Les sociétés publiques d’énergie en Afrique louent les générateurs du leader mondial du secteur. Au risque que cette solution coûteuse s’enracine.
La pique est venue, mi-juin, de l’Africa Progress Panel. Ce club de réflexion présidé par l’ancien secrétaire général de l’ONU Kofi Annan pointait dans un rapport la dépendance des sociétés publiques d’électricité africaines à l’égard des solutions énergétiques d’urgence. Un « cercle vicieux » pour ces entreprises, souvent très endettées, peu solvables et confrontées à une forte hausse de la demande. « Ce qui apparaît comme une réponse d’urgence devient invariablement une installation permanente qui délivre une électricité de base à un prix élevé », est-il asséné. Le document évoque un « gâteau » de 1,8 milliard de dollars (1,3 milliard d’euros) en 2013 (en hausse de 13 % par an) que se partagent des entreprises principalement occidentales.
Si la Tanzanie et le Sénégal sont souvent cités, presque tous les États ont recours à ces machines conteneurisées, alimentées au fioul ou au diesel, qui s’alignent par dizaines pour fournir une électricité deux fois plus chère (seules les rares installations fonctionnant au gaz se rapprochent du tarif réseau) que celle d’une centrale classique. Et ce sur des périodes allant de un à dix ans.
D’après Aggreko, le secteur ne connaît pas de croissance marquée sur le continent.
Aggreko, leader du secteur, surfe sur la situation
En tête des entreprises qui surfent sur cette situation, Aggreko, leader absolu du secteur depuis de longues années. Le groupe britannique gère pas moins de 2 000 mégawatts à travers le continent, où il réalise 17 % (259 millions d’euros en 2014) de son chiffre d’affaires.
Le géant répond sereinement. « On entend souvent ce reproche, admet Christophe Jacquin, directeur Afrique du Nord et Afrique de l’Ouest, qui peine pour sa part à recouvrer ses factures selon les échéances prévues. Nous proposons des solutions de relais. Si les pays recherchent une réponse de long terme dans le diesel, ce n’est pas à nous qu’il faut s’adresser, plaide-t-il. On se retrouve parfois dans la situation embarrassante où l’on se dit qu’on a été naïfs, parce qu’on va nous acheter le kilowattheure 200 F CFA [0,30 euro] et qu’il sera revendu à 100 F CFA. Évidemment, cela ne fonctionne pas. »
Responsabilité partagée
La responsabilité est en effet partagée, soulignent sous le couvert de l’anonymat plusieurs experts interrogés par Jeune Afrique. Les ministères pèchent souvent par manque de planification, et s’appuient volontiers sur ces « fils à la patte » afin d’éviter une augmentation des coupures, lesquelles exaspèrent la population et pénalisent l’activité économique. « Mais Aggreko est un vrai champion quand il s’agit de jouer sur ces difficultés de planification », raille un spécialiste.
D’autres observent que ces solutions sont pertinentes à court terme pour répondre à un imprévu ou à un déficit saisonnier : en période sèche, les barrages hydrauliques tournent au ralenti, les climatiseurs fonctionnent à plein régime, la consommation explose.
D’après Aggreko, le secteur ne connaît pas de croissance marquée sur le continent. Ses rapports annuels depuis 2009 montrent en effet que la part de ses revenus africains tend à stagner, voire à baisser. Mais, glisse notre source, cette situation serait moins liée à l’inertie du marché qu’à une concurrence accrue par l’arrivée de nouveaux acteurs tels que l’émirati Altaqaa ou l’américain APR. « Il est fort possible qu’Aggreko n’ait pas vu son activité augmenter à cause d’eux : ils lui taillent des croupières », ajoute cet expert.
Avec jeune afrique