Les outils de financement alternatifs ne sont pas encore en vogue sur le continent, bien que la Banque mondiale leur présage un avenir plutôt radieux : de 83 millions de dollars collectés en 2015, ce volume devrait bondir à 2,5 milliards en 2025. Les petits porteurs de projets innovants n’ont donc plus qu’à patienter, en espérant que les textes législatifs qui régiront désormais le crowdfunding soient prêts d’ici 2025.
83,2 millions de dollars. C’est le volume -très modeste- de l’intégralité du marché africain des financements alternatifs en ligne, plus connu sous le nom de crowdfunding (financement par la foule). Une goutte dans un océan, puisqu’il ne représente que 0,1%, comparé au volume mondial de ce type de financement. Il faut dire que l’Afrique vient à peine de se rendre compte du potentiel que représente le crowdfunding pour ses entreprises. Cela dit, plusieurs signaux montrent que les investisseurs, entrepreneurs et régulateurs, veulent rattraper le temps perdu.
En effet, au cours des trois dernières années, la valeur totale du marché a évolué avec une moyenne respectable (par rapport au reste du monde) de 37 %. En volume, le marché des financements alternatifs est passé de 61,4 millions de dollars en 2014, à 83 millions en 2015, soit une progression de 36 %. Le rythme de croissance a été également enregistré entre les années 2013 et 2014, avec un taux de 38 %. Une performance qui devrait, selon les analystes, prendre davantage de l’accélération durant les prochaines années sur le continent.
Selon les estimations d’AlliedCrowds, concepteur de solutions de financement alternatives dans les pays en développement, les fonds collectés par les plateformes de crowdfunding opérant en Afrique sont estimés à 190 millions de dollars en 2016. La Banque mondiale, elle, est beaucoup plus optimiste. Elle estime le potentiel du marché du crowdfunding en Afrique subsaharienne à 2,5 milliards de dollars d’ici à 2025.
Croissance de l’activité malgré le vide juridique
Mais il n’en demeure pas moins que la performance mesurée des opérateurs qui trustent le marché africain reste assez solide, si l’on prend en considération le fait qu’il n’existe toujours pas de réglementation spécifique aux financements alternatifs, surtout dans les régions où ils prospèrent le plus, à savoir l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe.
En effet, ce vide juridique n’a pas empêché la progression de l’activité au Kenya, au Rwanda, en Ouganda, en Tanzanie, ou encore en Afrique du Sud. Des pays où les plateformes se multiplient alors que les régulateurs financiers -les banques centrales, les autorités du marché des capitaux ou autres autorités potentiellement compétentes- n’ont toujours pas mis en place des mesures réglementaires spécifiques à cette activité. Dans de nombreux cas, la logique adoptée est de laisser faire les opérateurs et de ne réglementer que si des dérives apparaissent, puisque les crimes financiers sont déjà couverts par d’autres législations. Il n’y a qu’au Kenya et au Nigeria que les régulateurs enchaînent les rencontres avec les opérateurs pour pouvoir aboutir à un texte complet ou du moins à une adaptation de l’arsenal juridique déjà existant, à la nature de l’activité.
Une répartition déséquilibrée des financements
Preuve que le manque de réglementation n’a pas empêché la progression de l’activité, la croissance du nombre de plateformes de crowdfunding basées sur le continent. En 2015, l’Afrique abritait 57 plateformes actives qui y sont basées et y opérant. L’Afrique du Sud, prouvant une fois de plus sa longueur d’avance financière par rapport au reste du Continent, dispose de 21 portails crowdfunding opérationnels. Elle est suivie de loin par le Nigeria avec 9 plateformes.
Par type de plateformes, le rapport « The Africa and Middle East Alternative Finance Benchmarking Report » publié par le centre de l’université anglaise Cambridge pour la finance alternative dévoile qu’en 2015, le marché africain de crowdfunding était composé de 21 plateformes basées sur des dons, de 19 plateformes de fonds propres (equity), de 13 portails récompenses, de 2 plateformes de prêt de pair à pair (P2P) et de 2 plateformes hybrides.
Ainsi, en étudiant la structure de l’offre, l’on se rend compte de l’influence de la culture africaine sur la nature des plateformes. Cela est notamment illustré par le fait que les plateformes spécialisées dans les dons et les fonds propres (equity) soient les modèles de crowdfunding qui connaissent la croissance la plus rapide. D’ailleurs, le rapport relève que les plateformes se spécialisent principalement dans la promotion de campagnes liées à des causes sociales (31,5% du total des plateformes). Celles-ci sont suivies par les campagnes liées aux entreprises et aux projets d’entrepreneuriat (21%) puis des projets créatifs et innovants (17,5%).
Des opérations de collecte «offshore»
Malgré l’éloquence des chiffres quant à la croissance de l’activité, il faudra ajuster la perception de la taille du marché par rapport au reste du monde et même par rapport au continent lui-même. La plateforme panafricaine Afrikastart estime à 32,3 millions de dollars les montants du crowdfunding levés en 2015 pour financer des projets africains. Un volume en deçà des 83 millions avancés le centre de Cambridge, en raison de la différence dans les méthodes de calcul et la nature des projets. Afrikastart ne comptabilisant pas l’aspect humanitaire. Ce même volume reste toutefois particulièrement concentré les plateformes sud-africaines, puisqu’elles ont recueilli, à, elles seules, environ 30,8 millions de dollars en 2015 de l’ensemble des financements. L’Egypte termine la même année un peu plus bas, mais à la seconde place, avec 842 000 de dollars levés, devant le Nigéria (314 445 dollars). Les financements collectés étaient principalement destinés aux start-ups et aux PME (17,7 millions de dollars), alors que pas moins de 4 939 campagnes de crowdfunding ont été lancées par des plateformes africaines en 2015. La majorité des projets a été gérée par les plateformes de prêts «peer-to-pere»,bien que ce type de plateformes ne représente que 4% du total structures.
Il faut aussi ajouter que les financements alternatifs destinés à l’Afrique sont initiés ailleurs que sur le continent. Les plateformes créées et basées en dehors de l’Afrique, comme Kiva ou Betterplace.org, ont réussi à collecter 94,6 millions de dollars en 2015 pour financer plusieurs projets africains. Par nature, ce volume est principalement constitué de dons (48 millions de dollars) et de prêts (42,2 millions de dollars). Ces plateformes étrangères étaient plus enclines à financer des projets ayant un impact social : aide aux enfants (14 millions de dollars), soutien aux initiatives éducatives (13,5 millions de dollars), autonomisation des femmes et des jeunes filles (10,8 millions de dollars),…
Mais là aussi, l’action de ces plateformes se concentrait dans certains pays en Afrique de l’Est et en Afrique de l’Ouest. C’est notamment le cas du Kenya qui a bénéficié d’une levée fonds de 21,7 millions de dollars en 2015 pour soutenir diverses causes sociales et projets communautaires. Le Rwanda et l’Ouganda ont bénéficié respectivement de 8,7 millions de dollars et 8,4 millions de dollars, la même année. «Ces collectes off shore» sont justifiées par le fait que le nombre de plateformes étrangères à servir exclusivement le marché africain, prend de l’ampleur. Au moins 14 plateformes internationales sont principalement axées sur le financement de projets à travers l’Afrique et ne servent pas d’autres économies en développement. Elles opèrent principalement en Europe, chose que les observateurs trouvent quelque peu anormale, puisque celles-ci devraient au moins ouvrir des antennes locales à l’échelle de l’Afrique.
Fraude et cyber-criminalité guettent l’activité
Mais quels sont les risques qui menacent le développement du financement alternatif en Afrique ? Selon le rapport du Centre de Cambridge, la cyber-sécurité et l’éviction des investisseurs de détail restent les principaux risques révélés par les sondages du centre. La cyber-sécurité est perçue comme un risque élevé ou très élevé pour 55% des plateformes africaines. Quant à l’éviction des investisseurs de détail, 21% considèrent ce risque comme très élevé ou très élevé en Afrique. La fraude fait naturellement partie des risques perçus. 60% des plateformes interrogées indiquent que la fraude ralentit la croissance de l’activité.
Et contrairement aux autres indicateurs, le taux de perception de celui-ci est très élevé pour l’Afrique en comparaison avec le reste du monde. A titre de comparaison, dans la région du Moyen-Orient, où le crowdfunding est relativement au même niveau qu’en Afrique, 48% des plateformes considèrent la fraude comme un risque élevé ou très élevé pour l’avenir de l’activité. D’autres dangers apparaissent dans les radars des plateformes et des investisseurs, tels les risques de disparition des plateformes, vu leur taux de mortalité élevé. Rien qu’en 2015, plus de 4 000 plateformes ont arrêté leurs opérations. Mais le plus fréquent parmi les facteurs à risque est sans doute le changement de la réglementation par pays, en défaveur de l’activité. Des textes de loi qui écarteraient le crowdfunding du circuit de financement légal et priveraient des millions de petits porteurs de projets innovants de recourir au financement.
Avec la tribune