Quel rôle les gouvernements doivent-ils jouer pour favoriser le développement de leurs productions ? Patrons et ministres en ont débattu lors du Africa CEO Forum.
Comment l’Afrique peut-elle rattraper son retard en matière d’industrialisation ? Le 20 mars 2017, à Genève, lors du Africa CEO Forum, le sujet a fait débat. Un groupe de travail public-privé a réuni à huis clos ministres, PDG de grandes entreprises africaines et représentants du Cnuced, de la Banque africaine de développement et d’Afreximbank pour explorer tous les aspects de cette question et discuter sans filtre.
« Le problème de l’Afrique, c’est qu’elle produit ce qu’elle ne consomme pas et qu’elle consomme ce qu’elle ne produit pas », lance le Béninois Jean-Baptiste Satchivi, président d’Agrisatch, qui a démontré qu’il était possible de produire de la volaille dans un pays où elle était jusque-là majoritairement importée.
Un constat partagé par Thierry Tanoh, ministre ivoirien de l’Énergie. « Pour produire du chocolat fini en Côte d’Ivoire, la plupart des intrants doivent être importés, explique-t-il. Nous n’avons pas encore de chaîne développée pour les produits laitiers ou pour le sucre, qui se retrouve par ailleurs indirectement subventionné par le Brésil. »
Une énergie trop coûteuse et des marchés trop petits
L’Afrique ne transforme donc pas assez, et cette lacune a des répercussions sur le marché du travail. « L’industrie manufacturière ne crée pas autant d’emplois qu’elle le devrait. Sur le continent, ceux-ci ont muté du secteur agricole – 73 % en 1960 contre 50 % en 2010 – vers les services – de 18 % à 38 % sur la même période –, souvent dans le secteur informel, avec des postes pas forcément stables », explique Moncef Klouche, consultant chez PwC.
Nous ne sommes pas compétitifs, notamment au niveau international
L’industrialisation est freinée par un certain nombre de barrières, notamment des problèmes liés à l’accès à l’énergie et à son coût ou encore à la taille des marchés, trop petits. « Nous ne sommes pas compétitifs, notamment au niveau international », rappelle Thierry Tanoh.
C’est à un État stratège, protecteur plutôt que protectionniste, qu’en appellent désormais et sans complexe les acteurs économiques
Le ministre ivoirien embraye sur la question des marchés locaux de consommation : « Il est compliqué d’établir des unités de production de taille suffisante en Afrique de l’Ouest. Il faut créer de véritables zones de libre-échange qui nous permettent d’investir dans un pays pour le compte d’autres », explique Pierre-André Terisse, directeur général Afrique du groupe français Danone.
Action résolue des États
De l’avis général, l’industrialisation passe aussi par une action résolue des États. Pas tant dans le domaine du climat des affaires, puisqu’un certain nombre de pays sont parvenus à faire augmenter leur valeur ajoutée entre 2010 et 2015, comme l’Éthiopie (14,8 %), le Nigeria (13,8 %), la RD Congo (12,8 %) et le Gabon (7,6 %), tout en étant placés en mauvaise position dans le classement « Doing Business ».
C’est à un État stratège, protecteur plutôt que protectionniste, qu’en appellent désormais et sans complexe les acteurs économiques. « Il y a un retour aujourd’hui de la politique industrielle, dans laquelle le secteur privé est un partenaire incontournable », soutient Moncef Klouche. En attestent ces pays qui ont réussi, en dialoguant avec ces acteurs privés, et grâce à une politique volontariste forte, à développer leurs marchés de niche. C’est le cas de l’Éthiopie : son ministre de l’Industrie, Meles Mebrahtu, souligne qu’elle est parvenue à faire émerger une industrie textile performante au niveau mondial en attirant grâce à des technoparcs des groupes européens qui ciblaient jusqu’ici la Chine, le Vietnam ou le Bangladesh.
Joint-venture
Intéressant aussi le cas du Botswana, qui a réussi à faire monter en gamme son industrie du diamant. En 2005, le pays, qui se concentrait jusqu’alors sur l’exploitation, a signé une joint-venture avec le conglomérat sud-africain De Beers. Il s’est depuis diversifié dans le tri, le négoce, la coupe et le polissage, grâce à l’ouverture de treize usines, avec une valeur ajoutée de 100 % à 115 %. Pour Régis Immongault, ministre de l’Économie du Gabon, les investisseurs internationaux ont aussi un effort à faire : « Il faudrait que les champions internationaux s’entourent de petites entreprises, de petits producteurs, pour avoir un effet multiplicateur en matière de création de richesses et d’emplois. »
Que ce soit en matière de subventions ou de barrières douanières, l’État ne peut rester passif. Moncef Belkhayat, PDG du groupe de communication WB Africa, cite le cas du Maroc, « qui a mis en place une politique industrielle autour de clusters [regroupement d’entreprises] bien définis dans les secteurs automobile et aéronautique. Il a ciblé les plus grandes multinationales, qu’il a ramenées sur son territoire grâce à des incitations fiscales, en donnant des terrains, en créant des infrastructures et tout un écosystème de sous-traitants ».
Une politique dont a par exemple bénéficié Renault. Le groupe français a implanté la construction de ses modèles low cost dans le royaume, profitant de la création par le gouvernement d’un institut de formation de techniciens aux portes de son usine. Moncef Belkhayat regrette cependant qu’« on traite les investisseurs étrangers différemment des entrepreneurs locaux marocains » et que ces derniers ne bénéficient pas des mêmes avantages.
Brevets
Zouhaïr Bennani, patron du groupe de grande distribution Label’Vie, plaide, lui, pour un État protecteur, qui stimulerait au travers d’un dispositif spécial l’émergence d’industries locales : « À partir du moment où l’on dépasserait un certain niveau d’importations, on obligerait à fabriquer le produit sur place, comme c’est déjà le cas dans le secteur de la pharmacie au Maroc. » Selon Saïd Benikene, directeur général du conglomérat algérien Cevital, les États ne jouent hélas pas encore à plein leur rôle de facilitateur.
L’État doit aider à financer ces opérations au niveau local, mais aussi à l’étranger
« En Algérie, on souffre énormément de la politique du contrôle des changes. Lorsque nous réalisons des acquisitions à l’international, nous sommes obligés d’aller les financer directement sur place. On ne peut pas transférer l’argent disponible en Algérie à cet effet, affirme-t-il. L’État doit aider à financer ces opérations au niveau local, mais aussi à l’étranger. » Peu aidé par l’État algérien, le groupe agroalimentaire s’est considérablement étendu depuis 2013 en rachetant des marques comme Brandt, Alas ou Lucchini, qui lui ont permis de bénéficier de 1 300 brevets et d’un réseau de distribution mondial et de relocaliser en Algérie une partie de la production taïwanaise.
Pour réussir le pari de l’industrialisation, l’État doit donc être protecteur mais également suffisamment souple pour permettre aux groupes de sortir de leur marché domestique et en atteindre de plus vastes. Entre besoins de protection et libre-échange, le continent devra trouver sa voie.
Avec jeuneafrique