Manquements graves dans sa déclaration de patrimoine, inactivité à l’Assemblée, passage du ministère de l’Ecologie à Areva… Retour sur les accrocs du parcours d’Edouard Philippe, violent détracteur d’Emmanuel Macron devenu son Premier ministre.
Son nom revenait depuis plusieurs jours parmi les favoris pour Matignon : le 15 mai, le député-maire Les Républicains du Havre (Seine-Maritime), Edouard Philippe, a finalement été nommé Premier ministre par Emmanuel Macron. Cet énarque de 46 ans, proche d’Alain Juppé, est désormais chargé de composer son gouvernement.
S’il s’agit d’un signal fort envoyé à la droite libérale, la nomination d’Edouard Philippe à Matignon a également pour but de renvoyer une image de pragmatisme et de capacité à travailler avec différents courants politiques, dans la droite ligne du projet présidentiel d’Emmanuel Macron. Pour autant, le profil d’Edouard Philippe, loin du renouveau prôné par le nouveau président, est des plus classiques : né à Rouen en 1970 de parents professeurs de français, il a passé son baccalauréat en Allemagne où son père exerçait comme directeur d’un lycée français, avant d’intégrer une classe prépa qui l’a mené à Sciences Po, puis à l’ENA. Diplômé en 1995, il a obtenu un poste au Conseil d’Etat et s’est rapidement lancé en politique.
Du PS à Macron en passant par la droite : des engagements politiques versatiles
Dès ses années d’étudiant, Edouard Philippe s’engage en politique… à gauche. Pendant près de deux ans, celui-ci milite pour Michel Rocard, Premier ministre de François Mitterrand. «J’avais grandi dans un milieu plutôt à gauche où l’on votait socialiste, et il y avait chez lui un côté social-démocrate assumé qui m’allait bien», explique-t-il au Point.
Après l’éviction de Michel Rocard du gouvernement, Edouard Philippe passe à droite et rejoint le RPR. Se rapprochant du maire du Havre de l’époque, le chiraquien Antoine Rufenfacht, il fait la connaissance d’Alain Juppé aux côtés duquel il participera à la création de l’Union pour un mouvement populaire (UMP) en 2002. Défavorable au changement de nom de l’UMP qui devient Les Républicains en 2015, Edouard Philippe estime que le nouveau nom est trop «dangereux» et «vecteurs de clivages et de division».
En 2014, Edouard Philippe soutient Bruno Le Maire dans sa candidature à la présidence du parti… mais pas lors des primaires de 2016, à l’occasion desquelles il préfère se rallier à Alain Juppé, avant de soutenir François Fillon une fois celui-ci désigné candidat. Il retire son soutien au député de la Sarthe après les révélations du Canard Enchaîné au sujet des emplois présumés fictifs de son épouse.
Macron, qui n’assume rien mais promet tout, avec la fougue d’un conquérant juvénile et le cynisme d’un vieux routier
Une chose est sûre : Edouard Philippe est un converti récent au macronisme. Dans une tribune publiée par Libération en janvier, le député-maire du Havre se montrait plutôt sévère à l’égard de celui qu’il qualifiait de «banquier technocrate». «Macron, qui n’assume rien mais promet tout, avec la fougue d’un conquérant juvénile et le cynisme d’un vieux routier (si j’ose dire, s’agissant du promoteur des autocars)», écrivait-il encore. Loin de se concentrer sur la seule personnalité de celui qui finirait par le nommer Premier ministre, Edouard Philippe, à propos du nom du mouvement En Marche!, notait : «En latin on dit ambulans, chacun en déduira ce qu’il veut…»
Du ministère de l’Ecologie au lobbying chez Areva
A peine un mois après son arrivée au ministère de l’Ecologie, du Développement et de l’Aménagement durables en 2007, Alain Juppé est contraint à la démission par son échec aux législatives. Edouard Philippe, qui venait d’intégrer le cabinet de son mentor, décide alors de rejoindre le secteur privé. Il est nommé directeur des affaires publiques au sein du groupe Areva, principalement actif dans le secteur nucléaire.
L’une de ses missions chez Areva semble avoir consisté à exercer un rôle de lobbyiste auprès des députés français dans le dossier de l’uranium que l’entreprise extrayait au Niger. Face aux critiques concernant les conditions de travail des salariés sur place, l’entreprise veut rassurer. «Au sein de la direction du groupe, un lobbyiste, Edouard Philippe, chargé des relations avec les élus, suit les parlementaires chargés du Niger», relate Charlie Hebdo en avril 2009.
Selon l’hebdomadaire, les relations entre Areva et les députés par l’entremise d’Edouard Philippe semblent ne pas être «totalement assumées» de la part des parlementaires. Le président du groupe d’amitié France-Niger à l’Assemblée assure qu’il «ne rencontre pas les gens d’Areva». Mais, du côté de l’entreprise, on assure qu’«Edouard Philippe est en contact régulier avec Marc Vampa pour parler de la situation au Niger». Discret sur ses activités à cette époque, Edouard Philippe n’a que rarement évoqué son passé dans le secteur privé.
Des «manquements d’une certaine gravité» dans sa déclaration de patrimoine
Edouard Philippe ne semble pas avoir voulu se soumettre aux règles de transparence qu’impose la déclaration de patrimoine depuis la loi de 2013. En 2014, invité à renseigner dans le formulaire la valeur de son appartement à Paris, il se contente d’écrire «aucune idée». Même réponse pour la valeur de sa propriété en Indre-et-Loire : «aucune idée». Toujours «aucune idée» de la valeur de ses parts dans une résidence en Seine-Maritime.
Dans la case où il était invité à indiquer sa rémunération, il va même jusqu’à écrire : «Je ne suis pas certain de comprendre la question». Comme le révèle Mediapart, Edouard Philippe écope ainsi d’un «blâme» de la part de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, qui constate des «manquements d’une certaine gravité».
«Comme beaucoup de parlementaires sans doute, j’ai essayé de concilier le respect de la loi et une forme de mauvaise humeur», se justifie-t-il devant les journalistes de Mediapart. Comme le note le journal en ligne, «sa mauvaise humeur en la matière a l’air de remonter loin en arrière, car sur de précédentes déclarations fournies en tant qu’élu local, le juppéiste raconte avoir déjà rempli les mêmes cases avec des points d’interrogations». Petit détail cocasse : Edouard Philippe semble ne pas bien connaître l’ensemble des mandats qui sont les siens. Sur sa déclaration de patrimoine de 2014 figure en effet la mention, apparemment rectifiée par la suite, d’un mandat de «conseiller général»… qu’il n’occupait déjà plus depuis deux ans.
Un député bien moins actif à l’Assemblée qu’au volant
Avec dix interventions au cours de la mandature 2012-2017, Edouard Philippe ne fait pas véritablement figure de bon élève sur les bancs de l’Assemblée nationale. Avec seulement une dizaine d’interventions en cinq ans, il figure parmi les moins bien classés d’après les données du site nosdéputés.fr.
Quel que soit le critère choisi pour le comparer à ses homologues, Edouard Philippe semble avoir eu une activité pour le moins discrète à l’Assemblée nationale : il figure systématiquement parmi les 150 parlementaires les moins actifs, tant en ce qui concerne ses interventions en séance que ses propositions de loi, ses questions orales et écrites ou encore sa présence en commission. Au total, il affiche 113 semaines d’activité sur 47 mois de mandat – l’un des plus mauvais ratios de l’Assemblée.
En revanche, Edouard Philippe est bien moins discret au volant de son véhicule. En octobre 2015, le quotidien régional Paris Normandie relatait que l’élu avait fait l’objet d’une suspension provisoire de permis de conduire après avoir été interpellé sur l’autoroute A131. Le député roulait à plus de 150 km/h sur une portion d’autoroute limitée à 110 km/h. «Cette infraction est regrettable : qu’elle soit la première en plus de vingt ans de conduite ne la rend pas excusable», avait-il déclaré.
Avec rtfrance