La campagne cacaoyère 2015/2016 a débuté au Cameroun le 07 août. L’occasion pour le directeur général de l’Office de cacao et de café (ONCC) de dresser le bilan de la saison écoulée et d’évoquer les ambitions de la filière cacao dans le pays d’Afrique centrale.
Jeune Afrique : Le Cameroun franchit pour la première fois la barre de 230 000 tonnes de cacao, avec une hausse de 9,8 % au cours de la dernière campagne. Qu’est-ce qui explique ces résultats ?
Michael Ndoping : La campagne qui s’achève a été très bonne. Nous enregistrons une augmentation de plus de 22 000 tonnes de cacao.C’est le fruit des investissements consentis depuis la création en 2006 du Fonds de développement du cacao et du café (Fodecc). Au Cameroun, la filière se gère de manière endogène. Les ressources publiques injectées sont prélevées dans la filière même. Cette tendance vers la croissance de la production est soutenue.
Pourtant la production évolue en dents de scie depuis une décennie…
Nous sommes dans le domaine agricole où la nature joue un très grand rôle. Le climat est un facteur déterminant que l’on ne maîtrise toujours pas. Et puis, il y a le cycle des plantes, à travers le phénomène du repos végétatif, où la plante arrête de produire pendant un certain temps. Le climat et le cycle de production des plantes expliquent en grande partie cette évolution erratique.
Le repos végétatif survient tous les cinq ans en général et les spécialistes prédisent son avènement au cours de la nouvelle campagne. Anticipez-vous une baisse de la production cacaoyère du Cameroun ?
Je ne serai pas surpris s’il y a une baisse. Je serait étonné en revanche qu’elle atteigne 22 000 tonnes, parce que nous sommes dans la phase d’entrée en production des nouvelles plantations du fait des investissements consentis ces dernières années.
Y a-t-il eu une augmentation des rendements ?
Jusqu’à une période récente, le rendement se situait entre 450 et 500 kilogrammes par hectare. Parmi les investissements réalisés, nous avons misé sur des programmes de certification et d’amélioration de la qualité. Beaucoup d’actions sont menées sur le terrain pour amener les producteurs à mieux gérer leurs plantations. Nous nous sommes aperçus que ceux qui suivent les itinéraires techniques appropriés voient leur production doubler.
Quid des revenus des producteurs ?
Pour la dernière campagne, le planteur a touché entre 72 et 73 % du prix FOB, contre 70-71% auparavant. Certains producteurs touchent même 1 500 F CFA par kilogramme. Ceci est dû au comportement du marché international. El Niño a impacté la production sud-américaine et le Ghana accuse une baisse importante.
Les prix sont par conséquent restés très fermes, car la demande a été supérieure à l’offre. Cela a forcément rejailli sur le prix au producteur camerounais.
Le plan de relance de la filière prévoit un investissement de 600 milliards de F CFA pour un objectif de 600 000 tonnes à l’horizon 2020. N’est-ce pas utopique ?
L’objectif est ambitieux. Sur les dix dernières années, on est passé de 180 000 à 230 000 tonnes. Mais on peut atteindre les 600 000 tonnes en 2020 si les moyens sont effectivement injectés là où il faut, c’est-à-dire dans le traitement phytosanitaire d’envergure, l’utilisation des engrais.
Il faut mobiliser ces fonds et nous sommes optimistes. La tendance est déjà là. Le taux de prélèvement de la filière est passé de 54 à 150 F CFA le kilogramme. Ce montant est destiné à mobiliser les ressources nécessaires au financement du plan de relance.
Ce serait déjà bien d’atteindre les 400 000 tonnes dans cinq ans.
À propos du relèvement du taux de prélèvement, certains acteurs se plaignent de l’absence de concertation s’agissant d’une mesure qui les touche…
Je suis souvent étonné, mais pas surpris ! Il y a eu concertation à tous les niveaux et l’État joue son rôle de facilitateur, de gendarme et de garant de la qualité. Le reste se fait au niveau du Conseil interprofessionnel du cacao et du café (CICC) mis en place après la libéralisation. Cette instance représentant les différents acteurs est constamment consultée pour les actions entreprises par l’Etat.
Le chocolatier français Cemoi s’est récemment implantée en Côte d’Ivoire. Le Cameroun transforme autour de 30 000 tonnes de cacao par an. Pourquoi le pays n’arrive pas à attirer des acteurs de poids dans la transformation du cacao ?
Nous produisons des fèves, pas du chocolat qui est un autre métier très spécialisé. Il faut avoir un marché pour transformer. Cemoi a peut-être décidé de rapprocher son savoir-faire de la matière première. Je précise toutefois que Chococam (filiale du sud-africain Tiger Brand, ndlr) et Sic Cacaos (Barry Callebaut) sont présents au Cameroun depuis des décennies.
Toutefois, j’ai eu à échanger avec certains grands transformateurs qui invoquent l’insuffisance de la matière première au Cameroun pour implanter des unités de transformation. Avec 200 000 tonnes en moyenne, en dépit de l’engouement pour la fève camerounaise, cela n’est pas incitatif. Par ailleurs, des obstacles en termes de disponibilité de l’énergie et d’infrastructures de qualité freinent également leur enthousiasme.
Depuis une année, la convention de vente a été introduite dans la commercialisation du cacao. Pour quel résultat ?
Les producteurs engagés dans les ventes conventionnées ont reçu les meilleurs prix. Car les acheteurs proposent des prix proches du cours mondial et les ventes groupées s’effectuent dans des marchés périodiques.
Mais peu de producteurs sont membres des groupements…
C’est pour cela que le ministre du Commerce a introduit la convention. On s’est aperçu que les ventes groupées ne fonctionnaient pas de manière optimale. Il est arrivé que des ventes déclarées dans un bassin ne concernent que 5 000 tonnes, alors que ledit bassin produit 18 000 tonnes.
Nos investigations ont montré qu’en dépit des marchés organisés, des producteurs sont liés à des acheteurs par des conventions non-déclarées. Ces derniers les accompagnent tout au long de l’année en crédits scolaires, engrais, produits phytosanitaires. Et quand le produit est disponible, l’acheteur vient le récupérer. Nous n’avons fait que légaliser une pratique informelle qui permet d’accompagner davantage le planteur, tout en nous assurant que les prix au producteurs reflètent les tendances du marché mondial.
Avec jeune Afrique