie, à hauteur de 300 millions d’euros annuels. Jusque-là, les interventions ont été multiples mais le cœur de cible porte sur la modernisation de l’économie et l’insertion des jeunes dans le marché de travail par le biais du développement régional. En résumé, les décisions prises par la BCT ont, certes, limité la chute du dinar tunisien mais la crise qui frappe la Tunisie est toujours présente.
Avec jeuneafrique