Un nouveau Président a donc été élu et un nouveau gouvernement nommé. Ce dernier apparaît comme le résultat de tractations politiciennes, mais aussi d’une alchimie subtile visant à donner au Président tout pouvoir sur la politique menée par le pays.
Qui peut encore croire que « le Premier ministre conduit et dirige la politique du pays » selon les termes de la Constitution de la Vème République? Edouard Philippe apparaît comme l’exécuteur, mais aussi le fusible, d’Emmanuel Macron. De plus, les récentes fuites sur les relations des conseillers d’Emmanuel Macron avec les journalistes confirment le tournant autoritaire de la Présidence Macron. Au-delà de ce fait, qui n’est pas anecdotique, les impasses de la politique voulue par le Président se révèlent au fur et à mesure que les jours passent. Cet autoritarisme latent pourrait se généraliser au fur et à mesure qu’Emmanuel Macron se heurtera aux difficultés du réel.
Un Président et un gouvernement peu populaires
Il convient de noter que ce gouvernement commence avec une côte de popularité très faible, une situation tout à fait inhabituelle sous la Vème République, et qui montre qu’il n’y aura pas « d’état de grâce ». C’est le signe des limites du « ni Droite, ni Gauche » proclamé par Emmanuel Macron. Il est ici intéressant de comparer les côtes de popularités des Présidents lors de leur investiture ainsi que celle des Premier-ministre
Côte de popularité à l’investiture
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Popularité du Premier ministre |
Popularité du Président |
2017 |
E. Philippe : 36% |
E. Macron : 45% |
2012 |
J-M Ayrault : 56% |
F. Hollande : 58% |
2007 |
F. Fillon : 50% |
N. Sarkozy : 59% |
2002 |
J-P. Raffarin : 54% |
J. Chirac : 53% |
1995 |
A. Juppé : 59% |
J. Chirac : 61% |
Sondage Elabe
La Présidence Macron est relativement semblable à celle de Jacques Chirac en 2002. Mais, il a fait un choix d’ouverture qui se rapproche plus de celui de Nicolas Sarkozy en 2007. Dans les deux cas de figure, les écarts sont importants.
Ecarts de popularité de la Présidence Macron à l’investiture
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Popularité du Premier ministre |
Popularité du Président |
Avec N. Sarkozy |
E. Philippe : —14% |
E. Macron : —14% |
Avec J. Chirac (2002) |
E. Philippe : —18% |
E. Macron : —8% |
Ces résultats en disent long sur l’incertitude dans laquelle se trouve une majorité des Français. Emmanuel Macron n’a visiblement pas reçu de mandat de son élection. Il devra convaincre dès qu’il commencera à gouverner. Pour autant, certains de ses choix peuvent apparaître habiles: il en va ainsi de la nomination de Nicolas Hulot à un ministère étonnement appelé de la « Transition écologique » alors que la transition en question est avant tout énergétique ou de Laura Fiessel, la « guêpe ». D’autres sont véritablement inquiétants, comme la nomination de Blanquer à l’Education Nationale. Non que ce dernier, patron de la DEGESCO sous Nicolas Sarkozy, ne connaisse l’administration de l’Education Nationale; bien au contraire. Mais, il avait fait preuve d’une très grande rigidité dans ses choix, et d’une certaine brutalité dans leur application. Il n’est nullement une figure de la « société civile » ou du « renouvellement » comme décrit dans la presse.
Les autres nominations de ministres qu’ils soient issus des rangs des « Républicains », du MODEM ou du P « S » agonisant évoquent plus une gigantesque opération de recyclage. Bref on « fait du neuf avec du vieux ». Un tel résultat était très certainement inévitable dans les conditions de l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron. Mais, hors les calculs politiques par trop évidents, il ne saurait être question de « renouvellement ».
Les écueils et le navire Macron
Ce gouvernement, et le Président avec lui, vont se heurter à plusieurs écueils.
Le premier est l’incohérence de sa ligne très « pro-européenne » et fédéraliste (avec la nomination Sylvie Goulard à la Défense, par exemple) avec les positions des autres pays. Le « fédéralisme », l’Allemagne n’en veut pas, car il aboutirait à prélever entre 8% et 12% de son PIB pour redistribuer cette somme aux pays de l’Europe du Sud. L’Allemagne, qui — il ne faut jamais l’oublier — a retrouvé sa souveraineté en 1990-1991, est par ailleurs très réticente politiquement à ce qui pourrait entraver sa liberté d’action. De fait, quand le personnel politique allemand parle — du bout des lèvres — d’institutions fédérales, c’est pour garantir la domination de la politique conduite à Berlin sur les autres pays et pour rien d’autre. De plus, il va alors se heurter aux pays « nouveaux entrants » de l’Union européenne qui, ayant eux aussi recouvré leur souveraineté depuis 1990, sont extrêmement réservés sur la question du fédéralisme, et veulent en réalité une profonde réforme de l’Union européenne vers une Union des Etats. Non seulement Emmanuel Macron devra rapidement acter de la mort de ses illusions fédéralistes, mais il sera confronté à la question de l’Allemagne. La France ne peut défendre ses intérêts aujourd’hui que dans un affrontement avec l’Allemagne, affrontement dont Emmanuel Macron a déclaré, lors de la campagne électorale, qu’il n’en voulait pas.
Le second écueil est contenu dans la politique économique que veut mener Emmanuel Macron. Elle aboutira inéluctablement à faire baisser les salaires réels d’une forte partie de la population, à accroître les inégalités, et engendrera un nouvel épisode récessionniste en France. Or, l’attractivité d’un territoire pour les investissements n’est nullement définie par le code du travail ou par la législation fiscale mais avant tout par l’expansion attendue du marché potentiel dans ce pays. Une nouvelle récession engendrera une stagnation des investissements. Il est clair qu’Emmanuel Macron a en tête de faire baisser le salaire réel en France pour compenser l’effet de sous-évaluation de la monnaie allemande dans le cadre de l’Euro. Mais, comme tous les thuriféraires des dévaluations internes il oublie que le prix à payer pour une telle politique est une contraction très forte de la demande intérieure. De fait, la dévaluation interne ne peut fonctionner dans un pays que si ses voisins (et ses marchés d’exportation) conduisent à l’inverse une politique fortement expansionniste. Ce n’est pas le cas en Europe ou les voisins de la France sont tous engagés dans des politiques de limitation, voire de contraction, de la demande.
D’autres écueils attendent Emmanuel Macron: de la question écologique à la politique internationale, il va comprendre qu’il ne peut s’inscrire dans la continuité de François Hollande, mais qu’il ne peut innover sans se heurter à la fois à ses idées mais aussi aux forces politiques qui le soutiennent. Il va être rapidement confronté au syndrome de « l’homme seul », et c’est là que l’autoritarisme qu’il a manifesté dans ses relations avec les journalistes risque de devenir un mode normal et quotidien d’action. Le risque d’une dérive autoritaire de la Présidence Macron, en particulier si elle est confrontée à des explosions sociales et à une défiance de plus en plus grande de ce que l’on appelle la « France périphérique » n’est pas à exclure.
L’hiver vient…
Il reste à savoir si les Français prendront conscience de tout cela avant les élections législatives, auquel cas Emmanuel Macron n’aurait pas de majorité stable que laquelle s’appuyer, ou dans les mois qui suivront cette élection. Il est plus probable que cette prise de conscience soit en fait progressive. Les manipulations médiatiques du Verbe vont probablement permettre à Emmanuel Macron de réaliser ses projets politiciens de court terme. En ce cas, le choc avec la réalité, qui devrait se produire dès cet automne ou cet hiver, n’en serait que plus terrible. Alors, telle la cigale de la fable, Emmanuel Macron risque de se trouver fort dépourvu quand l’hiver du mécontentement, mais aussi l’hiver des promesses déçues, sera venu…
Avec sputnik